mardi 26 janvier 2016

A propos du centralisme jacobin, par Florence Gauthier (1)

-->
 
l'historienne Florence Gauthier


La révolution en France commença plutôt bien lorsque l’extraordinaire crise - principalement financière car il y avait une dette impressionnante - conduisit le roi Louis XVI à convoquer son conseil élargi, les États généraux. La consultation fut faite à un suffrage fort ouvert puisque les députés étaient élus, dans les campagnes, par tous les chefs de feu (chef de maison). Et il y avait beaucoup de chefs de feu qui étaient des femmes et qui participèrent à l’élection. Le roi pensait limiter son grand conseil à la question financière, mais tout de suite, les députés posèrent tous les problèmes, et en premier lieu celui de la souveraineté. Comme le roi s’entêtait, quelques députés osèrent penser sans l’aide du roi et même contre lui et ils entraînèrent une partie de chacun des trois ordres, clergé, noblesse et Tiers état, à opérer une révolution en se déclarant assemblée nationale constituante et en jurant de ne pas se séparer avant d’avoir donné une constitution au peuple français.



Ce fut dans cette effervescence que se forma un club de députés qui prit le nom de Société des Amis de la Constitution. Le nom, on le voit, correspondait à cette première action.




Les États généraux avaient été réunis par le roi à Versailles et commencèrent le 5 mai 1789. La révolution juridique qui transforma les États généraux en Assemblée nationale constituante se fit les 17 et 20 juin suivants. Ce fut donc l’acte I de la révolution. C’était bien d’avoir osé, mais le roi ne voulait rien entendre et se préparait à faire arrêter les députés et à en finir avec cette cohue à Versailles. Ce fut alors que se produisit l’acte II de la révolution sous la forme d’une immense jacquerie comme on en avait jamais vu encore en France ou ailleurs. Cela commença au début du mois de juillet 1789 et se termina à la fin du même mois, trois semaines environ et le pays avait complètement changé ! Que s’était-il passé?



Inquiets des nouvelles qui arrivaient par les lettres de leurs députés, les paysans s’étaient pris en mains et avaient décidé de dire clairement à la seigneurie qu’ils ne voulaient plus du régime féodal avec sa hiérarchie, la justice du seigneur, les rentes à payer et tous ces droits sur les routes, les ponts, les marchés et partout, les confiscations des biens communaux dont les villages avaient besoin pour vivre, bois interdits aux villageois, usages sur les communaux devenus payant etc…Eh bien, tout cela allait changer. Les habitants s’étaient réunis sur la place du village et avaient organisé des visites du château du seigneur pour lui dire, à lui ou à son représentant, que c’était terminé et qu’ils ne payeraient plus les rentes féodales. Et ils l’avaient fait. Des groupes de cent à deux cents habitants, armés de leurs instruments de travail, arrivaient au château qui les faisait entrer. Les habitants demandaient les titres de propriété du seigneur et les brûlèrent. À la nuit tombante, le seigneur logea et nourrit les habitants qui souvent dormirent sur place et s’en allèrent le lendemain.



Le plus étonnant fut de constater que ces mêmes faits se reproduisirent dans tout le pays traversé par cette jacquerie, soit plus des trois quarts du royaume. Et en même temps, les institutions de la monarchie s’effondrèrent comme château de cartes, lorsque les intendants disparurent, se terrant chez eux ou fuyant ! L’Assemblée était sauvée par la jacquerie.



Cependant, de nombreux députés prirent sérieusement peur devant ce mouvement populaire. Où allait-on si le peuple s’en mêlait comme il l’avait aussi fait dans les villes et à Paris en prenant le pouvoir local ? Les rentes féodales portaient sur la moitié des terres cultivées environ : les seigneurs refusaient de perdre la moitié de leur fortune. Il leur faudrait alors s’opposer au mouvement paysan.



La contre-révolution seigneuriale, largement représentée dans l’Assemblée constituante, n’avait cependant pas les coudées franches pour agir à la fin du mois de juillet 1789. Il lui fallut composer et ce qui ressort des décrets de la Nuit du 4 août est le résultat suivant. L’Assemblée réussit l’exploit de rendre hommage à l’intervention populaire tout en lui retirant les fruits de sa victoire. En effet, elle décréta d’un côté : « L’Assemblée détruit entièrement le régime féodal », et de l’autre elle retint le principe du rachat des droits féodaux que les paysans seraient contraints de faire pour se libérer. Ce rachat était impossible aux paysans pauvres.



Elle dut encore accepter de donner une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pour répondre aux doléances du peuple.



La Déclaration des droits fut votée le 26 août 1789. Ce texte condense la théorie politique de la révolution qui se situe dans la tradition de la philosophie politique anglaise, et plus précisément lockienne. Son préambule résume de façon saisissante les principes des « républicains » de l’époque et ceux des droits de l’Humanité tels que présentés précédemment.




Le principe de la souveraineté, comme bien commun du peuple, en est le fondement. Les pouvoirs publics sont non seulement séparés, mais aussi hiérarchisés, le législatif étant le pouvoir suprême. Ce pouvoir législatif était formé de l’ensemble des textes de nature constituante, comme l’était alors la Déclaration des droits, du corps législatif formé des députés élus et enfin des pouvoirs des citoyens eux-mêmes qui élisent les députés, contrôlent le respect des principes et disposent de ce droit de résistance à l’oppression (art. 2), qui est une des caractéristiques de la théorie politique de ces républicains.



L’article premier rappelle ce birthright, ce premier droit de l’Humanité : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »



En conséquence des journées populaires des 5 et 6 octobre 1789, le roi et l’Assemblée durent s’installer à Paris. La Société des Amis de la Constitution se trouva un lieu de réunion rue Saint-Honoré, dans un couvent des Dominicains surnommés Jacobins à cause du nom de la rue Saint-Jacques où se trouvait la maison-mère. On disait alors pour la désigner, la Société des Amis de la Constitution séante aux Jacobins. Ce furent les adversaires de cette société qui créèrent ces dénominations alors péjoratives, puis insultantes, de « Jacobins » et de « Jacobinisme ».




Ce fut donc sur le clivage qui apparut à la suite de l’insurrection populaire de juillet 1789, appelée Grande Peur, que l’Assemblée constituante se divisa en un « côté gauche » qui voulait appliquer les principes de la révolution, c’est-à-dire ceux de la Déclaration des droits, et un « côté droit » qui fit tous ses efforts pour l’en empêcher et se débarrasser de ce texte.



La Société des Amis de la Constitution qui regroupait les députés du « côté gauche » devint l’enjeu de luttes acharnées car différents courants du « côté droit » voulurent en prendre la direction et y parvinrent au début de l’année 1790 : le parti de Barnave s’empara de la Société de Paris, mais ne réussit pas en province. On peut voir les progrès du parti de Barnave à l’Assemblée comme à la Société depuis 1790 jusqu’au printemps 1791. La Constitution contre-révolutionnaire de 1791 en fut le résultat.

(à suivre ici)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour commenter cet article...