Proche de Nicolas Dupont-Aignan et de son parti "Debout la République" (on relèvera au passage cet étrange paradoxe !), Marion Sigaut poursuit son attaque en règle contre les institutions et les valeurs républicaines. Dans cette très récente intervention, elle fait de Lepeletier de Saint-Fargeau et de son plan d'éducation le principal inspirateur de l'actuelle Education Nationale...
On notera au passage qu'elle ne dit mot de tous les autres projets rédigés par le Comité d'Instruction Publique, notamment celui inspiré par Condorcet en 1792, auquel Le Peletier s'opposera quelque temps plus tard.
Qu'est-ce qui sépare les deux hommes ? Contrairement à celui de Le Peletier, qui rêvait effectivement de "maisons d'éducation" destinées à forger l'homme nouveau, le plan de Condorcet privilégie pour sa part l'instruction, l'égalité des sexes, l'universalité et la gratuité de l'enseignement élémentaire.
Voici quelques extraits du fameux discours prononcé devant l'Assemblée en avril 1792.
"...aucun pouvoir public ne doit avoir
l'autorité ni même le crédit, d'empêcher le développement des vérités
nouvelles, l'enseignement des théories contraires à sa politique
particulière ou à ses intérêts momentanés. Tels ont été les principes
qui nous ont guidés dans notre travail.
Nous avons distingué cinq degrés d'instruction sous le nom :
1° d'écoles primaires, 2° d'écoles secondaires, 3° d'instituts, 4° de
lycées, 5° de société nationale des sciences et des arts.
Nous avons cru que la puissance publique devait dire aux citoyens
pauvres : la fortune de vos parents n'a pu vous procurer que les
connaissances les plus indispensables ; mais on vous assure des moyens
faciles de les conserver et de les étendre. Si la nature vous a donné
des talents, vous pouvez les développer, et ils ne seront perdus ni pour
vous, ni pour la patrie...
On enseignera dans ces écoles, à lire, à écrire, ce qui suppose
nécessairement quelques notions grammaticales; on y joindra les règles
de l'arithmétique, des méthodes simples de mesurer exactement un
terrain, de toiser un édifice, une description élémentaire des
productions du pays, des procédés de l'agriculture et des arts, le
développement des premières idées morales et des règles de conduite qui
en dérivent, enfin ceux des principes de l'ordre social qu'on peut
mettre à la portée de l'enfance...
Ni la Constitution française ni même la Déclaration des droits ne seront
présentées à aucune classe de citoyens, comme des tables descendues du
ciel, qu'il faut adorer et croire...
D'un autre côté, dans la discipline intérieure des écoles, on prendra
soin d'instruire les enfants à être bons et justes ; on leur fera
pratiquer, les uns à l'égard des autres, les principes qu'on leur aura
enseignés...Les principes de la morale enseignés dans les écoles et dans les
instituts, seront ceux qui, fondés sur nos sentiments naturels et sur la
raison, appartiennent également à tous les hommes. La Constitution, en
reconnaissant le droit qu'a chaque individu de choisir son culte, en
établissant une entière égalité entre tous les habitants de la France,
ne permet point d'admettre, dans l'instruction publique, un enseignement
qui, en repoussant les enfants d'une partie des citoyens, détruirait
l'égalité des avantages sociaux, et donnerait à des dogmes particuliers
un avantage contraire à la liberté des opinions. Il était donc
rigoureusement nécessaire de séparer de la morale les principes de toute
religion particulière, et de n'admettre dans l'instruction publique
l'enseignement d'aucun culte religieux.... Chacun d'eux doit être enseigné dans les temples par ses propres
ministres. Les parents, quelle que soit leur opinion sur la nécessité de
telle ou telle religion, pourront alors sans répugnance envoyer leurs
enfants dans les établissements nationaux ; et la puissance publique
n'aura point usurpé sur les droits de la conscience, sous prétexte de
l'éclairer et de la conduire...
Dans ces quatre degrés d'instruction, l'enseignement sera totalement
gratuit. L'Acte constitutionnel le prononce pour le premier degré et le
second, ce qui peut aussi être regardé comme général, ne pourrait cesser
d'être gratuit sans établir une inégalité favorable à la classe la plus
riche, qui paye les contributions à proportion de ses facultés, et ne
payerait l'enseignement qu'à raison du nombre d'enfants qu'elle
fournirait aux écoles secondaires...
Quant aux autres degrés, il importe à la prospérité publique de donner
aux enfants des classes les plus pauvres, qui sont les plus nombreuses,
la possibilité de développer leurs talents : c'est un moyen non
seulement d'assurer à la patrie plus de citoyens en état de servir, aux
sciences plus d'hommes capables de contribuer à leurs progrès, mais
encore de diminuer cette inégalité qui naît de la différence des
fortunes de mêler entre elles les classes que cette différence tend à
séparer. L'ordre de la nature n'établit dans la société d'autre
inégalité que celle de l'instruction et de la richesse, et en étendant
l'instruction, vous affaiblirez à la fois les effets de ces deux causes
de distinction. L'avantage de l'instruction, moins exclusivement réuni à
celui de l'opulence, deviendra moins sensible, et ne pourra plus être
dangereux ; celui de naître riche sera balancé par l'égalité, par la
supériorité même des lumières que doivent naturellement obtenir ceux qui
ont un motif de plus d'en acquérir....
