Ancien élève des Jésuites, l'abbé Desfontaines resta quelque temps professeur de son ordre (à Rennes puis à Bourges) avant d'obtenir une cure en Normandie. Sans doute ennuyé par son ministère, il lui prit soudain l'idée de se lancer dans la carrière des lettres.
l'abbé Desfontaines (1685-1725) |
Dès sa première ode, intitulée Sur le mauvais usage qu'on fait de sa vie, on fut convaincu de la médiocrité du poète (voir ci-dessous).
Cela ne l'empêcha pas de persévérer quelque temps, en mettant en vers quelques psaumes, avant de renoncer définitivement à la versification. Ce cuisant échec lui fit concevoir une haine sans égale pour cet art qui se refusait à lui, et plus encore pour tous les poètes qui y faisaient valoir leurs talents. "Auprès des vers latins, les vers français ne sont à mon gré, oserai-je le dire, que des colifichets barbares" osera-t-il écrire quelques années plus tard.
Alors qu'il se tournait vers la carrière de critique littéraire, l'abbé Bignon lui confia en 1724 la direction du Journal des Savants.
C'est en août 1724 qu'il se distingue la première fois comme en témoigne cette lettre de dénonciation de l'abbé Théru, professeur du collège Mazarin, au lieutenant général de police d'Ombreval :
L’abbé Duval des Fontaines, attire chez lui des jeunes gens pour les corrompre, et il en fait souvent coucher avec lui. Si on veut s’informer exactement de sa conduite, on trouvera qu’il n’a point ou peu de religion, qu’il fait gras sans nécessité les jours maigres, et qu’il est en commerce avec de petits et jeunes libertins, avec lesquels il fait des parties de débauche. Il loge rue de l’Arbre-Sec, à Notre-Dame-de-Lorette, au 2ème étage, sur le devant, en chambre garnie. Il mange tantôt à l’hôtel d’Uzès, rue Jean-Tison, tantôt à l’hôtel du Saint-Esprit, rue Saint-Germain; mais on peut le regarder comme une peste publique, et il sera bon de le faire servir d’exemple, quand on aura vérifié ces faits, et le sieur Haymier le fera très aisément,
Apostille de M. d’Ombreval. — Je prie M. Haymier de s’en informer avec soin et de m’en rendre compte.
Apostille de M. d’Haymier. — Je me suis informé de la conduite de l’abbé Duval; je n’ai rien pu découvrir à l’égard de ce sodomite; mais j’ai appris qu’il vivait assez dérangé, ayant une femme sur son compte, chez laquelle il demeure.
Un mois plus tard, le 6 septembre, un inspecteur de police fait ce nouveau rapport à d'Ombreval :
Comme quelques personnes ont donné déjà des mémoires
contre cet abbé, au sujet de l’infamie, Haymier a donné ses
soins pour s’informer plus particulièrement de sa conduite, et dans
la recherche qu’il en a faite, il a trouvé un jeune homme, âgé
de dix sept ans, qui le connaît parfaitement, et qu’il a voulu débaucher
dès l’âge de douze ans, étant au collège des
Grassins.....
Ce jeune homme a déclaré à Haymier qu’il avait
rencontré l’abbé dans les rues il y a quelques mois, qu’il
l’avait reconnu et lui avait donné son adresse comme ci-dessus,
le priant fort de l’aller voir dans sa chambre, sans lui dire autre chose.
Haymier ayant jugé à propos d’envoyer ce matin ce jeune
homme chez l’abbé, pour s’éclaircir au juste de tout ce qu’on
disait, avec les instructions nécessaires pour ne pas souffrir d’infamie
de la part de l’abbé, il y a été et l’a trouvé
indisposé, sans être cependant au lit.
Après les compliments ordinaires, cet abbé est tombé
sur les discours infâmes, lui demandant comment allaient les plaisirs,
lui disant que pour lui, il s’était diverti depuis si longtemps
qu’il en était très affaibli et ruiné..... qu’il lui
donnerait une demi-pistole.
Dans ce moment, l’abbé a tiré de sa bibliothèque
des livres de figures en taille-douce, pleins d’abominations sodomiques
et de postures affreuses, qu’il a montrées et fait remarquer l’une
après l’autre au jeune homme, paraissant en faire grand cas.
Il a encore déclaré au jeune homme qu’il n’aimait point
à se réjouir dans les jardins royaux, parce qu’il en savait
les conséquences; que, cependant, se trouvant aux Tuileries l’année
passée, il y avait rencontré un jeune particulier,.... cette
même année il s’était bien diverti avec un jeune clerc
de Dionis, notaire, beau, blond et bien gras, qu’ils faisaient souvent
ensemble des parties de plaisir avec quelques autres jeunes gens de sa
connaissance, et qu’il donnait souvent de l’argent audit clerc de notaire;
mais qu’il l’avait quitté, parce qu’il lui a paru aimer les femmes
plus que lui; que cette année présente était bien
différente, qu’il ne se trouvait plus de la même vigueur.
Après cette longue conversation de vilenies et d’abominations,
l’abbé a emmené le jeune homme dîner avec lui en son
auberge, et se sont ensuite séparés, recommandant au jeune
homme de ne pas manquer d’y retourner demain avec quelqu’un de ses amis.....
Apostille de M. d’Ombreval. — L’arrêter à cause
de ses livres et de ses estampes.
Desfontaines sera très rapidement relâché, en dépit des nombreuses exhortations de l'abbé Théru :
On ne devrait pas souffrir à Paris, ni laisser impuni le sieur Duval,
ci-devant aître d’école à Chaillot, et qui prend la qualité
d’abbé Desfontaines, parce qu’on dit qu’il a beaucoup gagné
à l’agiot... L’abbé Desfontaines est un infâme; il n’a jamais été
bibliothécaire de M. l’abbé Bignon, comme il a voulu le faire
croire à M. d’Ombreval et à Haymier, et il a été
chassé des Jésuites (8 octobre) ... il est certainement un infâme, ayant attiré et fait coucher
avec lui deux jeunes gens, l’un nommé Michault et l’autre Lamothe.
Je n’avais mis dans ma première dénonciation que le seul
nom Desfontaines, sa demeure et l’étage où il demeurait,
et où M. Haymier l’a arrêté
(26 octobre) il est constant que ledit abbé Desfontaines est un infâme,
que la veille de son arrêt il était au Luxembourg et qu’il
y accrocha un jeune homme assez propre, qu’il emmena chez lui, qu’il était
continuellement jour et nuit avec des jeunes gens et des petits-maîtres. (26 octobre)
(à suivre)
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