En Espagne aussi...
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La « Terreur », de Robespierre à Daech, en passant par Podemos
Par Florence Gauthier, Historienne
Un nouvel accès d’un prurit « terrorisant » frappe depuis quelques temps ! Il a été réactivé récemment par Pedro J. Ramirez, ancien directeur du journal El Mundo, de Madrid, qui a publié un pavé de près de 1000 pages, intitulé en espagnol : El primer naufragio, 2013, traduit en français sous le titre provocateur suivant : Le Coup d’état. Robespierre, Danton et Marat contre la démocratie, Paris Vendémiaire, 2014. Et le 10 juin 2015, dans le journal ''Ouest-France'', le sociologue Michel Wieviorka s’en prend à son tour à Robespierre, pour le comparer… à Daech !
Il faut noter que Pedro J. Ramirez a tenu à induire une comparaison avec Pablo Iglesias, fondateur du parti Podemos, non dans son livre, dans lequel il n’en dit mot, mais dans les interviews qu’il donne au sujet de son livre : il compare alors Iglesias et Robespierre, exprimant ses positions politiques personnelles.
Partant
de la situation actuelle marquée par un accroissement inquiétant de la
dette publique, que le gouvernement Rajoy a continué d’augmenter, il la
compare avec celle de la France… en 1789. Iglesias et Podemos
représentent, à ses yeux, un danger car ils risquent d’être les
bénéficiaires de cette politique désastreuse. C’est ainsi que Pablo
Iglesias devient un nouveau Robespierre, représentant une menace pour
l’Espagne, mais aussi l’indicateur de l’urgence d’imposer un changement
de politique : si le parti de Rajoy n’est pas remplacé, la menace d’un
Podemos « terroriste » se réalisera ! Tel est l’objet de l’argumentation
de son livre.
L’auteur doit alors prouver que Podemos ne pourra rien faire d’autre
que répéter la « Terreur » et s’est donc efforcé de faire le récit de
« la prise de pouvoir par Robespierre, Danton et Marat » en forme… de
Coup d’état ! C’est assez osé et même fort audacieux car, si l’événement
des 31 mai-2 juin 1793 a bien eu lieu, il est richement documenté et
n’a donné lieu à aucune violence, ni juridique, ni physique !
Je rappelle rapidement ce qu’il s’est passé, car c’est fort intéressant !
Pablo Iglesias |
Je rappelle rapidement ce qu’il s’est passé, car c’est fort intéressant !
La Révolution du 10 août 1792 avait renversé la monarchie et la
Constitution aristocratique de 1791, réservant le droit de vote aux
« riches », pour établir une République démocratique en France. Une
nouvelle Assemblée législative fut élue en septembre 1792, la
Convention. Le premier gouvernement fut girondin, mais s’opposa à la
démocratisation de la société et crut s’en débarrasser en déclarant la
guerre à tous ses voisins ! Mauvais calcul, l’offensive militaire échoua
et précipita la chute du gouvernement de la Gironde.
Or, les institutions démocratiques de l’époque concevaient les élus comme des commis de confiance, ce qui signifie qu’ils étaient responsables devant leurs électeurs. Et la Révolution des 31 mai 1793 consista très précisément dans l’exercice pratique du rappel des mandataires infidèles : les électeurs s’étaient exprimés dans les mois qui précédèrent, réclamant la destitution de ces mandataires parce que, précisément, ils ne leur faisaient plus confiance.
Cela fut réalisé le 31 mai et vingt-deux députés de la Gironde furent ainsi destitués et renvoyés dans leurs foyers.
Il est vrai que cette institution, démocratique par excellence, n’est plus pratiquée dans nos systèmes électoraux actuels et qu’il faudrait à nouveau l’enseigner dans les écoles de sciences politiques, pour se familiariser avec ses relations intimes et fortes avec la souveraineté populaire et avoir les moyens de la reconnaître lorsqu’elle est mise en pratique. On éviterait ainsi que l’ignorance se trahisse, comme le révèle la lecture du gros livre de Pedro J. Ramirez.
