Ce petit pamphlet très acide est généralement attribué à Voltaire. Comme à son habitude, le patriarche de Ferney en nia la paternité...
Voyez ce qu'il en disait dans cette lettre adressée à Seynas, lieutenant de police de Lyon.
« Monsieur, souffrez que j’aie l’honneur de m’adresser à vous. Un nommé Rigollet, espèce de libraire de votre ville a envoyé un libelle affreux, imprimé par lui, à un nommé Bardin, libraire genevois. Ce libelle est intitulé Dialogues chrétiens par M. V***, Genève, 1760. L’église de Lyon et celle de Genève y sont également insultées. J’ai porté mes plaintes au conseil de Genève...."
DIALOGUES CHRÉTIENS ...
PREMIER DIALOGUE
ENTRE UN PRÊTRE ET UN ENCYCLOPÉDISTE.
LE PRÊTRE.
Eh bien! malheureux, jusqu’à quand voulez-vous
donc outrager la religion et décrier ses ministres?
L’ENCYCLOPÉDISTE.
Je n’outrage point la religion, que je professe et que
je respecte ; je me tais sur ses ministres, et je ne comprends point ce
qui peut allumer ainsi votre bile et m’attirer ces injures. De quel droit
d’ailleurs me faites-vous ces questions? Quelle est votre mission?
LE PRÊTRE.
Quelle est ma mission ? la piété, le zèle,
la charité chrétienne. Vous triompheriez bientôt, messieurs
les athées, s’il ne se trouvait pas encore des hommes religieux
qui ont le courage de s’opposer à vos pernicieux desseins. Je me
suis ligué avec deux prêtres comme moi pour soutenir les autels,
que vous vouliez renverser. Tous trois, pleins de l’amour de Dieu et de
l’avancement de son règne, nous avons déclaré une
guerre éternelle à tous ceux qui examinent, qui discutent,
qui approfondissent, qui raisonnent, qui écrivent, et surtout aux
encyclopédistes.
Nous faisons un Journal chrétien (Trublet, Jouannet ou Dinouart en étaient les rédacteurs) dans lequel,
après avoir premièrement critiqué leurs ouvrages,
nous examinons ensuite leur conduite, que nous trouvons ordinairement vicieuse
et criminelle ; et lorsqu’elle nous paraît innocente, nous disons
que la chose est impossible, puisqu’ils ont travaillé à l’Encyclopédie.
L’ENCYCLOPÉDISTE.
Voilà un projet qui me paraît bien raisonnable,
et rien assurément ne sera plus chrétien que cet ouvrage.
Mais, dites-moi, je vous prie ; ne craignez-vous point la police ? Croyez-vous
qu’elle tolère une entreprise de cette nature ? A quel titre osez-vous
sonder les coeurs et faire la confession de foi des auteurs qui vous déplaisent ?
Pensez-vous qu’abusant de votre caractère, et sous le prétexte
trivial et spécieux de défendre la religion, que personne
ne songe à attaquer, dont les fondements sont inébranlables,
et qui est sous la protection des lois et du gouvernement, vous puissiez
établir une inquisition, et que l’on souffre une pareille témérité ?
LE PRÊTRE.
Une inquisition ! Ah! s’il y en avait une en France, vous
seriez un peu plus contenus, vous autres impies ! Mais je n’en désespère
pas; le pape qui occupe si glorieusement
la chaire de saint Pierre vient de se brouiller avec la cour de Portugal
en protégeant les jésuites, auxquels elle voulait contester
le droit de corriger les rois ; il a envoyé un visiteur apostolique
en Corse sans consulter la république de Gênes, et, depuis
son arrivée dans ce pays-là, le zèle des mécontents
s’est bien ranimé: tout cela me donne de grandes espérances,
et si son prédécesseur
avait pensé comme lui, nous aurions la consolation de voir ce sage
tribunal établi parmi nous.
Vous parlez de la police ! Ne s’est-elle pas déclarée
assez hautement en proscrivant l’Encyclopédie, ce dépôt
d’hérésies et de schismes, ce recueil d’impiétés
et de blasphèmes, qui respire à chaque page la révolte
contre la religion et contre l’autorité? Ne vient-elle pas en dernier
lieu de permettre qu’on exposât sur le théâtre toutes
les horreurs de votre morale (allusion à la comédie Les Philosophes, écrite par Palissot) ? Les conclusions
du procureur général (le procureur Omer Joly de Fleury) contre
l’Encyclopédie
n’ont-elles
pas été plus fortes que le mandement de notre archevêque (Christophe de Beaumont) ?
Les discours académiques, qui sont lus au roi et de tout l’univers,
ne sont-ils pas des déclamations contre vous ? Et vous comptez encore
sur la police ! Tremblez que sa main ne s’arme contre les auteurs, après
avoir sévi contre l’ouvrage; tremblez qu’elle ne vous plonge dans
des cachots, d’où vous ne sortirez que pour être traînés
à la Grève, et précipités de là dans
le feu éternel qui est préparé au diable et à
ses anges.
L’ENCYCLOPÉDISTE.
Voilà une terrible déclaration; et je ne
m’attendais pas, en travaillant innocemment à cet ouvrage, où
j’ai inséré quelques articles sur les arts, de travailler
pour la Grève et pour l’enfer.
