Ce
célèbre épisode de l'histoire du jansénisme (raconté ici par le
psychiatre Adrien Borel) donna bien du grain à moudre à tous ceux qui,
comme Voltaire, dénoncaient l'obscurantisme religieux de leur temps.
***
Bientôt en effet, les choses étaient devenues telles que l’autorité
royale devait s’émouvoir encore. En février 1733, une nouvelle
ordonnance « faisait inhibition expresse et défense à toute personne se
prétendant attaquée de convulsions de se donner en spectacle au
public, ni même de souffrir dans leur maison ou dans leur chambre ou
autre lieu aucun concours ou assemblée, à peine d’emprisonnement de leur
personne, et, d’être poursuivie comme séductrice et perturbatrice du
repos public. Défense était pareillement faite à tous les sujets d’aller
et de visiter les dites personnes sous prétexte d’être témoin de leurs
prétendues convulsions »
Et les prisons s’ouvrirent pour des malheureux
convulsionnaires dont la plupart n’étaient pourtant que des malades
auxquelles aurait mieux convenu l’hôpital ou l’asile. Un tribunal
d’exception, composé de 12 commissaires, ayant pour président le
lieutenant de police Hérault, fut établi pour informer des
convulsionnaires. Beaucoup furent arrêtés et enfermés au donjon de
Vincennes, parmi eux des curés, des chanoines, des religieux, des
religieuses. D’autres furent envoyés à la Bastille et à Bicêtre.
Car en dépit des ordonnances du roi, les convulsionnaires
redoublaient de zèle. Les uns certes y étaient toujours poussés par la
même foi qui avait animé les premiers miraculés de Saint Médard. Et sans
doute ne voyaient-ils, dans la défense royale, qu’une persécution de
plus dirigée contre leur saint et contre le jansénisme. On sait combien
les persécutions exaltent ceux qui en sont victimes. Comment s’étonner
alors que la mesure décrétée contre eux les ait davantage enfoncés dans
leur pratique, puisqu’ils la jugeaient sainte. Le diacre Pâris avait eu
une vie d’austérité et de souffrances : comme lui, ils devaient souffrir
à leur tour. Aussi vit-on les convulsionnaires ajouter à leur crises
habituelles les austérités les plus rigoureuses et naturellement les
femmes, en cette matière, furent largement au-dessus des hommes. Quand
on lit les récits du temps, on est stupéfait à la description des
supplices, dont elles s’avisèrent pour mortifier leur chair. Cette
recherche, cet amour de la souffrance, est sans doute le trait le plus
caractéristique de ce qui fut le dernier épisode du drame des
convulsionnaires. Et l’on comprend que ces malheureuses femmes aient pu
devenir la proie des pervers auxquels je faisais allusion il n’y a qu’un
instant. Car nous restons toujours ici dans le domaine de la névrose,
et l’on sait que dans cette forme de névrose la souffrance n’apporte
véritablement de joie que si elle a des spectateurs. Un saint véritable
s’impose telle ou telle macération mais n’en fait pas d’allusion à ses
proches les plus chers. Un névropathe a besoin d’un public qui le
regarde, qui le plaint ou qui l’admire. Les crises les mieux exécutées
se produisent devant une assemblée. On l’a bien vu au siècle dernier
lorsque Charcot, à la Salpêtrière, faisait ses fameuses leçons sur
l’hystérie. Il en était déjà de même dans ces années qui s’étendent de
1731 à 1741. Car le public nécessaire était là, terriblement
intéressé aux scènes que l’on allait lui soumettre. Chaque jour ce
public réclamait du nouveau. Eh bien, on allait lui en donner. A lire
les relations des témoins oculaires, on a l’impression que chaque
convulsionnaire raffinait sur ses émules et que chaque épreuve nouvelle
trouvait aussitôt des imitateurs, mais surtout des imitatrices.
D’ailleurs, ces malheureuses ne pouvaient plus maintenant jouer leur
rôle par leurs seuls moyens. Cela était bon au temps des simples
convulsions ; à présent il fallait du secours. Ce mot secours fit
fortune. Il désignait l’aide apportée par les assistants, par certains
assistants surtout, et l’on va voir en quoi cette aide consistait.
F.H Delan |
De Lan, dans sa dissertation théologique sur les convulsions brosse
ainsi ce petit tableau « Des personnes jeunes et sans coiffure se
heurtent avec violence la tête contre les murs, même contre le marbre.
Elles se font tirer les quatre membres par des hommes très forts et
quelquefois écarteler. Elles se font donner des coups qui pourraient
abattre les plus robustes et en si grand nombre qu’on en est effrayé.
Et ces malheureuses implorent qu’on les frappe plus fort, elles
demandent secours aux assistants qui se hâtent de leur apporter le
secours souhaité.
Ce secours, c’étaient les coups et les sévices de tous ordres que leur folie inventait.
