vendredi 4 février 2011

Les salons parisiens : Mme du Deffand (3)

Nulle salonnière du XVIIIème siècle n'apparaît aussi perfide et méchante que la marquise du Deffand. Songez au portrait qu'elle fait de Mme du Châtelet en 1777, alors que cette dernière  est morte depuis près de trente ans : "Représentez-vous une femme grande et sèche, sans cul, sans hanches, la poitrine étroite, deux petits tétons arrivant de fort loin, de gros bras, de grosses jambes, des pieds énormes, une très petite tête, le visage aigu, le nez pointu, deux petits yeux vert-de-mer, le teint noir, rouge échauffé, la bouche plate, les dents clairsemées et extrêmement gâtées. Voilà la figure de la belle Emilie, figure dont elle est si contente..." 


Après le décès de son époux, elle s'installe en 1747 dans le couvent de St Joseph, rue St Dominique, où elle ouvre son cercle. Pour 800 livres l'an, elle loue quatre étages du bâtiment, le premier étant réservé à la réception de ses invités. Dans le prolongement du salon, on trouve la chambre à coucher de la marquise, où elle reçoit les intimes autour de son lit.
Parmi les habitués, on rencontre le Président Hénault (qui fut son amant) mais aussi le Comte Pont-de-Veyle, fidèle parmi les fidèles. Si ce dernier demeure méconnu, c'est qu'il est l'un des rares à ne jamais être entré en conflit avec la maîtresse de maison, ce qui exigeait de se plier aux codes de comportement du salon, et donc de renoncer à sa personnalité. Contrairement à Julie de Lespinasse, Mme du Deffand reçoit surtout des femmes, notamment les membres les plus éminents de l'aristocratie parisienne : Mme de Boufflers (maîtresse de Conti), Mme de Mirepoix, la Maréchale de Luxembourg deviennent des habituées du couvent St-Joseph. Mais celui qui règne en maître dans ces lieux, et ce dès 1747, c'est une fois encore d'Alembert, pour lequel la salonnière a conçu une véritable passion intellectuelle.
Deux maux vont distinguer Mme du Deffand de ses congénères, tout en exacerbant ses défauts latents. La cécité, tout d'abord, qui la frappe dès le début des années 1750, et qui l'amènera à s'attacher les soins d'une secrétaire, Julie de Lespinasse (voir article de décembre 2010).
Annonciateur de ce que les romantiques appelleront le spleen ou encore le mal du siècle, la marquise souffre d'une forme de mélancolie, un ennui chronique qu'elle tente souvent d'analyser dans son abondante correspondance : " Ce n'est pas la solitude qui cause mon ennui, je vois assez de monde... Mais tout ce que je vois m'est indifférent". Habituée à échapper à elle-même grâce à ses relations mondaines, Mme du Deffand ressent pourtant un profond ennui à recevoir des personnes qu'elle juge superficielles et sans intérêt. Inutile d'insister sur le jugement sans appel qu'elle répète à qui veut l'entendre sur les Encyclopédistes, surtout après sa rupture avec d'Alembert.
Seul Voltaire trouve grâce à ses yeux (peut-être parce qu'il est loin de Paris !), et elle détient le privilège presque unique de demeurer sa correspondante jusqu'à la fin de sa vie.
A sa mort, l'ambassadeur Rulhière aura pour elle ce mot venimeux :
"Elle y voyait dans son enfance,
C'était alors la médisance,
Elle a perdu son oeil et son génie,
C'est aujourd'hui la calomnie"

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