jeudi 9 juillet 2015

1782, déjà la défaite de l'Infâme...

Prononcé en mars 1782 par l'abbé de Boismont, prédicateur du roi, ce très beau sermon valut à son auteur de multiples critiques : celles de ses coreligionnaires, qui lui reprochèrent d'être "un fort mauvais chrétien" (cf Correspondance Littéraire de Grimm) ; celles des philosophes, qui se plaignirent de la virulence de ses attaques.
En avouant les crimes commis par l'Eglise, en concédant au clan philosophique le "bien" qu'il avait "fait à l'humanité", ce discours apparaît aujourd'hui comme un acte de capitulation, le dernier soubresaut d'un guerrier demandant grâce à son adversaire.


Plaçons-nous, pour un moment, dans un état de neutralité, écartons toutes les discussions du dogme, dont les preuves victorieuses seraient trop étrangères à mon sujet, et n'invoquons ici que la simplicité d'un cœur pur, et la droiture d'une raison désintéressée. Que reproche-t-on à la Religion Chrétienne ? l'autorité, ou pour parler le langage nouveau, le despotisme sacerdotal d'une révélation qui révolte ; mais quel est donc le danger ou la honte de s'y soumettre ?  (…)

 Pourquoi ces hommes présomptueux, faibles, passionnés comme vous, dominent-t-ils avec tant d'empire sur votre opinion ! Ont-ils le privilège exclusif de la doctrine des mœurs ? Ce privilège inconnu jusqu'à nos jours a-t-il attendu une certaine maturité de la nature pour se manifester dans quelques penseurs choisis, devant qui le reste de la Terre fût obligé de plier ?

Non, répondez-vous, mais ces apôtres de la raison m'éclairent sans m'humilier, leur doctrine est conforme à mes lumières… Est-il donc bien conforme à vos lumières de vivre sans loi, sans culte et sans prévoyance ? Eh ! que vous offre en effet le dogme moral attaché à la révélation, qui répugne à ces lumières dont vous êtes si jaloux ? Est-il nécessaire de renverser nos temples, pour apprendre qu'il faut être humain, modéré  compatissant ; qu'il faut respecter les hommes, et. ne régner sur leur liberté que par l'empire de la persuasion ? Est-il nécessaire de renverser nos temples pour apprendre que l'orgueil est un vice, la violence un désordre, l'injustice un crime, l'abus du pouvoir un attentat, la tyrannie et répression une infamie et une atrocité ! Cette révélation dédaignée l'enseigne à chaque page. La nouvelle doctrine proscrit-elle avec plus de force que l'évangile de Jésus-Christ l'ambition et ses fureurs, l'intrigue et ses artifices, la calomnie et ses délations, la perfidie et ses coupables trames ? Trouvez-vous dans cet évangile l'apologie des monstres et des brigands ? Que disent de plus que Jésus-Christ vos Marc-Aurèles, vos Epictètes, vos Socrates ? Que dis-je ! Jésus-Christ va plus loin qu'eux ; ce sentiment de l'infini, que la raison seule ne pouvait atteindre, il le porte dans le coeur, il élève l’homme jusqu'à la mesure de l’éternité, il agrandit son être, il étend ses destinées: pensez-vous qu'un Dieu soit de trop pour en imposer aux passions ? Pensez-vous que l'espoir d'une récompense sans bornes, la crainte d'un châtiment sans adoucissement et sans terme, n'ajoutent pas quelque poids à ces chaînes purement sociales, par lesquelles vous prétendez asservir et réprimer toutes les cupidités?
 Sermon prononcé pour l'ouverture d'une maison royale de santé devenue aujourd'hui Hôpital la Rochefoucauld

Moralistes irréligieux, vous n'envisagez l'homme que dans les limites du temps ; l'opinion, la honte, la gloire contemporaine, voilà vos agents et vos ressorts, et qu'en espérez-vous ! si vous parlez de conscience, vous ne vous entendez pas. Quel est son empire sur la multitude lorsqu'on ne lui laisse ni espoir ni crainte ? si vous parlez de postérité, déclamation vaine et puérile; qu'importe la postérité à qui n'est que cendre et poussière ! s'il n'y a point d'opinion éternelle, qu'importe l'opinion des siècles ! votre voix retentit-elle aux tombeaux des Néron et des Caligula ! (…)

Soyons justes, et ne craignons point d'avouer le bien qu'ils ont fait à l'humanité. Oui, vous avez contribué à purger la terre de la superstition et du fanatisme, à éteindre le feu des bûchers, à ridiculiser ces vaines disputes qui déshonorent, l'éternelle Vérité, dont le secret est impénétrable à nos faibles yeux. Quoique ces erreurs aient été le délire du temps et non le tort de la religion, vous avez parlé comme ses défenseurs éclairés, nous sommes assez généreux pour vous en remercier au nom de la religion même; mais pourquoi provoquer la désertion de ces temples, de ce culte, de ces lois marquées d'un caractère divin, et dont la politique même devrait être jalouse pour établir le respect de l’ordre et l'unité des sentiments ! détruisez ces temples, proscrivez ces prêtres qui vous importunent : quelle main essuiera les larmes des malheureux ! où sera l'asile du pauvre ? Quelque imposants que soient vos noms, ira-t-il avec succès, vos écrits à la main, sommer l'avarice et l'opulence de respecter ses droits, de consoler sa misère ? Ces images abstraites d'humanité, de liberté, d'égalité , toutes ces formules d'orgueil primitif que vous appelez énergie et vigueur, sont-elles faites pour rapprocher, pour réunir, pour toucher ? Partout vous représentez les hommes sous la douce idée de frères. Nous l'adoptons comme vous cette attendrissante idée; mais vous en faites un système, et nous un ministère; vous déclamez, et nous agissons; ce n'est que dans nos sanctuaires que cette fraternité si désirable est pratique et sensible; ici les passions, les ressentiments, les vengeances se calment, les intérêts se confondent, on veut le bonheur de tous; ici on a le même esprit, la même âme, la même espérance, la même patrie; le voilà sous vos yeux ce touchant spectacle d'une famille nombreuse unie par les mêmes sentiments et les mêmes vœux, qui n'invoque que le même consolateur et le même père !   (...)
Diderot : deux ans avant sa mort, ce sermon marque le triomphe de son camp

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