vendredi 13 février 2015

La Révolution et les pauvres (3)


Je lisais dernièrement sur un site prétendument dissident une intervention fort intéressante d'un pseudo royaliste : dans un bel élan antirépublicain, le jeune homme s'en prenait pêle-mêle à toutes les opérations caritatives du moment (notamment aux Restos du Coeur) et reprochait aux pouvoirs publics de ne pas assumer une tâche aussi essentielle. En somme, il n'avait pas saisi que la situation actuelle ressemble à s'y méprendre à celle d'avant 1789, puisqu'elle joue sur le même ressort (culpabiliser le public) et qu'elle aussi fait appel à l'action privée (le chanteur ayant remplacé le curé...) pour stimuler les pratiques charitables...
Après 1789, on l'a vu, l'autorité politique révolutionnaire va retirer cette prérogative au clergé, considérant qu'il est de son devoir à elle de "détruire la mendicité". Habité par ce noble idéal, le Comité de Mendicité va multiplier les rapports et les actions, d'où la création quasi immédiate d'hôpitaux, de travaux publics et d'ateliers de travail pour les chômeurs. "Ce n'est pas le défaut de biens qui constitue la pauvreté. C'est le défaut de travail", lit-on dans un mémoire sur la mendicité écrit à la même époque. 


Quinze millions de livres sont aussitôt affectés à la création d'ateliers de charité. Les départements soumettent alors leurs demandes : à Paris, la maison des Récollets et celle des Dominicains sont converties en ateliers (11 au total) de filature (ils emploieront jusqu'à 4800 femmes et enfants en 1791); 

à Saint-Etienne, une église est transformée en dépôt d'armes, une autre en magasin des fers ; à Aix-en-Provence, l'atelier de Saint-Michel emploie les ouvrières à filer le coton. Ailleurs, en Vendée, dans le Cher, on privilégie les travaux publics : construction ou réfection de routes, programmes de drainage et de terrassement...

Même si les salaires demeurent inférieurs à ceux du secteur privé, la demande explose, les ateliers attirant des chômeurs de tous les coins du royaume. Incapable de faire face,  les autorités tentent souvent de limiter certains abus : ainsi, pour postuler, le pauvre devra présenter un certificat de résidence et d'indigence, établi par les sections locales. 
 
loi du 19 décembre 1790

Pourtant, les premières difficultés apparaissent bientôt : dès 1791, certains députés se demandent si cette activité parallèle ne porte pas préjudice aux manufactures privées (celle-ci perdant une partie de leur main d'oeuvre) ; d'autres reprochent à ces programmes d'être trop coûteux et de grever les dépenses publiques ; les derniers accusent les ateliers de favoriser la paresse et la débauche.
Comme on le constate, malgré les 220 ans qui nous séparent de cette période, les propos n'ont guère changé...
Confrontés aux impératifs financiers, même les plus idéalistes des révolutionnaires finissent par reconnaître leur échec.
Deux ans après leur création, les ateliers de charité seront définitivement abandonnés... (à suivre)

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