mercredi 23 septembre 2015

Convulsions au cimetière Saint-Médard (4)

Ce célèbre épisode de l'histoire du jansénisme (raconté ici par le psychiatre Adrien Borel) donna bien du grain à moudre à tous ceux qui, comme Voltaire, dénoncaient l'obscurantisme religieux de leur temps.

 ***
Bientôt en effet, les choses étaient devenues telles que l’autorité royale devait s’émouvoir encore. En février 1733, une nouvelle ordonnance « faisait inhibition expresse et défense à toute personne se prétendant attaquée de convulsions de se donner en spectacle au public, ni même de souffrir dans leur maison ou dans leur chambre ou autre lieu aucun concours ou assemblée, à peine d’emprisonnement de leur personne, et, d’être poursuivie comme séductrice et perturbatrice du repos public. Défense était pareillement faite à tous les sujets d’aller et de visiter les dites personnes sous prétexte d’être témoin de leurs prétendues convulsions » 


Et les prisons s’ouvrirent pour des malheureux convulsionnaires dont la plupart n’étaient pourtant que des malades auxquelles aurait mieux convenu l’hôpital ou l’asile. Un tribunal d’exception, composé de 12 commissaires, ayant pour président le lieutenant de police Hérault, fut établi pour informer des convulsionnaires. Beaucoup furent arrêtés et enfermés au donjon de Vincennes, parmi eux des curés, des chanoines, des religieux, des religieuses. D’autres furent envoyés à la Bastille et à Bicêtre.
Car en dépit des ordonnances du roi, les convulsionnaires redoublaient de zèle. Les uns certes y étaient toujours poussés par la même foi qui avait animé les premiers miraculés de Saint Médard. Et sans doute ne voyaient-ils, dans la défense royale, qu’une persécution de plus dirigée contre leur saint et contre le jansénisme. On sait combien les persécutions exaltent ceux qui en sont victimes. Comment s’étonner alors que la mesure décrétée contre eux les ait davantage enfoncés dans leur pratique, puisqu’ils la jugeaient sainte. Le diacre Pâris avait eu une vie d’austérité et de souffrances : comme lui, ils devaient souffrir à leur tour. Aussi vit-on les convulsionnaires ajouter à leur crises habituelles les austérités les plus rigoureuses et naturellement les femmes, en cette matière, furent largement au-dessus des hommes. Quand on lit les récits du temps, on est stupéfait à la description des supplices, dont elles s’avisèrent pour mortifier leur chair. Cette recherche, cet amour de la souffrance, est sans doute le trait le plus caractéristique de ce qui fut le dernier épisode du drame des convulsionnaires. Et l’on comprend que ces malheureuses femmes aient pu devenir la proie des pervers auxquels je faisais allusion il n’y a qu’un instant. Car nous restons toujours ici dans le domaine de la névrose, et l’on sait que dans cette forme de névrose la souffrance n’apporte véritablement de joie que si elle a des spectateurs. Un saint véritable s’impose telle ou telle macération mais n’en fait pas d’allusion à ses proches les plus chers. Un névropathe a besoin d’un public qui le regarde, qui le plaint ou qui l’admire. Les crises les mieux exécutées se produisent devant une assemblée. On l’a bien vu au siècle dernier lorsque Charcot, à la Salpêtrière, faisait ses fameuses leçons sur l’hystérie. Il en était déjà de même dans ces années qui s’étendent de 1731 à 1741. Car le public nécessaire était là, terriblement intéressé aux scènes que l’on allait lui soumettre. Chaque jour ce public réclamait du nouveau. Eh bien, on allait lui en donner. A lire les relations des témoins oculaires, on a l’impression que chaque convulsionnaire raffinait sur ses émules et que chaque épreuve nouvelle trouvait aussitôt des imitateurs, mais surtout des imitatrices. D’ailleurs, ces malheureuses ne pouvaient plus maintenant jouer leur rôle par leurs seuls moyens. Cela était bon au temps des simples convulsions ; à présent il fallait du secours. Ce mot secours fit fortune. Il désignait l’aide apportée par les assistants, par certains assistants surtout, et l’on va voir en quoi cette aide consistait.
F.H Delan

