mercredi 9 février 2011

Des philosophes révolutionnaires ?

Combien de fois m'est-il arrivé de lire ou d'entendre que le mouvement philosophique des Lumières avait précipité la chute de l'ancien régime et mené la France aux événements de 1789? 
Pour être tout à fait honnête, je crois l'avoir répété  également (et même enseigné), peut-être par conformisme, peut-être pour éviter de déstabiliser le public scolaire qui se trouvait en face de moi. Car l'adolescent détient le privilège de voir la vie en noir et blanc: 
- d'un côté, les oppresseurs, qui privent la nation de ses libertés essentielles, qui demeurent intolérants envers les religions minoritaires, qui confisquent les pouvoirs et s'approprient tous les privilèges...
- de l'autre, les philosophes des Lumières, forcément désintéressés, forcément vertueux, consacrant leur existence à combattre ces injustices, s'acharnant contre l'Infâme (l'Eglise) et ses alliés au pouvoir.

Cela vous semble caricatural ? C'est pourtant ce qu'on enseigne dans nos établissements scolaires. Et peut-être est-ce mieux ainsi, même si la réalité, plus nuancée, s'avère bien éloignée du mythe lénifiant qu'on transmet aux jeunes générations.

Prenons le cas Rousseau. Pourquoi l'intelligentsia philosophique s'acharne-t-elle à ce point contre le Genevois, sinon pour le discréditer et rendre sa parole inaudible ? Toute la campagne menée contre lui dans les années 1760-1770 vise à convaincre l'opinion publique que cet homme est fou, et donc que son propos ne peut être pris au sérieux. Rappelons le propos de Rousseau dans son Discours sur les Sciences et les Arts : "le besoin éleva les trônes ; les sciences et les arts les ont affermis" (voir article de septembre 2010). Et dans le Discours sur l'origine de l'Inégalité, il prétend même que les lois sont instaurées par ceux qui ont usurpé le pouvoir politique (les possédants, donc) pour se défendre contre les plus démunis.
En quelques mots, Rousseau fait donc de ses anciens amis philosophes des alliés du régime en place, niant leur statut présumé d'opposants politiques. Il n'était pas à un paradoxe près, vous avez raison de le souligner. Quoique, à bien y regarder...
En une vingtaine d'années, le système politique en place a contribué à enrichir ces mêmes philosophes, jusqu'à leur constituer des fortunes considérables. Voltaire en est l'exemple le plus illustre, lui qui s'est largement enrichi en approvisionnant les armées françaises. En 1778, il touche environ 200 000 livres par an ! Et Diderot ? En se livrant à l'autoritaire Catherine de Russie, il se constitue en quelques années un capital de 450 000 livres. Pourquoi diable auraient-ils scié la branche qui les soutenait ? Pourquoi diable auraient-ils souhaité la chute des régimes autoritaires, ceux de Louis XV, de Catherine de Russie, de Frédéric de Prusse ? En combattant leurs excès (l'intolérance à l'égard des minorités, par exemple), ils contribuent à certains progrès, on ne saurait le nier. Mais l'affaiblissement de l'Eglise profite également au pouvoir royal, en même temps qu'il renforce celui de l'aristocratie.
Que je sache, aucun philosophe n'aurait cautionné les événements de 1789, et encore moins la Terreur qui a suivi. La plupart souhaitaient un régime monarchique plus libéral et moins autoritaire, d'autres (plus rares) rêvaient d'un système parlementaire à l'anglaise. Aucun n'a jamais parlé de République, ni d'un quelconque bouleversement politique...

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