lundi 7 février 2011

Les salons parisiens : Mlle de Lespinasse (4)

Lorsqu'elle quitte l'entourage de Mme du Deffand en 1764 pour ouvrir son propre salon rue de Bellechasse (rive gauche), Julie n'a encore aucun bien, sinon cet esprit unanimement loué qui lui permet d'attirer chez elle bon nombre des habitués du salon de son ancienne protectrice. Un peu plus de 7000 livres par an 
(Madame Geoffrin l'a aidée à s'installer), auxquels il faut retrancher un loyer annuel de 950 livres, et il reste environ 6000 livres à Julie pour créer sa propre société. Un peu moins, en fait, puisqu'elle doit payer les gages de ses quatre domestiques. Son logis est donc modeste : deux étages d'une petite maison située à une centaine de mètres du couvent Saint-Joseph. Au premier de ces étages, on trouve le salon, une chambre à coucher, un cabinet de toilette, et une autre chambre de personnel. Au 2nd, la cuisine, le logement de la femme de chambre, et quelques pièces de débarras. Ce nouveau cercle se distingue de ceux de Mme du Deffand et de Mme Geoffrin en cela que les codes de conduite y apparaissent beaucoup moins rigides. Lorsque quelqu'un lit un ouvrage, on peut très bien mener une conversation privée sans pour autant heurter la maîtresse de maison. Par ailleurs, Mlle de Lespinasse n'ayant pas les moyens financiers de ses rivales, elle ne retient jamais personne à souper.


 En quittant le salon de Mme du Deffand, Julie emporte avec elle l'une de ses pièces maîtresses : d'Alembert. Le géomètre est tombé à ce point amoureux de l'ancienne secrétaire de la marquise qu'il emménage bientôt chez elle (voir articles de décembre), moyennant un loyer de quelques centaines de livres.
Le cercle de Julie de Lespinasse est alors quasi exclusivement masculin, et essentiellement consacré aux Encyclopédistes. Lors de l'affaire Hume (en juillet 1766), c'est là que se réunira le "conseil de guerre" (le mot est de Guillemin) destiné à perdre Rousseau : y participent d'Alembert, Duclos, l'abbé Morellet, Marmontel, Saurin et Turgot. Diderot, lui, est un habitué de la synagogue, c'est-à-dire du cercle de d'Holbach, et il ne fréquente plus guère d'Alembert depuis que celui-ci s'est désengagé de l'entreprise encyclopédique.
C'est également chez Julie que les philosophes décident de leur stratégie pour prendre les différentes académies ( l'Académie Française, l'Académie des Sciences), et pour placer leurs hommes dans les ministères. Ainsi, lorsque Louis XVI arrive au pouvoir, Turgot et Malesherbes se voient offrir des places de premier ordre (à la Marine, aux Sceaux), ce qui suscite des scènes de liesse rue de Bellechasse.
La mort de Julie de Lespinasse en 1776 marque la fin d'une époque. Les philosophes ont perdu leur égérie, mais également leur quartier général. Et d'Alembert demeurera inconsolable...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour commenter cet article...