mardi 20 septembre 2016

Dialogues chrétiens à propos de l'Encyclopédie (2)

Ce petit pamphlet très acide est généralement attribué à Voltaire. Comme à son habitude, le patriarche de Ferney en nia la paternité...

(lire l'article précédent ici)

Voltaire
 
 ***

SECOND DIALOGUE
ENTRE UN PRÊTRE ET UN MINISTRE PROTESTANT

LE PRÊTRE.

Entrez, entrez, monsieur. Vous me trouvez ici bien échauffé ; ne croyez pas, je vous prie, que ce soit en parlant de controverse que ma bile s’est allumée; je ne songe plus ni à Calvin ni à Luther; ce n’est plus contre les réformateurs que je veux écrire; ce ne sera plus le mot d’hérétique que je ferai résonner dans mes écrits et dans mes sermons. Je veux poursuivre les philosophes, les encyclopédistes: et voilà les vrais schismatiques. Il faut que nous oubliions tous nos démêlés, que nous nous passions mutuellement nos dogmes et notre doctrine, et que nous nous réunissions contre cette engeance pernicieuse qui a voulu nous détruire : car, ne vous y trompez pas, ils en veulent également à tous les ecclésiastiques, à toutes les religions; il prétendent établir l’empire de la raison. Et nous resterions tranquilles dans ce danger ! 
 
LE MINISTRE.

Monsieur, je loue infiniment le dessein où vous êtes de perdre ceux qui veulent nous décréditer, mais j’en blâme la manière ; il faut s’y prendre plus doucement, et par là plus sûrement : presque toujours on se nuit à soi-même en poursuivant son ennemi avec trop de passion et d’acharnement. Je sais bien aussi qu’il ne faut pas trop raisonner, et que ces gens-là sont assez subtils pour en imposer à ceux qui examinent. Mais il faut décrier les auteurs, et alors l’ouvrage perd certainement son crédit; il faut adroitement empoisonner leur conduite ; il faut les traduire devant le public comme des gens vicieux, en feignant de pleurer sur leurs vices; il faut présenter leurs actions sous un jour odieux, en feignant de les disculper ; si les faits nous manquent, il faut en supposer, en feignant de taire une partie de leurs fautes. C’est par ces moyens-là que nous contribuerons à l’avancement de la religion et de la piété, et que nous préviendrons les maux et les scandales que les philosophes causeraient dans le monde s’ils y trouvaient quelque créance. 
 
LE PRÊTRE.

Voilà qu’on vous surprend toujours dans ce malheureux défaut de la tolérance qui vous a séparés de nous, et qui s’oppose aux progrès de votre religion. Ah ! Si, comme nous vous brûliez, vous envoyiez à la potence, aux galères, il y aurait un peu plus de foi parmi vous autres, et l’on ne vous reprocherait pas de tomber dans le relâchement. 
Vous me direz peut-être que notre zèle s’est bien ralenti, et que si nous n’avions pas les billets de confession, on ne distinguerait plus notre religion de la vôtre; mais laissez faire les jansénistes et les auteurs du Journal chrétien.

LE MINISTRE.

Il est vrai que nos idées sont différentes sur les moyens d’étendre la foi ; mais nous avons eu quelques-uns de ces moments brillants que vous regrettez, et le supplice de Servet doit exciter votre admiration et votre envie. La corruption des moeurs met des entraves à notre zèle; mais je réponds de moi et de mes confrères, et si l’autorité séculière voulait seconder le zèle ecclésiastique, nous offririons de bon coeur sur le même bûcher un sacrifice à Dieu, dont l’odeur lui serait certainement bien agréable. 

LE PRÊTRE.

Je suis enchanté de ce que vous me dites, et je vois que nous ne différons que par la conduite, et non par les intentions. Puisque nous pensons de même, exterminons donc les philosophes : tout est permis contre eux ; supposons leur des crimes, des blasphèmes ; déférons les au gouvernement comme ennemis de la religion et de l’autorité ; excitons les magistrats à les punir, en y intéressant leur salut ; et s’ils se refusent à nos pieux desseins, flétrissons les encyclopédistes dans nos écrits, anathématisons-les dans la chaire, et poursuivons-les sans relâche. 

LE MINISTRE.

Je le veux bien, et je crois même que notre union secrète produira un très bon effet ; ce pieux syncrétisme ne sera point soupçonné du public, qui, voyant les deux partis acharnés contre ces gens-là, ne manquera pas de les croire très criminels ; mais cependant que gagnerons-nous à tout cela ? Je vous avoue que j’aime bien à décrier ceux qui attaquent la religion et ses ministres (...)

 je n’ai jamais prêché contre les encyclopédistes ; il faudra des sermons tout neufs ; ma santé est faible, et pourrait se ressentir de ce travail ; aussi je ne vous en ferai pas sur la controverse, mais je pourrai vous en retourner trois ou quatre des miens sur cette matière. 
Vous vous êtes scandalisé de ce que je pensais à l’intérêt; mais vous cesserez bientôt de l’être lorsque vous saurez que j’applique cet argent à de bonnes oeuvres, et que je destine cette pension à l’entretien d’un pauvre homme auquel je m’intéresse très particulièrement. Ne vous étonnez donc pas si je vous demande qu’elle soit payée régulièrement, et même d’avance si cela se peut. (...)

philosophe en prison
LE PRÊTRE.

J’approuve tout ce que vous avez fait, les motifs en sont louables, et je vous estimerais fort si vous aviez un peu plus de chaleur contre nos ennemis. Chacun a sa manière: je vous avoue que je préfère les voies abrégées; j’aime mieux persécuter. Travaillez tout doucement par la sape, tandis que j’irai avec le fer et le feu renverser et brûler tout ce qui m’opposera quelque résistance. 
 
LE MINISTRE.

Bonjour, monsieur; j’avais oublié de vous dire que tout ceci doit être fort secret entre nous, et que tout ce que j’écrirai doit être anonyme. N’oubliez pas non plus la pension, et souvenez-vous qu’elle est destinée à un pauvre homme. 
 
LE PRÊTRE.

Bonjour, monsieur; n’oubliez pas les sermons, et souvenez-vous qu’ils ne sauraient être trop forts. 

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