Au-delà des écoles primaires, l'instruction cesse d'être
rigoureusement universelle. Mais nous avons cru que nous remplirions le
double objet, et d'assurer à la patrie tous les talents qui peuvent la
servir, et de ne priver aucun individu de l'avantage de développer ceux
qu'il a reçus, si les enfants qui en avaient annoncé le plus dans un
degré d'instruction, étaient appelés à en parcourir le degré supérieur,
et entretenus aux dépens du trésor national, sous le nom d'élèves de la
patrie.
D'après le plan du comité, trois mille huit cent cinquante
enfants, ou environ, recevraient une somme suffisante pour leur
entretien ; mille suivraient l'instruction des instituts, six cents
celle des lycées ; environ quatre cents en sortiraient chaque année pour
remplir dans la société des emplois utiles, ou pour se livrer aux
sciences ; et jamais dans aucun pays la puissance publique n'aurait
ouvert à la partie pauvre du peuple une source si abondante de
prospérité et d'instruction ; jamais elle n'aurait employé de plus
puissants moyens de maintenir l'égalité naturelle...
Quant aux instituteurs des écoles secondaires et primaires, la liste
d'éligibles sera faite par les professeurs des instituts de
l'arrondissement, et le choix appartiendra pour les premiers, au corps
municipal du lieu où l'école est située, pour les derniers à l'assemblée
des pères de famille de l' arrondissement de l' école. En effet, les
professeurs, comme les instituteurs, doivent avoir des connaissances
dont les corps administratifs ne peuvent être juges, qui ne peuvent être
appréciées que par des hommes en qui l'on ait droit de supposer une
plus grande instruction...
Nous avons présenté dans ce plan l'organisation de
l'instruction publique telle que nous avons cru qu'elle devait être, et
nous en avons séparé la manière de former les nouveaux établissements.
Nous avons pensé qu'il fallait que l'Assemblée nationale eût déterminé
ce qu'elle voulait faire, avant de nous occuper des moyens de remplir
ses vues. Dans les villages où il n'y aura qu'une seule école primaire,
les enfants des deux sexes y seront admis, et recevront d'un même
instituteur une instruction égale.
Lorsqu'un village ou une ville auront deux écoles primaires,
l'une d'elles sera confiée à une institutrice, et les enfants des deux
sexes seront séparés....
Enfin, l'indépendance de l'instruction fait en quelque sorte une partie
des droits de l' espèce humaine. Puisque l'homme a reçu de la nature une
perfectibilité dont les bornes inconnues s'étendent, si même elles
existent, bien au delà de ce que nous pouvons concevoir encore, puisque
la connaissance de vérités nouvelles est pour lui le seul moyen de
développer cette heureuse faculté, source de son bonheur et de sa
gloire, quelle puissance pourrait avoir le droit de lui dire : voilà ce
qu'il faut que vous sachiez ; voilà le terme où vous devez vous arrêter ?
Puisque la vérité seule est utile, puisque toute erreur est un mal, de
quel droit un pouvoir, quel qu' il fût, oserait-il déterminer où est la
vérité, où se trouve l' erreur ? ...
S'il fallait prouver par des exemples le danger de soumettre
l'enseignement à l'autorité, nous citerions l'exemple de ces peuples,
nos premiers maîtres dans toutes les sciences, de ces indiens, de ces
égyptiens, dont les antiques connaissances nous étonnent encore, chez
qui l'esprit humain fit tant de progrès, dans les temps dont nous ne
pouvons même fixer l'époque, et qui retombèrent dans l'abrutissement de
la plus honteuse ignorance, au moment où la puissance religieuse
s'empara du droit d'instruire les hommes...
D'ailleurs, la constitution française elle-même nous fait de cette
indépendance un devoir rigoureux. Elle a reconnu que la nation a le
droit inaliénable et imprescriptible de réformer toutes ses lois : elle a
donc voulu que, dans l'instruction nationale, tout fût soumis à un
examen rigoureux. Elle n'a donné à aucune loi une irrévocabilité de plus
de dix années. Elle a donc voulu que les principes de toutes les lois
fussent discutés, que toutes les théories politiques pussent être
enseignées et combattues, qu'aucun système d'organisation sociale ne fût
offert à l'enthousiasme ni aux préjugés, comme l'objet d' un culte
superstitieux, mais que tous fussent présentés à la raison, comme des
combinaisons diverses entre lesquelles elle a le droit de choisir."
Condorcet |
On comprend mieux, après cette lecture, pourquoi Marion Sigaut ne fait pas mention de Condorcet. Il ne servirait pas sa démonstration... Mais alors, qu'elle ne se prétende pas historienne ! Qu'elle assume et annonce ses intentions !
Car réduire la réflexion pédagogique des Révolutionnaires au seul projet de Le Peletier est aussi malhonnête que de résumer l'école sous l'Ancien Régime à ce propos de l'intendant d'Auch qui écrivait en 1759 : "Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de grands raisonnements pour prouver l'inutilité des régents dans les villages. Il y a de certaines instructions qu'il ne convient pas de donner aux paysans..."
Ou encore au propos de cet autre dignitaire, procureur général au Parlement de Rennes : "Le bien de la société demande que les connaissances du peuple ne s'étendent pas plus loin que ses occupations. Tout homme qui voit au-delà de son triste métier ne s'en acquittera jamais avec courage et avec patience"
Marion Sigaut évoque souvent le supposé mépris qu'auraient éprouvé les révolutionnaires pour le peuple. J'en vois bien, du mépris... Mais pas forcément où elle le prétend... (à suivre)
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