Roman pornographique (souvent attribué au marquis d'Argens) distribué clandestinement en 1748, Thérèse philosophe connut un succès considérable dans la France des Lumières.
Tombée amoureuse d'un comte, Thérèse hésite encore à accepter ses avances. La peur d'enfanter et l'habitude du plaisir solitaire (ou manuélisme) l'empêchent de se livrer corps et âme à son amant.
Enfin, mon cher comte, vous commenciez à vous sentir fatigué de mes
refus, lorsque vous vous avisâtes de me faire venir de Paris votre
bibliothèque galante, avec votre collection de tableaux dans le même
genre. Le goût que je fis paraître pour les livres, et encore plus pour
la peinture, vous fit imaginer deux moyens qui vous réussirent. « Vous
aimez donc, mademoiselle Thérèse, me dîtes-vous en plaisantant, les
lectures et les peintures galantes ? J’en suis ravi : vous aurez du plus
saillant ; mais capitulons, s’il vous plaît : je consens à vous prêter
et à placer dans votre appartement ma bibliothèque et mes tableaux
pendant un an, pourvu que vous vous engagiez à rester pendant quinze
jours sans porter même la
main à cette partie qui, en bonne justice, devrait bien être
aujourd’hui de mon domaine, et que vous fassiez sincèrement divorce au manuélisme.
Point de quartier, ajoutâtes-vous ; il est juste que chacun mette un
peu de complaisance dans le commerce. J’ai de bonnes raisons pour exiger
celle-ci de vous : optez ; sans cet arrangement, point de livres, point
de tableaux. »
J’hésitai peu, je fis vœu de continence pour quinze jours. « Ce n’est
pas tout, me dîtes-vous encore : imposons-nous des conditions
réciproques : il n’est pas équitable que vous fassiez un pareil
sacrifice pour la vue de ces tableaux ou pour une lecture momentanée.
Faisons une gageure, que vous gagnerez sans doute. Je parie ma
bibliothèque et mes tableaux, contre votre pucelage, que vous
n’observerez pas la continence pendant quinze jours, ainsi que vous le
promettez. — En vérité, monsieur, vous répondis-je d’un air un peu
piqué, vous avez une idée bien singulière de mon tempérament, et vous me
croyez bien peu maîtresse de moi-même ! — Oh ! mademoiselle,
répliquâtes-vous, point de procès, je vous prie : je n’y suis pas
heureux avec vous. Je sens, au reste, que vous ne devinez point l’objet
de ma proposition : écoutez-moi. N’est-il pas vrai que toutes les fois
que je vous fais un présent, votre amour-propre paraît blessé
de le recevoir d’un homme que vous ne rendez pas aussi content qu’il
pourrait l’être ? Eh bien ! la bibliothèque et les tableaux, que vous
aimez tant, ne vous feront pas rougir, puisqu’ils ne seront à vous que
parce que vous les aurez gagnés. — Mon cher comte, repris-je, vous me
tendez des pièges ; mais vous en serez la dupe, je vous en avertis.
J’accepte la gageure ! m’écriai-je, et je m’oblige, qui plus est, à ne
m’occuper, toutes les matinées, qu’à lire vos livres et à voir vos
tableaux enchanteurs. »
Tout fut porté par vos ordres dans ma chambre. Je dévorai des yeux,
ou, pour mieux dire, je parcourus tour à tour, pendant les quatre
premiers jours, l’Histoire du Portier des Chartreux, celle de la Tourière des Carmélites, l’Académie des Dames, les Lauriers ecclésiastiques, Thémidore, Frétillon, la Fille de Joie, l’Arétin, etc., et nombre
d’autres de cette espèce, que je ne quittai que pour examiner avec
avidité des tableaux où les postures les plus lascives étaient rendues
avec un coloris et une expression qui portaient un feu brûlant dans mes
veines.
