Jean-Baptiste Girard, prédicateur, confesseur et directeur
de conscience est nommé à la direction du séminaire de Toulon en 1728. Précédé d'une
grande réputation, aidé par le pouvoir de la Compagnie de Jésus, il s'entoure
rapidement d'une cour de dévotes, plus ou moins jeunes, que les discours
satiriques nommeront "girardines". Les jésuites, installés depuis
1685 à Toulon, rentrent en concurrence avec les autres ordres religieux,
notamment les carmes et les oratoriens. Cette affaire est donc avant tout un
sujet d'histoire religieuse.
Le jésuite Jean-Baptiste Girard |
Girard rencontre Catherine Cadière en 1729. Cette dernière
âgée de 19 ans, piquée de sainteté, nourrie de la lecture des vies de saintes,
s'entiche de ce directeur qui paraît être le plus à même de satisfaire ses
ambitions mystiques. Elle est, sinon influencée, du moins aidée par deux de ses
frères, eux-mêmes ecclésiastiques qui la recommandent au jésuite...
Rapidement la fréquence des visites de Jean-Baptiste Girard
au domicile des Cadière, les convulsions et les stigmates présumés de la jeune
fille alimentent la rumeur. Un fait divers relativement banal pour l'Ancien
Régime...Pour couvrir les bruits de l'opinion publique, Girard éloigne sa
pénitente au couvent sainte Claire d'Ollioules. Il s'échangent de nombreuses
lettres pendant l'année 1730, Girard continue de lui rendre visite (Ollioules
est un village à quelques lieues de Toulon), et le scandale ne tarde pas à
éclater. Sous l'influence de ses deux frères, et du père Nicolas, carme
déchaussé, son nouveau confesseur, Catherine accuse Girard d'inceste spirituel,
de rapt et d'enchantement.
Cette histoire devient alors une affaire judiciaire,
sur fond de querelle entre jésuites et jansénistes.
Après une première
instruction des autorités toulonnaises, un arrêt du Conseil du Roi transfère l'instruction au
Parlement de Provence, l'autorité judiciaire de la Province depuis 1501. Le
Parlement est présidé par le puissant Lebret, également Intendant, et proche
des jésuites.
Les
relations du Père Girard et de Catherine Cadière passionnent la
population et les parlementaires qui se divisent et se déchirent.
Les
mémoires des avocats, les chansons, vers et libelles, les correspondances
alimentent les discussions et nourrissent les débats. Qui est coupable ?
Les
prises de positions, les engagements vont au-delà de la sympathie pour les
personnages ou de la conviction; elles dépendent aussi de l'appartenance à un
réseau, du jeu complexe des sociabilités nobles ou bourgeoises. On est
pro-jésuite ou plutôt philo-janséniste. Le contexte politique et religieux
interfère avec le déroulement du procès.
Le
11 septembre 1731 un premier verdict est rendu par la Grand Chambre qui
innocente Girard et condamne la Cadière à la potence sur la place des
Prêcheurs.
VU le Jugement des objets, ensemble les procédures criminelles et les pièces civiles produites par toutes les Parties, je n’empêche être ordonné que sans s’arrêter à la Requête de Catherine Cadière du 13 Août dernier, en faisant droit sur le fond et principal, le P. Jean Baptiste Girard sera mis sur la plainte de ladite Cadière et sur la mienne, hors de Cour et de Procès; et faisant droit à ma réquisition et plainte contre ladite Cadière, elle sera déclarée atteinte et convaincue des cas de crimes, de fausse et calomnieuse accusation, et d’avoir abusé de la Religion et profané les mystères, d’avoir faussement contrefait la Sainte, et ensuite la possédée, au grand scandale de la Religion : pour réparation de quoi elle sera livrée aux mains de l’Exécuteur de la haute Justice, pour faire amende honorable devant la porte de l’Église Métropolitaine de Saint Sauveur, et de là menée sur la potence dite des Prêcheurs, pour y être pendue et étranglée ; et sera ladite Cadière préalablement appliquée à la question ordinaire et extraordinaire, pour tirer plus ample vérité sur les complices de ses crimes
Pendant
tout le mois de septembre on continue de lire interrogatoires, confrontations,
recollements. On examine à nouveau les faits sous la pression de la Chambre des
enquêtes et de la chambre de la Tournelle moins inféodées aux jésuites.
Le
10 octobre un arrêt définitif est rendu. Il acquitte les deux plaignants (même
si la Cadière est condamnée aux dépens, c'est-à-dire que les frais du procès
sont à la charge de sa famille).
Du 10 Octobre 1731
Il sera dit que LA COUR faisant droit sur toutes les Fins et Conclusions des Parties, sans s’arrêter aux Requêtes de Catherine Cadière, du onze Décembre, tendantes à ce qu’il fût informé sur la Subornation, et du 13 Août fussent confrontés, ni aux Réquisitions du Procureur Général du Roy, faites lors de l’Arrest d’Audience, du 30 Juillet dernier, a Déchargé et Décharge Jean-Baptiste Girard, des Accusations de Crimes à lui imputés ; l’a mis et met sur iceux, hors de Cour et de Procès ; l’a néanmoins renvoyé pour le Délit commun au juge Ecclésiastique. Condamne ladite Cadière, en faveur dudit Jean-Baptiste Girard, aux Dépens faits par devant le Lieutenant de Toulon, tant seulement, et sans Dommages et Intérêts. Et en ce qui est de ladite Cadière, Ordonne qu’elle sera remise à sa Mère, pour en avoir soin (...)
(à suivre)
Bonjour,
RépondreSupprimerJe me réjouis de voir un article sur l'affaire Girard-Cadiere pourlaquelle nous partageons le même intérêt !
Peut-être connaissez-vous mon livre paru sur le sujet cette année aux Presses Universitaires de Provence ? Je serais ravi dans tous les cas de discuter avec vous si vous le souhaitez.
Bien cordialement,
Stéphane Lamotte
Slamott@gmail.com
Bonjour ; Je recherche la date à laquelle la population de Toulon a voulu incendier le Collège Royal des Jésuites suite à cette affaire. Bien cordialement. Albert Meuvret
RépondreSupprimerSans doute entre septembre et octobre 1731. Je vais chercher la date.
RépondreSupprimerhttp://www.theses.fr/158694341
RépondreSupprimerEn lien, une thèse de Stéphane Lamotte consacrée au sujet