Or, les institutions démocratiques de l’époque concevaient les élus comme des commis de confiance, ce qui signifie qu’ils étaient responsables devant leurs électeurs. Et la Révolution des 31 mai 1793 consista très précisément dans l’exercice pratique du rappel des mandataires infidèles : les électeurs s’étaient exprimés dans les mois qui précédèrent, réclamant la destitution de ces mandataires parce que, précisément, ils ne leur faisaient plus confiance.
Cela fut réalisé le 31 mai et vingt-deux députés de la Gironde furent ainsi destitués et renvoyés dans leurs foyers.
31 mai 1793 : les Girondins fac aux Sans-Culottes |
Il est vrai que cette institution, démocratique par excellence, n’est plus pratiquée dans nos systèmes électoraux actuels et qu’il faudrait à nouveau l’enseigner dans les écoles de sciences politiques, pour se familiariser avec ses relations intimes et fortes avec la souveraineté populaire et avoir les moyens de la reconnaître lorsqu’elle est mise en pratique. On éviterait ainsi que l’ignorance se trahisse, comme le révèle la lecture du gros livre de Pedro J. Ramirez.
Il demeure ainsi très difficile de démontrer que Robespierre, Danton
et Marat, qui étaient déjà tous trois élus députés, auraient réalisé un
« Coup d’état » au 31 mai 1793 et, de plus, quelques jours plus tard, la
Convention votait la Constitution du 24 juin 1793, que le gouvernement
girondin s’était acharné à éluder jusque-là !
Non, décidemment, Pedro J. Ramirez ne parvient pas à nous
« terroriser » à ce sujet, même s’il oublie de mentionner le vote de
cette Constitution dans son livre… Et le premier Coup d’état reste bien
celui du général Bonaparte, le 18 brumaire-9 novembre 1799, et tout à
fait militaire !
Mais reprenons l’évolution de ce prurit « terrorisant » récent.
Xavier Bertrand, député-maire de Saint-Quentin dans l’Aisne, a déclaré à BFMTV, le 5 mai 2015, à propos des relations extrêmement tendues entre Le Pen père et sa fille, au sein du Front national : « Quand son père monte à la tribune du 1er mai, vous voyez plus qu’une gêne. On voit bien qu’elle n’arrive pas à diriger son parti. Quand on ne réussit pas à diriger son parti, on ne peut diriger ni un pays, ni une grande région. C’est cette limite-là qu’elle est en train de montrer. Et vous n’empêcherez pas aujourd’hui certains de vouloir leur règlement de comptes internes. Regardez Monsieur Philippot, on dirait un petit Robespierre qui veut la tête de Louis XVI. C’est ça aujourd’hui le FN ».
Xavier Bertrand, député-maire de Saint-Quentin dans l’Aisne, a déclaré à BFMTV, le 5 mai 2015, à propos des relations extrêmement tendues entre Le Pen père et sa fille, au sein du Front national : « Quand son père monte à la tribune du 1er mai, vous voyez plus qu’une gêne. On voit bien qu’elle n’arrive pas à diriger son parti. Quand on ne réussit pas à diriger son parti, on ne peut diriger ni un pays, ni une grande région. C’est cette limite-là qu’elle est en train de montrer. Et vous n’empêcherez pas aujourd’hui certains de vouloir leur règlement de comptes internes. Regardez Monsieur Philippot, on dirait un petit Robespierre qui veut la tête de Louis XVI. C’est ça aujourd’hui le FN ».
L’auteur de cette allusion à la Révolution française relie
Robespierre au procès du roi, comme s’il avait été question alors d’une
décision d’un individu isolé, mais pas du tout ! Le procès du roi a été
longuement débattu à la Convention et voté à une majorité de députés,
dont on connaît fort bien le détail des votes.
Quant à l’allusion à « la mort du père », par un tiers, dans la famille
Le Pen, là encore, la chose fait davantage sourire qu’elle ne
« terrorise ».
Le plus récent accès de prurit est signé par Michel Wieviorka, dans
Ouest-France, le 10 juin 2015. L’auteur se lance dans une comparaison
entre Daech et Robespierre et se félicite de l’excellence de son idée (à
moins que le titre ne soit de la rédaction ?) : « La comparaison entre
Daech et la France de Robespierre choquera peut-être. Elle n’en est pas
moins instructive ».
