Quel était le nombre de pauvres, de mendiants et d'indigents sous l'Ancien Régime ? Si certains historiens avancent des chiffres, l'absence de recensement et de statistiques sérieuses les rend trop souvent douteux. Même si la frontière est étroite, on se gardera également de confondre ces malheureux, souvent incapables de subvenir à leurs besoins, avec des vagabonds (colporteurs, bateleurs et autres itinérants) déjà perçus comme un fléau social.
Quoi qu'il en soit, et contrairement à certaines opinions répandues, l'administration royale a tout au long du XVIIIè siècle lutté contre le fléau de la pauvreté qui menaçait aussi bien les citadins que les campagnards. Chômeurs saisonniers, vieillards malades, hommes de peine confrontés au risque d'une mauvaise récolte, servantes engrossées, les petites gens n'étaient jamais à l'abri de perdre le minimum vital, à savoir se nourrir et se loger.
L'assistance aux pauvres est alors quasi exclusivement organisée, gérée et distribuée par l'Eglise. La plupart des hôpitaux, on le sait, sont des fondations cléricales, et toutes les institutions charitables relèvent elles aussi du clergé. C'est lui qui fait appel aux dons privés, insistant constamment sur l'obligation morale du riche de faire l'aumône aux nécessiteux. La charité est alors conçue et présentée comme un acte chrétien qui profite non seulement au bénéficiaire, mais également au donateur. Ainsi, dans ses mémoires, Louise d'Epinay s'émerveille de voir sa fille Angélique mettre de côté quelques sous pour les distribuer à ses pauvres à l'issue de la messe... Pour sa part, le curé joue évidemment un rôle central : il connaît ses paroissiens, il se prononce sur leurs demandes de secours, il est lié par ses fonctions à l'hospice local ou même aux greniers à grains ; en somme, personne n'est mieux placé que lui pour répartir les aumônes et les secours.
Au demeurant, l'Eglise accepte l'existence de ces "enfants souffrants du Christ" comme une évidence, elle ne cherche en aucun à éradiquer l'indigence, s'en servant au contraire comme un moyen d'édifier les fidèles et de leur promettre le salut.
Au cours de la 2nde moitié du XVIIIè siècle, la déchristianisation lente mais progressive du royaume va avoir une première conséquence, particulièrement sensible dans les grandes villes (les plus éclairées, dirons-nous...) : celle de réduire considérablement l'aide matérielle et financière recueillie puis donnée aux indigents. Face au déclin de cette pratique ancestrale, certains philosophes des Lumières auront beau jeu d'ironiser et d'accuser les hauts dignitaires de l'Eglise, voire certains moines et curés, d'être des parasites improductifs, inutiles à la société, et incapables d'assumer leur tâche. Dans l'article "abbé" de son Dictionnaire Philosophique, Voltaire écrit : "L’abbé
spirituel était un pauvre à la tête de plusieurs autres pauvres : mais
les pauvres pères spirituels ont eu depuis deux cent, quatre cent mille
livres de rente ; et il y a aujourd’hui des pauvres pères spirituels en
Allemagne qui ont un régiment des gardes.
Un pauvre qui a fait serment d’être pauvre, et qui, en conséquence, est
souverain ! on l’a déjà dit, il faut le redire mille fois, cela est
intolérable. Les lois réclament contre cet abus, la religion s’en
indigne, et les véritables pauvres sans vêtement et sans nourriture
poussent des cris au ciel à la porte de monsieur l’abbé.
Mais j’entends messieurs les abbés d’Italie, d’Allemagne, de Flandre, de Bourgogne, qui disent : Pourquoi
n’accumulerions-nous pas des biens et des honneurs ? pourquoi ne
serions-nous pas princes ? les évêques le sont bien. Ils étaient
originairement pauvres comme nous ; ils se sont enrichis, ils se sont
élevés ; l’un d’eux est devenu supérieur aux rois ; laissez-nous les
imiter autant que nous pourrons.
Vous avez raison, messieurs, envahissez la terre ; elle appartient au
fort ou à l’habile qui s’en empare ; vous avez profité des temps
d’ignorance, de superstition, de démence, pour nous dépouiller de nos
héritages et pour nous fouler à vos pieds, pour vous engraisser de la
substance des malheureux : tremblez que le jour de la raison n’arrive."
La charge est sévère, et sans doute injuste, mais comme toujours avec Voltaire, elle s'avère efficace. (à suivre ici)
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