Décrété de prise de corps en 1762, Rousseau fut contraint de fuir le royaume et de se réfugier en Suisse, puis en Angleterre.
Après huit années d'errance, le Genevois obtint l'autorisation de revenir à Paris.
Au grand dam de ses anciens amis philosophes, effrayés du contenu de ces Confessions que le Genevois venait d'achever. Dans la Correspondance Littéraire, Melchior Grimm reprit aussitôt sa campagne de dénigrement et de calomnie...
***
JUILLET 1770
Retour de J.-J. Rousseau à
Paris :
son mariage, son changement de costume, inconvénients
de sa popularité.
J.-J. Rousseau (...) est à Paris depuis environ un mois avec sa
gouvernante, Mlle Le Vasseur, dont il a enfin fait sa femme. Il a quitté
la casaque arménienne et repris l’habit français.
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Rousseau habillé à l'arménienne |
On a fait
à cette occasion un conte impertinent qui calomnie la vertu de Mme
Jean-Jacques, et encore plus le goût de celui qui aurait péché
avec elle. On prétend que son mari, l’ayant surprise in flagrante
avec
un moine, quitta l’habit arménien sur-le-champ, disant qu’il avait
voulu se distinguer jusqu’à présent à l’extérieur
des autres, ne se croyant pas un homme ordinaire; mais qu’il voyait bien
qu’il s’était trompé, et qu’il était dans la classe
commune. Je crois que l’espérance de revenir à Paris a eu
plus de part à ce changement d’habit que les fredaines de Mme Rousseau.
On n’aurait jamais obtenu la permission de reparaître ici pour l’Arménien,
mais on a déterminé M. le procureur général
à laisser Jean-Jacques en habit français à Paris.
La seule condition que ce magistrat ait exigée, c’est de ne plus
écrire, ou du moins de ne rien faire imprimer. Le retour de cet
homme singulier dans une ville où il a passé la plus grande
partie de sa vie, et qui seule lui convient dans l’univers, a fourni pendant
quelques jours un sujet de conversation à Paris. Il s’est montré
plusieurs fois au café de la Régence, sur la place du Palais-Royal;
sa présence y a attiré une foule prodigieuse, et la populace
s’est même attroupée sur la place pour le voir passer. On
demandait à la moitié de cette populace ce qu’elle faisait
là; elle répondait que c’était pour voir Jean-Jacques.
On lui demandait ce que c’était que Jean-Jacques; elle répondait
qu’elle n’en savait rien, mais qu’il allait passer. On fit cesser cette
représentation en exhortant M. Rousseau à ne plus paraître
ni à ce café, ni dans aucun autre lieu public; et, depuis
ce temps-là, il s’est tenu plus retiré. En effet, il suffirait
d’une mauvaise tête parmi nos seigneurs les conseillers des enquêtes
et requêtes pour le dénoncer, et obliger le procureur général
de poursuivre le décret de prise de corps qui subsiste toujours,
ce qui forcerait le pauvre Jean-Jacques à s’éloigner de nouveau;
mais, en évitant la trop grande publicité, il ne sera pas
dans ce cas-là. Il va d’ailleurs beaucoup dans le monde, chez les
belles dames; il a déposé sa peau d’ours avec l’habit arménien,
et il est redevenu galant et doucereux. Il va souper aussi chez Sophie
Arnould, avec l’élite des petits-maîtres et des talons-rouges,
et il paraît que c’est Rulhière qu’il a choisi pour conducteur.
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l'actrice Sophie Arnould |
Quant au métier, ayant renoncé à celui des lettres
jusqu’à nouvel ordre, il a repris la profession de copiste de musique;
il convient qu’il a été mauvais copiste autrefois, parce
que, dit-il, il avait alors la manie de composer des livres; mais actuellement
qu’il est revenu dans son bon sens, il prétend n’avoir pas son pareil;
il lui faut, dit-il encore, gagner quinze cents livres par an avec ses
copies pour être à son aise.
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