samedi 7 février 2015

La Révolution et la Convention, vues par Florence Gauthier

Florence Gauthier poursuit, dans le texte ci-dessous, l’analyse des bouleversements institutionnels pendant la Révolution française en analysant le travail constitutionnel de la Convention.
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La Convention, nouvelle assemblée constituante, 22 septembre 1792 - 22 août 1795
Par Florence Gauthier, Université Paris VII Denis Diderot

Pourquoi une deuxième constituante après celle de 1789-1791 ? Précisons les grands enjeux de la période pour le comprendre.
En 1789, cherchant une issue à la crise, la monarchie choisit d’ouvrir un processus politique en réunissant les États généraux, qui ne l’avaient plus été depuis 1614 ! Le suffrage était très ouvert pour le Tiers-état : une voix par chef de feu - et les femmes l’étaient très souvent : elles n’étaient nullement exclues à cause de « leur » sexe, contrairement aux mystifications récentes à ce sujet. Par contre étaient exclus ceux qui n’avaient pas de « feu » : les errants et les domestiques qui habitaient chez leur maître.
Les députés des États généraux ont commencé par accomplir une révolution juridique en remplaçant la souveraineté royale par la souveraineté populaire : ils l’ont fait en tant que commis de confiance.
Le commis de confiance (en latin : fidei commis) est une personne à qui une assemblée confie une mission. Cette « confiance » signifie que les électeurs demandent des comptes au commis de confiance et que, si celui-ci trahit leur mission ou se révèle incapable de la mener, il sera destitué en cours de mission par ses électeurs et remplacé : voilà ce qu’était la responsabilité du commis de confiance devant ses électeurs. Il est important de savoir que cette institution est apparue au Moyen-âge et a été pratiquée dans les communautés villageoises, les communes urbaines ou les corps de métier et les États généraux durant des siècles, jusqu’à la Révolution comprise, et disparut au XIXe siècle.
Puis, le mouvement populaire est entré sur la scène politique avec l’immense jacquerie de juillet 1789, accompagnée de la « révolution municipale », qui rétablit les pratiques électorales populaires là où elles avaient été amputées depuis le XVIe siècle. C’est ainsi que les États généraux se sont transformés en Assemblée nationale constituante, en juin 1789, et ont voté la Déclaration des droits naturels de l’homme et du citoyen, le 26 août, précisant les principes constituants de la nouvelle société.
Mais, dès septembre 1789, les possédants prirent peur du peuple et de la démocratie. C’est alors que l’objectif de la Constituante se modifia et l’abbé Sieyès inspira la Constitution de 1791, qui violait les principes de la Déclaration des droits sur deux points fondamentaux : en supprimant la souveraineté populaire, par l’exclusion des « citoyens passifs » de leurs droits politiques, puis l’institution même du commis de confiance.
Cette Constitution de 1791 établit une monarchie constitutionnelle et une aristocratie des riches, instaura la « loi martiale » qui réprimait les manifestations, et continua de supprimer l’exercice des droits et libertés démocratiques pour les « citoyens passifs », comme ceux de réunion et de grève pour les ouvriers urbains et ruraux - ces derniers étant les plus nombreux et de loin, en tant qu’ouvriers agricoles - (Loi d’Allarde et loi Le Chapelier).
l'abbé Sieyes

Le parti démocratique est né de cet état de fait et a lutté pour rétablir les principes violés de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et prendre la défense du mouvement populaire. Cette lutte devint l’enjeu et le ressort de la période révolutionnaire.

Les citoyens utilisent le droit de résistance à l’oppression pour organiser la Révolution du 10 août 1792, qui renversa la monarchie et la Constitution de 1791 et convoqua une nouvelle assemblée constituante : la Convention !
Le nom de Convention - terme venu des expériences politiques anglaises depuis le XVIIe siècle - exprimait le droit de réunion du peuple, qui s’effectua avec la Révolution du 10 août 1792, convoqué par lui-même, en tant qu’expression de la souveraineté populaire, et non plus par le roi !
En l’absence de constitution, les élections de la Convention se firent en reprenant les institutions des États généraux de 1789, avec quelques modifications. Il est intéressant de rappeler que là où le mouvement populaire dominait, le suffrage des deux sexes était de règle, selon les pratiques populaires médiévales.
Le 21 et 22 septembre 1792, la Convention instaurait la Première République, mais le parti de la Gironde qui s’imposa, tenta, une fois encore, de repousser la démocratie en éludant par différents moyens le débat sur la Constitution. Voici quelques-uns de ces moyens : la Gironde tenta de délégitimer la Révolution du 10 août 1792 en calomniant le mouvement populaire et les députés démocrates, accusés de « tyrannie », et en cherchant à empêcher le procès de la monarchie et du roi ; elle éluda l’application de la législation agraire qui avait été faite immédiatement après le 10 août, par l’Assemblée encore en place, et supprimait la féodalité en faveur des paysans ; elle chercha enfin un moyen de diversion en se précipitant dans la conquête des soi-disant « frontières naturelles » de la France, sous prétexte de libérer les peuples de leurs tyrans ! Elle échoua : les Belges et les Rhénans n’aimèrent pas ces « missionnaires armés » et préférèrent la défense organisée par leurs rois et leurs princes !
En France, cet échec belliciste provoqua la censure des citoyens contre les 22 députés girondins, qui furent « rappelés pour avoir perdu la confiance des électeurs », lors de la Révolution des 31 mai - 2 juin 1793.
Il s’agissait d’une application remarquable de cette institution précieuse du commis de confiance, qui, lorsqu’il a précisément perdu cette confiance, est destitué ! C’est ce qui arriva à ces 22 députés girondins et aux ministres de ce même parti, qui furent assignés à résidence avec interdiction de se représenter aux élections.
Notons que les historiens qui ignorent l’institution, fort ancienne, du commis de confiance interprètent cet épisode comme ils le peuvent, mais ne cherchant guère du côté des institutions de la souveraineté populaire, mais plutôt du côté des « coups de force », la Révolution des 31 mai - 2 juin 1793, au lieu d’être comprise comme l’expression même de la conscience des citoyens, sombre dans le « coup d’État  » !
l'arrestation des Girondins
On aura compris que la Convention, élue en septembre 1792, se maintenait et qu’elle avait remplacé les 22 députés qui avaient « perdu la confiance des électeurs ». Elle était toujours constituante et ce fut le parti de la Montagne qui forma le gouvernement.
 