On retrouve ici, une tonalité certes excessive, mais qui se rapproche de celle de Ramirez. Jugeons-en : « En 2015 au Moyen-Orient comme en 1793 en France, un ou deux Etats pourraient se construire dans le sang. La bien nommée Terreur a été précédée par des massacres de prêtres, prélude aux guerres de Vendée. Un décret du 31 juillet 1793 demandait la destruction des tombeaux royaux et autres mausolées dans toutes la République. Daech n’a rien inventé (…) »
Robespierre est ici le responsable du massacre des prêtres, des guerres de Vendée et de la destruction des tombes des rois : c’est « la bien nommée Terreur » ! Wieviorka a raison de penser que sa formule à l’emporte pièce « choquera peut-être », mais je suis moins « choquée » par ses propos que par la découverte de l’ampleur de son ignorance concernant les faits de la période révolutionnaire … et pourtant, ce ne sont pas les sources qui manquent pour les connaître.
Michel Wieviorka |
On retrouve ici, une tonalité certes excessive, mais qui se rapproche de celle de Ramirez. Jugeons-en : « En 2015 au Moyen-Orient comme en 1793 en France, un ou deux Etats pourraient se construire dans le sang. La bien nommée Terreur a été précédée par des massacres de prêtres, prélude aux guerres de Vendée. Un décret du 31 juillet 1793 demandait la destruction des tombeaux royaux et autres mausolées dans toutes la République. Daech n’a rien inventé (…) »
Robespierre est ici le responsable du massacre des prêtres, des guerres de Vendée et de la destruction des tombes des rois : c’est « la bien nommée Terreur » ! Wieviorka a raison de penser que sa formule à l’emporte pièce « choquera peut-être », mais je suis moins « choquée » par ses propos que par la découverte de l’ampleur de son ignorance concernant les faits de la période révolutionnaire … et pourtant, ce ne sont pas les sources qui manquent pour les connaître.
Le massacre des prêtres : Robespierre, en tant que député élu chaque
mois par la Convention au Comité de salut public, depuis le 17 juillet
1793, a refusé la « déchristianisation », menée par deux courants, l’un
de « défanatisateurs sectaires », l’autre de contre-révolutionnaires qui
cherchaient à tirer profit des divisions créées par les premiers !
Robespierre a réclamé l’application des principes de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen concernant la liberté de conscience : il
en a même été puni par l’historiographie adepte de la « défanatisation
intolérante », qui a voulu voir en lui un obscur défenseur de la
religion catholique et le grand prêtre d’une religion supposée de l’Etre
suprême ! Alors qu’il défendait le principe de la liberté des cultes de
la Déclaration des droits ! Comme Daech probablement ?
Sur les guerres de Vendée : M. Wieviorka sombre aussi dans leur
inévitable instrumentalisation depuis qu’une historiographie, datant du
bicentenaire et pilotée par le lobby vendéen, partie à la recherche d’un
génocide dans la Révolution française, n’a pu dépasser le ridicule d’un
supposé « génocide… franco-français » … en Vendée ! Robespierre n’y
joue d’ailleurs aucun rôle particulier, contrairement à la propagande
que martèle sans relâche ce lobby vendéen.
Quant aux destructions de tombeaux des rois, le député Grégoire a
fait voter à la Convention des mesures contre ce qu’il appelait le
« vandalisme qui ne connaît que la destruction » et qu’il qualifiait de
« barbarie contrerévolutionnaire ». Ces mesures ont été soutenues par
Robespierre et, là encore, il est difficile de lui faire porter le
chapeau !
Comparer le vandalisme de la période révolutionnaire aux actes commis
par Daech est non seulement erroné, mais ridicule et M. Wieviorka
aurait été mieux inspiré de les comparer avec la destruction de la
civilisation romaine au moment de la chute pluriséculaire de l’Empire
romain d’Occident, qui a non seulement détruit des monuments, mais la
langue, la littérature et des bibliothèques…
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