samedi 3 septembre 2016

L'affaire Girard-Cadière (1)


Jean-Baptiste Girard, prédicateur, confesseur et directeur de conscience est nommé à la direction du séminaire de Toulon en 1728. Précédé d'une grande réputation, aidé par le pouvoir de la Compagnie de Jésus, il s'entoure rapidement d'une cour de dévotes, plus ou moins jeunes, que les discours satiriques nommeront "girardines". Les jésuites, installés depuis 1685 à Toulon, rentrent en concurrence avec les autres ordres religieux, notamment les carmes et les oratoriens. Cette affaire est donc avant tout un sujet d'histoire religieuse.
Le jésuite Jean-Baptiste Girard
Girard rencontre Catherine Cadière en 1729. Cette dernière âgée de 19 ans, piquée de sainteté, nourrie de la lecture des vies de saintes, s'entiche de ce directeur qui paraît être le plus à même de satisfaire ses ambitions mystiques. Elle est, sinon influencée, du moins aidée par deux de ses frères, eux-mêmes ecclésiastiques qui la recommandent au jésuite...
Rapidement la fréquence des visites de Jean-Baptiste Girard au domicile des Cadière, les convulsions et les stigmates présumés de la jeune fille alimentent la rumeur. Un fait divers relativement banal pour l'Ancien Régime...Pour couvrir les bruits de l'opinion publique, Girard éloigne sa pénitente au couvent sainte Claire d'Ollioules. Il s'échangent de nombreuses lettres pendant l'année 1730, Girard continue de lui rendre visite (Ollioules est un village à quelques lieues de Toulon), et le scandale ne tarde pas à éclater. Sous l'influence de ses deux frères, et du père Nicolas, carme déchaussé, son nouveau confesseur, Catherine accuse Girard d'inceste spirituel, de rapt et d'enchantement.




Cette histoire devient alors une affaire judiciaire, sur fond de querelle entre jésuites et jansénistes. 
Après une première instruction des autorités toulonnaises, un arrêt du Conseil du Roi transfère l'instruction au Parlement de Provence, l'autorité judiciaire de la Province depuis 1501. Le Parlement est présidé par le puissant Lebret, également Intendant, et proche des jésuites.
Les relations du Père Girard et de Catherine Cadière passionnent la population et les parlementaires qui se divisent et se déchirent.  
Les mémoires des avocats, les chansons, vers et libelles, les correspondances alimentent les discussions et nourrissent les débats. Qui est coupable ? 
Les prises de positions, les engagements vont au-delà de la sympathie pour les personnages ou de la conviction; elles dépendent aussi de l'appartenance à un réseau, du jeu complexe des sociabilités nobles ou bourgeoises. On est pro-jésuite ou plutôt philo-janséniste. Le contexte politique et religieux interfère avec le déroulement du procès.
Le 11 septembre 1731 un premier verdict est rendu par la Grand Chambre qui innocente Girard et condamne la Cadière à la potence sur la place des Prêcheurs.

Du 11 Septembre 1731.    
VU le Jugement des objets, ensemble les procédures criminelles et les pièces civiles produites par toutes les Parties, je n’empêche être ordonné que sans s’arrêter à la Requête de Catherine Cadière du 13 Août dernier, en faisant droit sur le fond et principal, le P. Jean Baptiste Girard sera mis sur la plainte de ladite Cadière et sur la mienne, hors de Cour et de Procès; et faisant droit à ma réquisition et plainte contre ladite Cadière, elle sera déclarée atteinte et convaincue des cas de crimes, de fausse et calomnieuse accusation, et d’avoir abusé de la Religion et profané les mystères, d’avoir faussement contrefait la Sainte, et ensuite la possédée, au grand scandale de la Religion : pour réparation de quoi elle sera livrée aux mains de l’Exécuteur de la haute Justice, pour faire amende honorable devant la porte de l’Église Métropolitaine de Saint Sauveur, et de là menée sur la potence dite des Prêcheurs, pour y être pendue et étranglée ; et sera ladite Cadière préalablement appliquée à la question ordinaire et extraordinaire, pour tirer plus ample vérité sur les complices de ses crimes  
 

Pendant tout le mois de septembre on continue de lire interrogatoires, confrontations, recollements. On examine à nouveau les faits sous la pression de la Chambre des enquêtes et de la chambre de la Tournelle moins inféodées aux jésuites.
Le 10 octobre un arrêt définitif est rendu. Il acquitte les deux plaignants (même si la Cadière est condamnée aux dépens, c'est-à-dire que les frais du procès sont à la charge de sa famille). 

COPIE DU PRONONCÉ DE L’ARRÊT DE LA COUR DU PARLEMENT DE PROVENCE
 
Du 10 Octobre 1731
Il sera dit que LA COUR faisant droit sur toutes les Fins et Conclusions des Parties, sans  s’arrêter aux Requêtes de Catherine Cadière, du onze Décembre, tendantes à ce qu’il fût informé sur la Subornation, et du 13 Août fussent confrontés, ni aux Réquisitions du Procureur Général du Roy, faites lors de l’Arrest  d’Audience, du 30 Juillet dernier, a Déchargé et Décharge Jean-Baptiste Girard, des Accusations de Crimes à lui imputés ; l’a mis et met sur iceux, hors de Cour et de Procès ; l’a néanmoins renvoyé pour le Délit commun au juge Ecclésiastique. Condamne ladite Cadière, en faveur dudit Jean-Baptiste Girard, aux Dépens faits par devant le Lieutenant de Toulon, tant seulement, et sans Dommages et Intérêts. Et en ce qui est de ladite Cadière, Ordonne qu’elle sera remise à sa Mère, pour en avoir soin (...)

(à suivre)

4 commentaires:

  1. Bonjour,
    Je me réjouis de voir un article sur l'affaire Girard-Cadiere pourlaquelle nous partageons le même intérêt !
    Peut-être connaissez-vous mon livre paru sur le sujet cette année aux Presses Universitaires de Provence ? Je serais ravi dans tous les cas de discuter avec vous si vous le souhaitez.

    Bien cordialement,
    Stéphane Lamotte
    Slamott@gmail.com

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  2. Bonjour ; Je recherche la date à laquelle la population de Toulon a voulu incendier le Collège Royal des Jésuites suite à cette affaire. Bien cordialement. Albert Meuvret

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  3. Sans doute entre septembre et octobre 1731. Je vais chercher la date.

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  4. http://www.theses.fr/158694341
    En lien, une thèse de Stéphane Lamotte consacrée au sujet

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