De Lan, dans sa dissertation théologique sur les convulsions brosse ainsi ce petit tableau « Des personnes jeunes et sans coiffure se heurtent avec violence la tête contre les murs, même contre le marbre. Elles se font tirer les quatre membres par des hommes très forts et quelquefois écarteler. Elles se font donner des coups qui pourraient abattre les plus robustes et en si grand nombre qu’on en est effrayé.
Car je connais une personne qui en a compté quatre mille dans une seule séance. C’est avec le poing ou le plat de la main, sur le dos ou sur le ventre qu’on les leur donne. On emploie en quelque occasion de gros bâtons et des bûches. On leur frappe les os des jambes, pour les redresser, dit-on, par ce moyen. Il ne parait pas que cela les redresse beaucoup, mais ils s’en disent soulagés. On les presse de tous les efforts de plusieurs hommes sur l’estomac, on leur marche sur le cou, sur la tête, sur la gorge, sur le ventre, on leur arrache le sein. Quelques unes s’enfoncent des épingles dans la tête sans ressentir aucun mal. Telle convulsionnaire a poussé le zèle jusqu’à se pendre à un clou à crochet, jusqu’à vouloir être crucifiée : la croix, les clous, la lance, tout était préparé. »
Et ces malheureuses implorent qu’on les frappe plus fort, elles demandent secours aux assistants qui se hâtent de leur apporter le secours souhaité.
Ce secours, c’étaient les coups et les sévices de tous ordres que leur folie inventait.
On lit dans Carré de Montgeron qu’un jour une foule qu’il estime à quatre mille enthousiastes s’était réunie pour un spectacle de la sorte, et que tous brûlaient de porter secours aux convulsionnaires, de devenir de dévoués secouristes, car c’était là le nom qu’on leur avait donné,
On a peine à imaginer pareil déchaînement. Les pires instincts surexcités par cette fièvre, s’épanouissaient sous le masque de la religion. Car c’était toujours Dieu que l’on entendait servir, ou du moins qu’hypocritement on déclarait vouloir servir. Le plus étrange est qu’il y avait encore quelques bonnes âmes pour le croire, mais à la vérité, leur nombre allait en diminuant. L’Eglise commençait à se dresser tout entière contre la convulsion. Les Jansénistes eux-mêmes abandonnaient la partie. Au contraire, les éléments les plus troubles s’y trouvaient toujours plus nombreux, réalisant ce couple morbide si particulier du secouriste et de la convulsionnaire.
On ne peut que glisser rapidement sur tant d’horreurs, car il y eut nombre de faits qu’on ne saurait dire et qui sembleraient d’ailleurs à peine croyables. Et tous cependant sont certifiés par plusieurs témoins oculaires !
En voici quelques uns déjà assez édifiants, mais je ne choisis pas les plus affreux. C’est l’histoire de Marie Sonnet, surnommée la salamandre, qui recouverte d’un seul drap, la tête sur un tabouret et les pieds sur un autre, s’exposera au feu le temps nécessaire dit Carré de Montgeron, pour faire rôtir une pièce de veau ou de mouton. Et le plus curieux c’est qu’un acte fut dressé de cet exploit, acte authentifié par un procès-verbal revêtu de la signature d’honorables et graves personnages, entre autres par deux prêtres dont l’un docteur en Sorbonne, et par Armand Arouet, trésorier de la Chambre des Comptes, le propre frère de Voltaire. C’est Charlotte Laporte, dite la suceuse de plaies, qui inaugurera la série des convulsionnaires guérisseuses en suçant les ulcères, les écrouelles, les cancers les plus inguérissables. 
Requête de Charlotte Laporte auprès du Parlement (extrait)

C’est la sœur Scolastique qui, après avoir reçu des secours qui faisaient, parait-il, trembler, trouvait encore que ce n’était point assez. Après avoir longtemps hésité, se rappelant la manière dont les paveurs enfoncent les pavés dans la terre, elle se fit lier et garroter toutes les jupes au-dessous du genou, se fit tenir en l’air la tête en bas, les pieds en haut, et précipiter la tête sur le carreau, un grand nombre de fois. C’est cette autre convulsionnaire dont parle Montgeron qui se mettait en arc au milieu de la chambre, soutenue par les reins sur la pointe d’un bâton. Dans cette posture elle criait « Biscuit ! biscuit ! » Il s’agissait d’une pierre, pesant environ 50 livres, attachée à une corde qui passait par une poulie fixée au plafond de la chambre. Lorsque cette pierre était élevée jusqu’à la poulie, on la laissait tomber sur l’estomac de la fille, à plusieurs reprises, ses reins portant toujours sur le pieu.
Et combien d’autres cas encore !

Nous sommes également à l’époque des convulsionnaires dites figuratives. Celles-ci représentaient des traits de la vie de Pâris. Elles simulaient de vaquer aux soins d’un ménage imaginaire, elles mettaient le couvert, rangeaient les sièges, se choisissaient des convives qu’elles faisaient fictivement asseoir auprès d’elles, elles prenaient la cuillère et faisaient mine de manger un mets absent. Un moment après, elles s’emparaient d’un couteau qu’elles promenaient sur leur joue en faisant le geste de se raser, puis elles terminaient par l’exercice du catéchisme. Cette autre saisissait des épées. Elle levait la main pour frapper, désignant ainsi les tourments qui sont réservés aux vrais fidèles, aux confesseurs de la foi et de la vérité, c’est-à-dire pour elle à ceux qui s’attachaient à l’œuvre des convulsionnaires. Cette autre encore imitait la passion du Christ, sans oublier le chant du coq pour avertir Pierre de sa faute. Elle finissait en s’étendant sur une croix et s’y faisait clouer les mains et les pieds.
D’autres enfin s’érigeaient en prophétesses. Elles se déclaraient douées d’une pénétration des pensées les plus secrètes. Elles disaient connaître le passé et l’avenir, telles de nos jours nos modernes somnambules. Le grand objet de leurs prédictions était la venue du prophète Elie. Elles annonçaient son arrivée, précédée d’une éclipse de soleil qui devait durer 2 heures et 5 minutes. On devait voir apparaitre aussi un arc en ciel d’une forme singulière et une grande étoile visible en plein midi, tandis que des anges devaient évoluer autour du soleil et de la lune. Plusieurs s’érigèrent même en prêtresses et s’attribuèrent diverses fonctions sacerdotales. Elles confessèrent, donnèrent des pénitences, baptisèrent et allèrent même jusqu’à célébrer la messe. Jeanne-Charlotte Barachin, veuve Gilbert, dite sœur Mélanie, fut de ce fait, enfermée à la Bastille.
( à suivre ici )

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour commenter cet article...