Commençons par le plus prestigieux des salons, celui de Marie-Thérèse Geoffrin, fille d'un valet de chambre, mariée très jeune (elle a 14 ans, il en a 49) au richissime administrateur de la compagnie Saint-Gobain. Après avoir fréquenté le cercle de Madame de Tencin durant quelques années, Marie-Thérèse décide d'ouvrir son propre cercle dans le somptueux hôtel de la rue Saint-Honoré. Un temps, son mari lui tient tête, peu désireux de changer son mode de vie et d'ouvrir sa maison à des inconnus. Il finit par se résigner et par devenir ce vieil homme qu'un jour de 1749, on ne vit soudain plus dans le salon.
- Qu'est donc devenu ce vieux monsieur qui était toujours en bout de table et qui ne disait jamais rien ? demanda un habitué.
- C'était mon mari. Il est mort, répondit Mme Geoffrin.
Dès lors, elle reçoit deux fois par semaine ce que Paris compte de plus brillant : un dîner le mercredi, consacré aux hommes de lettres ; un autre le lundi, réservé aux artistes. Il lui arrive souvent de garder ses invités l'après-midi, et de leur accorder un souper plus frugal le soir (la célèbre omelette de Mme Geoffrin).
Pendant plus de vingt ans, Mme Geoffrin va travailler à forger sa réputation de femme du monde, en entretenant des liens avec des écrivains, des artistes, mais également des membres de l'aristocratie française et européenne. Le prestige lié à son nom, mais aussi la considération sociale qui en dépend, sont directement liés à sa faculté d'attirer chez elle le gratin de l'intelligentsia et de la noblesse. On estime à 60000 livres par an les dépenses qu'elle consacrait à ces réunions mondaines.
Pour cela, elle accorde généreusement des pensions à plusieurs de ses habitués : Julie de Lespinasse obtient 3000 livres par an après sa rupture avec Mme du Deffand ; malgré ses prétentions à l'indépendance, d'Alembert touche lui aussi une rente de 600 livres que lui verse Mme Geoffrin. Elle achète aux peintres de nombreux tableaux, payant notamment 18000 livres pour trois toiles de Van Loo.
Après avoir quitté Madame du Deffand, d'Alembert est quasiment contraint de siéger quotidiennement chez sa protectrice. Il n'est pas le seul dans ce cas, puisque Hélvétius, Grimm, Morellet, Suard fréquentent assidûment l'hôtel de la rue Saint-Honoré.
Mme Geoffrin ne dilapide pas pour autant sa fortune. Après la mort de son mari, elle devient l'une des plus importantes actionnaires de la manufacture, et son salon apparaît souvent comme le cadre privilégié pour négocier de nouvelles affaires. Son réseau mondain sert alors de ressource lorsqu'il s'agit d'intervenir dans la gestion de la compagnie.
Lorsqu'elle meurt en 1777, toute l'Europe rédige ses éloges funèbres. Puis, très rapidement, on oublie celle qu'un temps on surnommait "la tsarine de Paris".
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