Diderot est arrêté le 24 juillet 1749, sur ordre du comte d'Argenson, puis conduit en prison de Vincennes. Les archives de la Bastille rendent précisément compte de la chronologie des événements :
Du lieutenant de la Librairie Hémery au lieutenant de police Berryer (24/07) :
J’ai l’honneur de vous rendre compte que j’ai arrêté et conduit
au donjon de Vincennes, M. Diderot, en vertu de l’ordre du Roi anticipé,
en date du jour d’hier. Le commissaire de Rochebrune a préalablement
fait une perquisition dans son appartement; il ne s’y est trouvé
aucun manuscrit, mais seulement 3 exemplaires du livre intitulé
Lettre sur les aveugles.
De François-Bernardin du Châtelet, gouverneur du château de Vincennes, au lieutenant de police Berryer (24/07) :
Le sieur Diderot a été
amené ce matin par un exempt, avec votre ordre ; je l’ai fait passer
sur-le-champ dans le donjon. Vous voudrez bien me faire savoir la manière
dont il sera traité. J’espère qu’on lui apportera aujourd’hui
bonnet de nuit et linge.
L'interrogatoire a lieu une semaine plus tard, en date du 31 juillet.
« Interrogatoire de l'ordre du Roi, fait par nous Nicolas-René Berryer, chevalier, conseiller du Roi en ses conseils, maître des requêtes ordinaire de son hôtel, lieutenant-général de police de la ville, prévoté et vicomté de Paris, commissaire du Roi en cette partie.
« Au sieur Diderot, prisonnier de l'ordre du Roi au donjon de Vincennes. (...)
«Interrogé de ses nom, surnoms, âge, qualité, pays, demeure, profession et religion;
« A dit se nommer Denis
Diderot, natif de Langres, agé de trente-six ans, demeurant à Paris,
lorsqu'il a été arrêté, rue vieille Estrapade, paroisse de SaintEtienne
du mont, de la religion catholique, apostolique et romaine.
« Interrogé s'il n'a pas composé un ouvrage intitulé: Lettres sur les aveugles, à l'usage de ceux qui voient.
« A répondu que non.
« Interrogé par qui il a fait imprimer le dit ouvrage.
« A répondu qu'il n'a point fait imprimer le dit ouvrage.
« Interrogé s'il n'en a pas vendu ou donné le manuscrit à quelqu'un. A répondu que non. (...)
En fait, Diderot nie tout en bloc. Il n'est l'auteur d'aucun ouvrage licencieux, ni de la Lettre sur les aveugles, ni des Bijoux indiscrets, ni même de l'Oiseau blanc ! L'homme n'est pas sot : il sait qu'il dispose d'appuis, et jusqu'à Versailles. Il ne lui reste donc qu'à attendre son élargissement. Déjà, en date du 29 juillet, il a demandé en vain l'autorisation de se promener dans la cour du château.
la Pompadour pose devant un volume de l'Encyclopédie |
Le Libraires en charge de la publication de l'Encyclopédie ont immédiatement réagi en sollicitant d'Argenson :
LEBRETON, DAVID L’AÎNÉ,
DURAND BRIASSON, LIBRAIRES, A D’ARGENSON.
Nous prenons la liberté de nous mettre sons la protection de
V. G., et de lui représenter les malheurs auxquels nous expose la
détention de M. Diderot, conduit ce matin à Vincennes, par
ordre du Roi; c’est un homme de lettres d’un mérite et d’une probité
reconnus; nous l’avons chargé depuis près de 5 ans de l’édition
d’un Dictionnaire universel des sciences, des arts et métiers. Cet
ouvrage, qui nous coûtera au moins 250,000 liv., et pour lequel nous
avons déjà avancé plus de 80,000 liv., était
sur le point d’être annoncé au public. La détention
de M. Diderot, le seul homme de lettres que nous connaissions capable d’une
aussi vaste entreprise, et qui possède seul la clef de toute cette
opération, peut entraîner notre ruine. Nous osons espérer que V. G. voudra bien se laisser toucher de
notre situation et nous accorder la liberté de M. Diderot. Dans
la recherche exacte qui a été faite de ses papiers, il ne
s’est rien trouvé qui puisse aggraver la faute par laquelle il a
eu le malheur de déplaire à V. G., et nous croyons pouvoir
l’assurer que, quelle que soit cette faute, il n’y retombera jamais.
Mais d'Argenson fait la sourde oreille, et en ce début de mois d'août 1749, Diderot commence à trouver le temps long.
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