jeudi 10 septembre 2015

Voltaire, par Pierre Milza

Parue en 2007 chez Perrin, cette nouvelle biographie de Voltaire s'est révélée assez décevante. Bien que volumineux (tout de même 900 pages), l'ouvrage devient étrangement allusif et timide, quand ce n'est pas mutique, au moment d'aborder les épisodes les moins glorieux de l'existence du poète. 

Ainsi, pour revenir à une affaire complexe dont on a souvent parlé sur ce blog, la querelle Voltaire/Rousseau est expédiée en une dizaine de pages... Pierre Milza en envisage brièvement les causes ("deux figures opposées et complémentaires des Lumières") avant d'évoquer la tournure que prend ce conflit lors du séjour de Rousseau à Môtiers. Il referme aussitôt le dossier, se hasardant du bout des lèvres à suggérer une possible "jalousie (de Voltaire) à l'égard d'un confrère qui a commencé à mordre sur sa propre notoriété, avec l'immense succès éditorial de sa Nouvelle Héloïse".
Des années qui ont suivi, marquées par l'acharnement de Voltaire à discréditer Rousseau, Pierre Milza ne dit quasiment rien. On découvre bien (p. 684) une allusion à "la paranoïa de Jean-Jacques, toujours à l'affût d'une explication de ses infortunes par l'existence d'un complot contre sa personne", et plus loin l'aveu que "tout cela ne grandit pas le philosophe de Ferney", mais rien de plus...
Rien de ces innombrables injonctions faites aux philosophes parisiens de "s'assembler pour le dégrader" (lettre à d'Alembert de sept. 1766) car "il faut couper un membre gangrené"(lettre à Marmontel de nov. 1766). Rien non plus de ce cri de triomphe une fois l'ennemi à terre : "On peut, sur le fumier où il est couché et où il grince des dents contre le genre humain, lui jeter du pain s'il en a besoin ; mais il a fallu le faire connaître, et mettre ceux qui peuvent le nourrir à l'abri de ses morsures" (Notes sur la Lettre à Hume de déc.1766).
Bien au contraire, Pierre Milza va jusqu'à prétendre : "Sans vouloir disculper à tout prix Voltaire de certaines bassesses, on se doit de rappeler que, dans la guerre qu'il mène contre Rousseau, tous les coups bas ne viennent pas du même côté..." (p.686)
Un combat à armes égales, en somme, puisque les deux assaillants auraient usé des mêmes "coups bas" pour éreinter l'adversaire... 
On connaît déjà ceux de Voltaire : son immense réseau de correspondants à travers l'Europe, une influence demeurée intacte sur l'intelligentsia parisienne, et surtout un art consommé du pamphlet (de la diffamation ?) pour mettre les rieurs de son côté. 
Mais Rousseau ? On compterait sur les doigts d'une main ses derniers soutiens et protecteurs après son séjour en Angleterre. Nul relais, ni dans les gazettes, ni dans l'opinion parisienne. Quant aux brochures et autres libelles anonymes, on n'en trouvera nulle trace dans son oeuvre, et pour cause...
Ce que Pierre Milza qualifie de "guerre" s'apparente en fait à une mise à mort en bonne et due forme...
Etrange mansuétude de la part d'un historien qui en fait par ailleurs des tonnes lorsqu'il s'agit de vanter le combat du patriarche de Ferney contre "l'obscurantisme judiciaire" ou le "fanatisme religieux" (p. 617). Pour séduisants qu'ils soient, ces mots fourre-tout sont trop souvent mis au service d'un prêt-à-penser dont le grand public se satisfera sans doute, mais qui laissera les autres sur leur faim...
Voltaire et Rousseau
  

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