Ce
célèbre épisode de l'histoire du jansénisme (raconté ici par le
psychiatre Adrien Borel) donna bien du grain à moudre à tous ceux qui,
comme Voltaire, dénoncaient l'obscurantisme religieux de leur temps.
***
Bientôt Saint-Médard devint trop étroit et l’on rencontra des
convulsionnaires dans les rues avoisinantes, et jusque dans les cabarets
qui s’étaient ouverts pour rafraîchir ces foules toujours renouvelées.
Bien plus, rentrés chez eux, quand la nuit fermait le cimetière, les
plus enragés avaient des convulsions à la maison. Là névrose déferlait
sur Paris.
Et rien ne semblait pouvoir arrêter sa marche. Les polémiques et les
fureurs des Jésuites qui sans doute les premiers virent clair dans cette
effarante histoire ? Mais chacun les savait les pires ennemis du
diacre, les pires ennemis des appelants dont Pâris était le saint. A
Saint-Médard, on n’eût pas toléré la moindre critique. D’ailleurs
laquelle aurait-on pu formuler : on voyait, tout se passait sous les
yeux de chacun, et l’on entendait de la bouche même des convulsionnaires
le récit extasié qu’ils faisaient de leurs convulsions. Or, tous
affirmaient que le saint les guérissait, qu’après les spasmes affreux,
qui les soulevaient, une paix entrait en eux, qu’ils disaient céleste.
Que faire dans ces conditions ? Des gens savants parlaient bien des
bandes frénétiques du moyen-âge, des épidémies de flagellants qu’à
plusieurs reprises on eut tant de peine à contenir au XIIIe et au XIVe
siècles. Tout cela restait lettre morte et s’effondrait devant la
croyance chaque jour accrue en l’évidence des miracles constatés.
Avouons d’ailleurs qu’il y avait de quoi faire douter les esprits les
plus robustes, à une époque où tout était encore ignoré – ou presque –
des troubles psychopathiques que nous étudions aujourd’hui sous le nom
de névroses.
la demoiselle Hardoin miraculée |
J’emprunte à Carré de Montgeron, témoin oculaire et historien des
convulsionnaires, dont il se fait d’ailleurs l’apologiste, cette
description de quelques cas pris parmi les plus typiques : « Une
certaine Jeanne Thénard, âgée de trente ans, se mit sur la tombe de Pâris le jour de la
Toussaint 1731. Tout de suite elle fut agitée des plus violentes
convulsions. Elle élançait son corps en l’air avec tant de force, elle
s’élevait si haut, quoiqu’elle fut couchée, se retournait et s’agitait
avec tant de violence, que plusieurs personnes, qui la tenaient pour
l’empêcher de se briser contre le marbre, ne pouvaient presque la
retenir ; et elle les fatiguait si fort qu’elles étaient tout en nage et
étaient obligées de se relayer l’une l’autre à tout moment. Pendant que
le cimetière fut ouvert, ajoute Montgeron, cette fille ne manqua pas
d’y aller tous les matins. »
Une autre est peut-être plus démonstrative encore : « Etant entrée
par curiosité au cimetière Saint-Médard, la demoiselle Fourcroy voulut
aller prier auprès du tombeau. Elle déclara par la suite : « Je fus tout
d’abord frappée d’épouvante, des cris de douleur et des espèces de
hurlements que j’entendis faire à des convulsionnaires dans le cimetière
et sous le charnier et je pensais m’en aller sans approcher de la tombe
du diacre, mais la personne qui m’accompagnait m’ayant encouragée, je
fus m’asseoir dessus. Après y être restée environ un quart d’heure en
prières, il me prit des mouvements qui firent dire à tous ceux qui
étaient auprès de moi que les convulsions m’allaient prendre. A ce mot
de convulsions, me rappelant les cris que j’avais entendus en arrivant,
je fus saisie de crainte et si vivement que je donnais de l’argent au
suisse pour me faire passage et retirer, et cette appréhension d’avoir
des mouvements convulsifs me donna des forces qui ne m’étaient pas
ordinaires pour sortir au plus vite du cimetière. Néanmoins, le 20 mars
1732, au soir, me sentant prête de rendre l’âme, la peur de la mort que
je voyais si proche l’emporta enfin sur la crainte des convulsions, et
je priai qu’on m’allât chercher de la terre du tombeau de M. Pâris, pour
en mettre dans le vin dont, de temps en temps, l’on me faisait avaler
quelques gouttes. Le 21 à midi, l’on me fit prendre ce vin et je me mis
en prières pour commencer une neuvaine. Presque dans le moment, il me
prit un grand frisson et peu après une grande agitation dans les membres
qui me faisait élancer tout le corps en l’air, et me donnait une force
que je ne m’étais jamais sentie… Quand je repris mes sens, je me sentis
une tranquillité et une paix intérieure que je n’avais jamais éprouvées
et que j’aurais bien de la peine à décrire quoique je l’ai ressentie
depuis très souvent à la suite de chacune de mes convulsions. »
la demoiselle Fourcroi |
Voici encore une autre observation : « Le jour de la Saint-Marcel,
dit la fille Bridan, je crus devoir faire un effort pour approcher du
tombeau, ce que je n’avais pas pu faire depuis ma première
neuvaine, à cause de la grande foule. Je me penchai la tête sur la
tombe pour y faire ma prière. Dans le moment, le tremblement me prit. Je
ne pus me relever et l’on fut obligé de me prendre à deux, sous les
bras pour m’asseoir sur une chaise où je perdis connaissance. Revenue à
moi-même, il me prit des convulsions si terribles qu’il fallut trois ou
quatre personnes pour me tenir. J’ai continué pendant 22 jours à me
mettre tous les jours sur la tombe et chaque fois j’éprouvais les mêmes
convulsions que le premier jour, souvent même plus grandes et en plus
grand nombre. J’éprouvais à ce moment de grandes douleurs mais presque
aussitôt que les convulsions étaient cessées, les douleurs cessaient
aussi et je me trouvais délicieusement bien. »
Les cas succédaient aux cas. La convulsion s’étendait sur Paris et
parvenait même parfois à gagner la province, car les malades trop
lointains se faisaient expédier quelques pincées de terre de
Saint-Médard. La convulsion ne tardait pas alors à les prendre. Les
pèlerins venaient en foule, souvent accompagnés de membres du clergé,
presque tous Jansénistes avoués ou tacites. Des discussions passionnées
sur la grâce et sur les étonnantes manifestations par quoi elle éclatait
avaient lieu autour du tombeau du diacre. Puis, ces religieux eux-mêmes
allaient se mettre en prières sur le tombeau et s’étendaient sur la
table de marbre. Et nombre d’entre eux, prêtres, moines, religieuses,
tombaient aussi en convulsions.