Le premier acte de la Convention montagnarde fut d’achever immédiatement la Constitution qui fut votée le 24 juin 1793 : la Déclaration des droits naturels de l’homme et du citoyen, que la Gironde avait tenté de supprimer, fut rétablie, ainsi que la souveraineté nationale. Par contre, la nouvelle constitution supprima la « loi martiale », dont la Loi Le Chapelier qui en faisait partie, mises en place sous la Constituante contre le mouvement démocratique. La Constitution fut ensuite présentée aux citoyens, en août suivant, et acceptée.
La Montagne mena une politique démocratique et sociale : en une année, cette politique républicaine a supprimé la féodalité en France en opérant une réforme agraire en faveur des paysans, y compris pauvres et sans terre ; elle mena une politique d’aide sociale efficace, organisée par les communes elles-mêmes ; elle mit en place une politique de contrôle démocratique pour empêcher que le capital commercial s’empare du marché des denrées de première nécessité (subsistances et matières premières) : cette « politique du maximum » était dirigée contre la terrible « arme alimentaire », qui depuis, s’est largement répandue dans le monde ; elle abolit encore l’esclavage dans toutes les colonies et ouvrit un processus de décolonisation avec la Révolution de Saint-Domingue le 16 pluviôse an II - 4 février 1794. L’esclavage fut effectivement aboli non seulement à Saint-Domingue, mais aussi en Guyane, en Guadeloupe et à Sainte-Lucie ; elle gagna enfin la guerre que menait la coalition des monarques européens, qui cherchaient, déjà, à la détruire.
Elle fut cependant renversée par une alliance de possédants et de colons esclavagistes le 9 thermidor an II - 27 juillet 1794.  

Quelles en furent les conséquences ?
Après avoir éliminé les députés de la Montagne, la Convention, devenue thermidorienne, détruisit la politique démocratique et sociale et renoua avec une nouvelle guerre de conquête en Europe. Une insurrection populaire fut réprimée par l’armée en prairial an III - 20-23 mai 1795 et permit aux Thermidoriens de renverser la Constitution légale de 1793 et d’en préparer une nouvelle : et là, il s’agissait bien d’un coup d’État parlementaire !
La nouvelle Constitution, votée le 22 août 1795, se débarrassa de la Déclaration des droits naturels de l’homme et du citoyen, qui fut chassée du droit constitutionnel français et pour longtemps ! Une nouvelle forme d’aristocratie des riches excluant les pauvres et les femmes, mettait fin au principe déclaré en 1789 de la souveraineté populaire. La loi martiale fut restaurée.
Puis, Napoléon Bonaparte rétablit le colonialisme et l’esclavage en 1802 et la monarchie en 1804, en créant l’Empire.


Ne restait-il rien de la Révolution ? 
Ce serait une erreur de le croire : aucun gouvernement aussi contre-révolutionnaire qu’il se voulut, y compris la restauration des Bourbons en 1815, n’osa toucher à l’abolition de la féodalité réalisée au profit des paysans ! Et puis encore, l’idée de la Déclaration des droits universels de l’homme et du citoyen et l’expérience d’un peuple qui avait réussi à se donner la constitution de son choix, ne pouvaient s’oublier et continuèrent de creuser leur sillon. C’est la raison pour laquelle la période de la Convention montagnarde donne lieu à tant de controverses pour tenter de faire perdre de vue qu’à l’époque, les peuples opprimés par la féodalité, le capitalisme, l’impérialisme esclavagiste ont salué cet événement du nom de « la Grande Révolution ».
L’expérience de République démocratique et sociale à souveraineté populaire a été dissimulée par certains courants, qui ne veulent y voir qu’une « révolution bourgeoise » ! D’autres sont parvenus, depuis la fin du XIXe siècle, à occulter les politiques coloniales de la période et le fait que l’abolition de l’esclavage s’est bien faite sous la Convention montagnarde, d’autres encore ont réussi à répandre l’idée farfelue que la Constitution de 1793 « n’aurait jamais été appliquée » et que la Montagne aurait établi une « dictature » et gouverné « par la terreur », mais ces efforts ont été étudiés et critiqués depuis les dernières décennies et il est indéniable que nous traversons une période de recherches neuves sur ces questions, qui sont autant d’enjeux d’une brûlante actualité.
Malgré trois tentatives d’insurrections populaires successives au XIXe siècle, l’éclipse de la Déclaration des droits naturels de l’homme et du citoyen dura, dans le droit constitutionnel français, jusqu’en… 1946 ! Il faut rappeler que ce fut à l’issue de cette effroyable guerre défensive contre nazisme et fascisme, qu’en France, le Conseil National de la Résistance proposa, en 1944, une nouvelle république démocratique et sociale, fondée sur une souveraineté populaire réelle, incluant les femmes, privées de leurs droits politiques depuis… 1795, et restaurant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

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