On lit dans Carré de Montgeron qu’un jour une foule qu’il estime à
quatre mille enthousiastes s’était réunie pour un spectacle de la sorte,
et que tous brûlaient de porter secours aux convulsionnaires, de
devenir de dévoués secouristes, car c’était là le nom qu’on leur avait
donné,
On a peine à imaginer pareil déchaînement. Les pires instincts
surexcités par cette fièvre, s’épanouissaient sous le masque de la
religion. Car c’était toujours Dieu que l’on entendait servir, ou du
moins qu’hypocritement on déclarait vouloir servir. Le plus étrange est
qu’il y avait encore quelques bonnes âmes pour le croire, mais à
la vérité, leur nombre allait en diminuant. L’Eglise commençait à se
dresser tout entière contre la convulsion. Les Jansénistes eux-mêmes
abandonnaient la partie. Au contraire, les éléments les plus troubles
s’y trouvaient toujours plus nombreux, réalisant ce couple morbide si
particulier du secouriste et de la convulsionnaire.
On ne peut que glisser rapidement sur tant d’horreurs, car il y eut
nombre de faits qu’on ne saurait dire et qui sembleraient d’ailleurs à
peine croyables. Et tous cependant sont certifiés par plusieurs témoins
oculaires !
En voici quelques uns déjà assez édifiants, mais je ne choisis pas
les plus affreux. C’est l’histoire de Marie Sonnet, surnommée la
salamandre, qui recouverte d’un seul drap, la tête sur un tabouret et
les pieds sur un autre, s’exposera au feu le temps nécessaire dit Carré
de Montgeron, pour faire rôtir une pièce de veau ou de mouton. Et le
plus curieux c’est qu’un acte fut dressé de cet exploit, acte
authentifié par un procès-verbal revêtu de la signature d’honorables et
graves personnages, entre autres par deux prêtres dont l’un docteur en
Sorbonne, et par Armand Arouet, trésorier de la Chambre des Comptes, le
propre frère de Voltaire. C’est Charlotte Laporte, dite la suceuse de
plaies, qui inaugurera la série des convulsionnaires guérisseuses en
suçant les ulcères, les écrouelles, les cancers les plus inguérissables.
Requête de Charlotte Laporte auprès du Parlement (extrait) |
C’est la sœur Scolastique qui, après avoir reçu des secours qui
faisaient, parait-il, trembler, trouvait encore que ce n’était point
assez. Après avoir longtemps hésité, se rappelant la manière dont les
paveurs enfoncent les pavés dans la terre, elle se fit lier et garroter
toutes les jupes au-dessous du genou, se fit tenir en l’air la tête en
bas, les pieds en haut, et précipiter la tête sur le carreau, un grand
nombre de fois. C’est cette autre convulsionnaire dont parle Montgeron
qui se mettait en arc au milieu de la chambre, soutenue par les reins
sur la pointe d’un bâton. Dans cette posture elle criait « Biscuit !
biscuit ! » Il s’agissait d’une pierre, pesant environ 50 livres,
attachée à une corde qui passait par une poulie fixée au plafond de la
chambre. Lorsque cette pierre était élevée jusqu’à la poulie, on la
laissait tomber sur l’estomac de la fille, à plusieurs reprises, ses
reins portant toujours sur le pieu.
Et combien d’autres cas encore !
Nous sommes également à l’époque des convulsionnaires dites
figuratives. Celles-ci représentaient des traits de la vie de Pâris.
Elles simulaient de vaquer aux soins d’un ménage imaginaire, elles
mettaient le couvert, rangeaient les sièges, se choisissaient des
convives qu’elles faisaient fictivement asseoir auprès d’elles, elles
prenaient la cuillère et faisaient mine de manger un mets
absent. Un moment après, elles s’emparaient d’un couteau qu’elles
promenaient sur leur joue en faisant le geste de se raser, puis elles
terminaient par l’exercice du catéchisme. Cette autre saisissait des
épées. Elle levait la main pour frapper, désignant ainsi les tourments
qui sont réservés aux vrais fidèles, aux confesseurs de la foi et de la
vérité, c’est-à-dire pour elle à ceux qui s’attachaient à l’œuvre des
convulsionnaires. Cette autre encore imitait la passion du Christ, sans
oublier le chant du coq pour avertir Pierre de sa faute. Elle finissait
en s’étendant sur une croix et s’y faisait clouer les mains et les
pieds.
D’autres enfin s’érigeaient en prophétesses. Elles se déclaraient
douées d’une pénétration des pensées les plus secrètes. Elles disaient
connaître le passé et l’avenir, telles de nos jours nos modernes
somnambules. Le grand objet de leurs prédictions était la venue du
prophète Elie. Elles annonçaient son arrivée, précédée d’une éclipse de
soleil qui devait durer 2 heures et 5 minutes. On devait voir apparaitre
aussi un arc en ciel d’une forme singulière et une grande étoile
visible en plein midi, tandis que des anges devaient évoluer autour du
soleil et de la lune. Plusieurs s’érigèrent même en prêtresses et
s’attribuèrent diverses fonctions sacerdotales. Elles confessèrent,
donnèrent des pénitences, baptisèrent et allèrent même jusqu’à célébrer
la messe. Jeanne-Charlotte Barachin, veuve Gilbert, dite sœur Mélanie,
fut de ce fait, enfermée à la Bastille.
( à suivre ici )
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