mardi 14 juillet 2015

Voltaire contre l'abbé Desfontaines (2)


Les premiers déboires rencontrés par l'abbé Desfontaines ne vont pas l'empêcher de récidiver. 
Desfontaines
Arrêté une nouvelle fois fin avril 1725 (voir ci-dessous) pour des crimes de sodomie sur des petits savoyards, l'ecclésiastique a l'affront de se plaindre de cette détention auprès du lieutenant de police d'Ombreval :

Il y a six mois et plus que vous me fîtes arrêter, et que vous m’élargîtes le même jour. Vous savez que je vous promis alors, en homme d’honneur, de ne donner jamais lieu à aucun nouveau soupçon, et vous me promîtes de n’avoir plus d’égard aux soupçons passés. M. l’abbé Bignon vous a promis pour moi la même chose, et vous lui avez dit que l’on ne m’inquiéterait plus, si je ne donnais lieu dorénavant à de nouveaux soupçons. « Je vous jure que j’ai été parfaitement sur mes gardes depuis six mois, et que je n’ai pas permis à aucun jeune homme d’approcher de chez moi. » (...) Ayez la bonté de vous souvenir que je suis un homme en place, connu à Paris, et dans toute l’Europe, par mon journal et mes autres écrits. Quel scandale affreux, si l’on sait dans le monde l’état honteux où je suis; étant très régulier depuis longtemps, je ne m’y attendais pas. Tout le monde vous parlera de moi, comme d’un homme de bien et de moeurs. Mon malheur est de n’être pas assez connu de vous, je suis persuadé que je ne serais pas déshonoré, comme je suis. Je vous supplie de m’élargir sitôt que vous serez arrivé, il n’y a point encore de mal, si cela ne dure point, mais si je reste ici longtemps, la religion et les lettres sont absolument déshonorées. 
P. S. — Faites, s’il vous plaît, réflexion que je suis un homme de condition, parent de M. de Novion et allié de M. l’abbé Bignon.
Craignant le bûcher, Desfontaines écrit une nouvelle supplique en date du 8 mai :
(...)Vous vouliez me faire exiler il y a 6 mois, exilez-moi maintenant, vous me sauverez la vie.
C’est un exil, seigneur, que mes pleurs vous demandent.
Je vous en aurai une obligation éternelle; si je reste encore quelque temps ici, je mourrai ou je deviendrai fou; la nourriture, la captivité, l’oisiveté, la solitude attaqueront tout ensemble mon corps et mon esprit. Je me recommande à votre miséricorde, et j’attends tout de votre compassion; si vous daigniez me faire l’honneur de me parler, ce serait pour moi une grande consolation; je dois être tel à vos yeux que j’étais il y a 6 mois, quand vous me parlâtes avec tant de bonté; je n’ai pas fait la moindre faute depuis (...)
Diot et Lenoir, deux homosexuels brûlés en place de Grêve

Dans le même temps, il envoie une autre missive à Voltaire et le prie de venir à son secours. Ce dernier, qui ne connaît l'abbé que depuis peu, n'hésite pourtant pas à voler à son secours. Il se transporte à Fontainebleau, où se trouve la Cour, et se jette aux pieds de Monsieur de Fréjus, futur premier ministre et ancien précepteur du jeune Louis XV. 
Le biographe Desnoiresterres nous explique l'importance que revêt l'intervention :
--> Il n’y avait pas matière à raillerie. Ces monstruosités n’étaient que trop à la mode et un exemple allait devenir indispensable. On commençait à instruire l’affaire et il était plus qu’urgent d’arrêter la procédure. Si Desfontaines avait des amis, il fallait qu’ils fussent ou peu empressés ou peu influents, puisque ce fut un ami de quinze jours, Voltaire, auquel il avait été présenté par Thiériot, qui prit l’initiative des démarches. Il y avait déjà quelque mérite à s’entremettre en semblable occurrence; et la vivacité, le zèle que témoigna le poète ne pouvaient que décupler la somme de reconnaissance dont l’abbé Desfontaines devenait le débiteur ...
Etrange Voltaire qu'on a si souvent connu cruel et implacable, et qui, en la circonstance, vient en aide à un quasi inconnu pour lui sauver la mise...
En effet, fin mai, le lieutenant de police exauce le souhait du détenu et ordonne de "... prendre un ordre de liberté et de relégation à 30 lieues de Paris."
(à suivre)

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