dimanche 17 janvier 2016

Les philosophes en prison (4)

(lire l'article précédent)

Cette confession a porté ses fruits puisque le lieutenant général Berryer informe le marquis du Châtelet que Diderot peut désormais sortir du donjon et circuler en toute liberté sur les terres du château : « Sa Majesté voulait bien aussi, en considération du travail de libraire dont il est chargé, permettre qu'il communiquât librement et sous les précautions d'usage, par lettres ou de vive voix, dans le château, avec les personnes du dehors qui y viendraient soit à cet effet ou pour ses affaires domestiques (...) et que vous voudrez bien lui faire donner au château une ou deux chambres commodes pour coucher et travailler, avec un lit et les autres ustensiles que vous avez coutume de fournir aux prisonniers du donjon, et rien au-delà, sauf à lui s'il veut de plus grandes commodités de se les procurer à ses dépens ». 


le château de Vincennes
A en croire sa fille Mme de Vandeul, ses conditions de détention apparaissent dès lors particulièrement adoucies :
Quelques lignes plus loin, elle ajoute même :
"il passa par-dessus les murs du parc, fut à Champigny, y vit sa maîtresse avec son nouvel amant, revint, coucha dans le parc. Le lendemain matin, il fut prévenir M. du Châtelet de son équipée, et cette petite aventure accéléra sa rupture avec Mme de Puisieux..."


Pourtant, si Diderot est autorisé à circuler librement au sein de l'enceinte du château, et même à recevoir des visites (celle de Rousseau est mémorable, celles rendues par sa maîtresse Mme de Puisieux fort cocasses), on ne lui accorde pas encore le droit de rentrer à Paris pour y reprendre l'entreprise encyclopédique. 
Au cours du mois de septembre, les libraires tentent à nouveau leur chance auprès du comte d'Argenson :
« Les libraires intéressés à l'édition de l'Encyclopédie, pénétrés des bontés de votre grandeur, la remercient très humblement de l'adoucissement qu'elle a bien voulu apporter à leurs peines en rendant au sieur Diderot, leur éditeur, une partie de sa liberté. Ils sentent tout le prix de cette grâce; mais si, comme ils croient pouvoir s'en flatter, l'intention de votre grandeur, touchée de leur situation, a été de mettre le sieur Diderot en état de travailler à l'Encyclopédie, ils prennent la liberté de lui représenter très humblement que c'est une chose absolument impraticable: et, fondés sur la persuasion dans laquelle ils sont que votre grandeur a la bonté de s'intéresser à la publicité de cet ouvrage et aux risques qu'ils courraient d'être ruinés par un plus long retard, ils mettent sous ses yeux  un détail vrai et circonstancié des raisons qui ne permettent pas que  le sieur Diderot continue à Vincennes le travail de l’Encyclopédie. (…) Les libraires supplient Votre Grandeur de vouloir bien se laisser  toucher de nouveau de l'embarras sérieux dans lequel les jette l'éloignement du sieur Diderot et de leur accorder son retour à Paris en  faveur de l'impossibilité où il est de travailler à Vincennes"

De son côté, Diderot fait une nouvelle fois amende honorable auprès de Berryer :

"Le sieur Diderot, détenu de l'ordre du Roi au château de Vincennes depuis le mois de juillet, demande sa liberté ; Observe qu'il est l'éditeur de l'Encyclopédie, ouvrage de longue haleine, qui comporte des détails infinis, auxquels il ne peut vaquer étant retenu prisonnier ; Promet de ne rien faire à l'avenir qui puisse être contraire en la moindre chose à la religion et aux bonnes mœurs. "

(à suivre)

 

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