C’était une épidémie. Le mot n’est pas trop fort. Et une épidémie qui s’aggravait.
convulsionnaires "lascives"... |
Pendant quelques mois, en effet, la névrose des convulsionnaires
était restée presque sage. A l’extrême rigueur (et en tenant compte de
l’opinion du temps) on pouvait encore trouver quelques arguments pas
trop sophistiqués en faveur de l’origine surnaturelle des événements de
Saint-Médard. Certes les critiques se faisaient de plus en plus vives et
les Jésuites criaient tout haut qu’il ne fallait voir là que l’œuvre du
diable. Ils s’agitaient à la cour et intriguaient pour faire cesser ce
qu’ils appelaient un scandale abominable. Et d’autant plus que ces faits
miraculeux qui se continuaient autour du tombeau, tendaient à prendre
un caractère un peu scabreux. Au milieu des vociférations des
convulsionnaires on entendait souvent des propos horribles et d’un
libertinage auquel on n’aurait pas dû s’attendre en un tel lieu. On
colportait des histoires licencieuses, qui certes n’étaient parfois que
trop vraies. On disait que certaines convulsions n’avaient d’autre but
que de permettre des attitudes lascives. On murmurait aussi que
maintenant des filles et des mauvais garçons abondaient alentour du
cimetière. Plusieurs d’entre eux d’ailleurs étaient de fervents
convulsionnaires. On savait enfin que tous les amateurs de spectacles
douteux, tous les curieux de sensations rares ou perverses, les
détraqués, les demi-fous comme nous dirions aujourd’hui, hantaient les
abords du charnier. Et n’y avait-il pas déjà des convulsionnaires qui au
plus fort de leur paroxysme avaient demandé à être battues et ne
s’était-il pas trouvé des hommes prêts à cette besogne ?
Le scandale montait. Les Jésuites pouvaient parler de diableries. Il
commençait vraiment à y avoir de quoi. Des beaux miracles du début, on
était ainsi passé à la névrose. Un pas de plus et l’on allait toucher à
l’horrible.
Le cimetière Saint-Médard fut donc fermé, Mais comment une simple
porte eût-elle pu contenir un flot aussi puissant ? La convulsion était
déchaînée : il allait falloir dix ans pour s’en rendre maître à nouveau.
Chassée de son foyer principal, la névrose s’essaima. Mille lieux
divers lui donnèrent asile, si bien que l’on put dire que la fermeture
de Saint-Médard eut un effet contraire à celui que l’on avait espéré
obtenir. Car la fréquentation du cimetière avait noué des liens entre
les convulsionnaires et précisément ces spectateurs auxquels je faisais
allusion tout à l’heure. Il est probable même que les évènements dont
Saint Médard avait été le théâtre en avaient révélé plusieurs à
eux-mêmes en leur rendant plus claires des tendances morbides qu’ils se
connaissaient peut-être obscurément mais qu’ils n’osaient guère
s’avouer, Le rapprochement effectué autour du tombeau du diacre, la
communauté de sentiments devinée ou mieux pressentie chez nombre
d’autres assistants, les proies offertes enfin par la révélation de la
convulsion, proies nombreuses et prêtes aux pires choses, proies sans
défense et sans doute consumées du désir que réclamaient leurs instincts
pervers, tout concourait à provoquer cette nouvelle transformation. Et
certes, il n’était plus besoin d’une grande foule. Celle-ci avait eu son
rôle en fournissant et en décelant les sujets, en déchaînant par son
enthousiasme pieux l’état d’exaltation favorable au développement de ces
perversions cachées. Aussi ces nouveaux convulsionnaires et leurs
adeptes se réjouirent-ils sans doute de ne plus être retenus par la
crainte du public assistant à leurs exercices, Ils se livrèrent à
domicile et en présence seulement d’une société choisie, entièrement
acquise à leurs pratiques, à des représentations où l’odieux s’allia si
souvent à l’horrible, qu’il est difficile d’en donner maintenant une
description.
( à suivre ici)
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