La police, en effet, a supprimé l’Encyclopédie :
peut-être
y avait-il des choses qui n’étaient pas de l’essence d’un dictionnaire,
et qu’il aurait été plus convenable de ne pas y mettre ; mais
je réponds que les estimables auteurs de cet ouvrage n’ont en que
les intentions les plus pures, et n’ont cherché que la vérité :
si quelquefois elle leur a échappé, c’est qu’il est dans
la nature humaine de se tromper : la vérité ne s’effraye point
des recherches, elle reste toujours debout, et triomphe toujours de l’erreur.
Voyez les Anglais; cette nation sage et éclairée a livré
les questions les plus délicates à la discussion et à
l’examen. M. Hume, ce fameux sceptique, est aussi honoré parmi eux
que l’homme le plus soumis à la foi ; vous savez aussi bien que moi
qu’elle est un don de Dieu, et qu’il ne faut pas s’emporter contre ceux
qui, manquant de ce précieux flambeau, veulent y suppléer
par la conviction qui résulte de l’examen. Nos magistrats, dont
la religion surprise s’est alarmée trop légèrement,
rendront justice aux vues utiles de ces hommes éclairés,
qui travaillaient à la gloire de la nation en instruisant l’univers.
L’Europe entière demande avec tant d’empressement la continuation
de cet ouvrage qu’ils seront forcés de se rendre à ce cri
général. (le privilège de l'Encyclopédie venait d'être révoqué)
LE PRÊTRE.
Vous nous citez sans cesse les Anglais, et c’est le mot
de ralliement des philosophes ; vous avez pris à tâche de louer
cette nation féroce, impie et hérétique ; vous voudriez
avoir comme eux le privilège d’examiner, de penser par vous-mêmes,
et arracher aux ecclésiastiques le droit immémorial de penser
pour vous et de vous diriger. Vous voulez qu’on admire des gens qui sont
nos ennemis de toute éternité, qui désolent nos colonies,
et qui ruinent notre commerce; vous ne vous contentez donc pas d’être
infidèles à la religion, vous l’êtes encore à
l’État ! Le ministère aura peut-être la faiblesse de
fermer les yeux sur votre trahison, mais nous trouverons les moyens de
vous punir.
On ne prononcera plus de discours à l’Académie
qui ne soit une satire des philosophes anglais, et l’on n’adoptera dans
le conseil de Versailles aucune des maximes de celui de Kensington.
Ce sera bien fait. Mais c’est assez parler des Anglais;
et pour abréger notre conversation, dites-moi, je vous prie, d’où
vient votre déchaînement contre les encyclopédistes ?
Avez-vous lu leur ouvrage avec attention ?
Non assurément; je ne suis pas assez scélérat
pour avoir souillé mon esprit de la lecture d’un ouvrage aussi profane :
je n’en ai pas lu un mot, je n’en lirai jamais rien ; je me contenterai
de le décrier dans mon journal, et de faire imprimer toutes les
semaines que c’est le livre le plus dangereux qui ait jamais été
composé.
Votre projet est très sensé assurément;
mais ne serait-il pas plus équitable de le juger après l’avoir
lu que de vous en fier à des rapports peut-être infidèles
et peut-être intéressés ?
A quel égard encore vous a-t-on dit qu’il fût
dangereux ?
A tous égards: la théologie n’est point
celle de la Sorbonne; la morale n’est point celle des jésuites;
la médecine n’est point celle de la faculté de Paris; l’art
militaire est composé sur des mémoires prussiens; la marine
et le commerce, sur des mémoires anglais; en un mot, tout en est
détestable.
Voilà qui est raisonner à la fin; et si
vous m’aviez dit tout cela d’abord, notre dispute aurait été
plus tôt terminée.
Je vois que si je disais encore un mot, vous abjureriez
la philosophie pour afficher la dévotion; mais nous ne voulons plus
de toutes ces palinodies qui font rire les incrédules, et qui vous
raccommodent avec les bonnes gens de notre parti, qui sont dupes de vos
simagrées: les ouvrages que vous avez faits contre la religion et
ses ministres restent, et la rétractation périt. Il faut
que vous soyez toute votre vie un objet de scandale, que vous mouriez dans
l’impénitence, et que vous soyez damné éternellement.
Je ne veux plus de commerce avec vous, et je vous déclare que l’ouvrage
est abominable d’un bout à l’autre; qu’il fallait non seulement
le supprimer, mais encore le brûler; qu’il fallait faire le procès
à tous ceux qui y ont travaillé, à ceux qui l’ont
imprimé, à ceux qui l’ont acheté, et que vous êtes
tous des athées, des déistes, des sociniens, des ariens,
des semi-pélagiens, des manichéens, etc., etc., etc.
N’avez-vous pas eu l’irréligieuse affectation de
louer les anciens, qui étaient dans les ténèbres du
paganisme, aux dépens des modernes, qui sont éclairés
du flambeau de la révélation? N’avez-vous pas poussé
l’impiété jusqu’à comparer le siècle idolâtre
d’Auguste au siècle chrétien de Louis XIV ?
Je me retire enchanté de votre érudition
et de votre douceur, en vous exhortant à ne pas laisser refroidir
le zèle dont je vous vois animé; voici un de vos adversaires,
dont je vous recommande la conversion, puisque vous avez dédaigné
la mienne.
(à suivre)
(à suivre)
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