Ce
petit pamphlet très acide est généralement attribué à Voltaire. Comme à
son habitude, le patriarche de Ferney en nia la paternité...
(lire l'article précédent ici)
***
SECOND DIALOGUE
ENTRE UN PRÊTRE ET UN MINISTRE PROTESTANT
(lire l'article précédent ici)
Voltaire |
***
SECOND DIALOGUE
ENTRE UN PRÊTRE ET UN MINISTRE PROTESTANT
LE PRÊTRE.
Entrez, entrez, monsieur. Vous me trouvez ici bien échauffé ;
ne croyez pas, je vous prie, que ce soit en parlant de controverse que
ma bile s’est allumée; je ne songe plus ni à Calvin ni à
Luther; ce n’est plus contre les réformateurs que je veux écrire;
ce ne sera plus le mot d’hérétique que je ferai résonner
dans mes écrits et dans mes sermons. Je veux poursuivre les philosophes,
les encyclopédistes: et voilà les vrais schismatiques. Il
faut que nous oubliions tous nos démêlés, que nous
nous passions mutuellement nos dogmes et notre doctrine, et que nous nous
réunissions contre cette engeance pernicieuse qui a voulu nous détruire :
car, ne vous y trompez pas, ils en veulent également à tous
les ecclésiastiques, à toutes les religions; il prétendent
établir l’empire de la raison. Et nous resterions tranquilles dans
ce danger !
Monsieur, je loue infiniment le dessein où vous
êtes de perdre ceux qui veulent nous décréditer, mais
j’en blâme la manière ; il faut s’y prendre plus doucement,
et par là plus sûrement : presque toujours on se nuit à
soi-même en poursuivant son ennemi avec trop de passion et d’acharnement.
Je sais bien aussi qu’il ne faut pas trop raisonner, et que ces gens-là
sont assez subtils pour en imposer à ceux qui examinent. Mais il
faut décrier les auteurs, et alors l’ouvrage perd certainement son
crédit; il faut adroitement empoisonner leur conduite ; il faut les
traduire devant le public comme des gens vicieux, en feignant de pleurer
sur leurs vices; il faut présenter leurs actions sous un jour odieux,
en feignant de les disculper ; si les faits nous manquent, il faut en supposer,
en feignant de taire une partie de leurs fautes. C’est par ces moyens-là
que nous contribuerons à l’avancement de la religion et de la piété,
et que nous préviendrons les maux et les scandales que les philosophes
causeraient dans le monde s’ils y trouvaient quelque créance.
Voilà qu’on vous surprend toujours dans ce malheureux
défaut de la tolérance qui vous a séparés de
nous, et qui s’oppose aux progrès de votre religion. Ah ! Si, comme
nous vous brûliez, vous envoyiez
à la potence, aux galères, il y aurait un peu plus de foi
parmi vous autres, et l’on ne vous reprocherait pas de tomber dans le relâchement.
Vous me direz peut-être que notre zèle s’est
bien ralenti, et que si nous n’avions pas les billets de confession, on
ne distinguerait plus notre religion de la vôtre; mais laissez faire
les jansénistes et les auteurs du Journal chrétien.
LE MINISTRE.
Il est vrai que nos idées sont différentes
sur les moyens d’étendre la foi ; mais nous avons eu quelques-uns
de ces moments brillants que vous regrettez, et le supplice de Servet doit
exciter votre admiration et votre envie. La corruption des moeurs met des
entraves à notre zèle; mais je réponds de moi et de
mes confrères, et si l’autorité séculière voulait
seconder le zèle ecclésiastique, nous offririons de bon coeur
sur le même bûcher un sacrifice à Dieu, dont l’odeur
lui serait certainement bien agréable.
LE PRÊTRE.
Je suis enchanté de ce que vous me dites, et je
vois que nous ne différons que par la conduite, et non par les intentions.
Puisque nous pensons de même, exterminons donc les philosophes : tout
est permis contre eux ; supposons leur des crimes, des blasphèmes ;
déférons les au gouvernement comme ennemis de la religion
et de l’autorité ; excitons les magistrats à les punir, en
y intéressant leur salut ; et s’ils se refusent à nos pieux
desseins, flétrissons les encyclopédistes dans nos écrits,
anathématisons-les dans la chaire, et poursuivons-les sans relâche.
LE MINISTRE.
Je le veux bien, et je crois même que notre union
secrète produira un très bon effet ; ce pieux syncrétisme
ne sera point soupçonné du public, qui, voyant les deux partis
acharnés contre ces gens-là, ne manquera pas de les croire
très criminels ; mais cependant que gagnerons-nous à tout
cela ? Je vous avoue que j’aime bien à décrier ceux qui attaquent
la religion et ses ministres (...)
je n’ai
jamais prêché contre les encyclopédistes ; il faudra
des sermons tout neufs ; ma santé est faible, et pourrait se ressentir
de ce travail ; aussi je ne vous en ferai pas sur la controverse, mais je
pourrai vous en retourner trois ou quatre des miens sur cette matière.
Vous vous êtes scandalisé de ce que je pensais
à l’intérêt; mais vous cesserez bientôt de l’être
lorsque vous saurez que j’applique cet argent à de bonnes oeuvres,
et que je destine cette pension à l’entretien d’un pauvre homme
auquel je m’intéresse très particulièrement. Ne vous
étonnez donc pas si je vous demande qu’elle soit payée régulièrement,
et même d’avance si cela se peut. (...)
philosophe en prison |
J’approuve tout ce que vous avez fait, les motifs en sont
louables, et je vous estimerais fort si vous aviez un peu plus de chaleur
contre nos ennemis. Chacun a sa manière: je vous avoue que je préfère
les voies abrégées; j’aime mieux persécuter. Travaillez
tout doucement par la sape, tandis que j’irai avec le fer et le feu renverser
et brûler tout ce qui m’opposera quelque résistance.
Bonjour, monsieur; j’avais oublié de vous dire
que tout ceci doit être fort secret entre nous, et que tout ce que
j’écrirai doit être anonyme. N’oubliez pas non plus la pension,
et souvenez-vous qu’elle est destinée à un pauvre homme.
Bonjour, monsieur; n’oubliez pas les sermons, et souvenez-vous
qu’ils ne sauraient être trop forts.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Pour commenter cet article...