Le cinquième jour, après une heure de lecture, je tombai dans une
espèce d’extase. Couchée sur mon lit, les rideaux ouverts de toutes
parts, deux tableaux, les Fêtes de Priape, les Amours de Mars et de Vénus,
me servaient de perspective. L’imagination échauffée par les attitudes
qui y étaient représentées, je me débarrassai de draps et de couverture,
et, sans réfléchir si la porte de ma chambre était bien fermée, je me
mis en devoir d’imiter toutes ces postures que je voyais. Chaque figure
m’inspirait le sentiment que le peintre y avait donné. Deux athlètes qui
étaient à la partie gauche du tableau des Fêtes de Priape
m’enchantaient, me transportaient, par la conformité du goût de la
petite femme au mien. Machinalement, ma main droite se porta où celle de
l’homme était placée, et j’étais au moment d’y enfoncer le doigt,
lorsque la réflexion me retint. J’aperçus l’illusion, et le souvenir des
conditions de notre gageure m’obligea de lâcher prise.
Que j’étais bien éloignée de vous croire spectateur de mes
faiblesses, si ce doux penchant de la nature en est une, et que j’étais
folle, grands dieux ! de résister aux plaisirs inexprimables d’une
jouissance réelle ! Tels sont les effets du préjugé : ils nous
aveuglent, ils sont nos tyrans. D’autres parties de ce premier tableau
excitaient tour à tour mon admiration et ma pitié. Enfin, je jetai les
yeux sur le second. Quelle lasciveté dans l’attitude de Vénus ! Comme
elle, je m’étendis mollement ; les cuisses un peu éloignées, les bras
voluptueusement ouverts, j’admirais l’attitude brillante du dieu Mars.
Le feu dont ses yeux, et surtout sa lance, paraissaient être animés
passa dans mon cœur. Je me coulais sur mes draps, mes fesses s’agitaient
voluptueusement, comme pour porter en avant la couronne destinée au
vainqueur.
« Quoi ! m’écriai-je, les divinités même font leur bonheur d’un bien que je refuse ! Ah ! cher amant, je
n’y résiste plus ! Parais, comte, je ne crains plus ton dard : tu peux
percer ton amante ; tu peux même choisir où tu voudras frapper : tout
m’est égal ; je souffrirai tes coups avec constance, sans murmurer ; et
pour assurer ton triomphe, tiens, voilà mon doigt placé ! »
Quelle surprise ! quel heureux moment ! Vous parûtes tout à coup plus
fier, plus brillant que Mars ne l’était dans le tableau. Une légère
robe de chambre qui vous couvrait fut arrachée. « J’ai eu trop de
délicatesse, me dites-vous, pour profiter du premier avantage que tu
m’as donné : j’étais à la porte, d’où j’ai tout vu, tout entendu ; mais
je n’ai pas voulu devoir mon bonheur au gain d’une gageure ingénieuse.
Je ne parais, mon aimable Thérèse, que parce tu m’as appelé. Es-tu
déterminée ? — Oui, cher amant ! m’écriai-je, je suis toute à toi !
frappe-moi, je ne crains plus tes coups. »
À l’instant, vous tombâtes entre mes bras ; je saisis, sans hésiter,
la flèche qui jusques alors m’avait paru si redoutable, et je la plaçai
moi-même à l’embouchure qu’elle menaçait ; vous l’enfonçâtes, sans que
vos coups redoublés m’arrachassent le moindre cri : mon attention, fixée
sur l’idée du plaisir, ne me laissa pas apercevoir le sentiment de la
douleur.
Déjà l’emportement semblait avoir banni la philosophie de l’homme
maître de lui-même, lorsque vous me dites avec des sons mal articulés :
Je n’userai pas, Thérèse, de tout le droit qui m’est acquis : tu crains
de devenir mère, je vais te ménager ; le grand plaisir s’approche ;
porte de nouveau ta main sur ton vainqueur, dès que je le retirerai, et
aide-le, par quelques secousses, à… Il est temps, ma fille ; je… dé…
plaisir… — Ah ! je meurs aussi, m’écriai-je ; je ne me sens plus, je…
me… pâ…me !… »
Cependant, j’avais saisi le trait, je le serrais légèrement dans ma
main, qui lui servait d’étui, et dans laquelle il acheva de parcourir
l’espace qui le rapprochait de la volupté. Nous recommençâmes, et nos
plaisirs se sont renouvelés, depuis dix ans, dans la même forme, sans
trouble, sans enfants, sans inquiétude.
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