vendredi 20 mai 2011

Les textes des cartes à jouer

A la mort de Rousseau, le marquis de Girardin récupère dans les affaires du Genevois 27 cartes à jouer sur lesquelles on lit des notes au crayon ou à l'encre. Ces cartes ont vraisemblablement servi à Rousseau de brouillon à l'époque où il écrivait les Rêveries du promeneur solitaire.
En voici quelques extraits que j'ai pris la liberté de commenter :

"En se donnant le besoin de me rendre malheureux, ils font dépendre de moi leur destinée" (...) "me feront-ils mourir ? Oh qu'ils s'en garderont bien. Ce serait finir mes peines."(...) "s'ils veulent me nourrir de pain, c'est en m'abreuvant d'ignominie. La charité dont ils veulent user à mon égard n'est pas bénéficence, elle est opprobre et outrage ; elle est un moyen de m'avilir et rien de plus. Ils me voudront mort sans doute ; mais ils m'aiment encor mieux vivant et diffamé."


On peut noter que Rousseau ne nomme jamais ses persécuteurs. Je demeure d'ailleurs persuadé que, s'étant souvent trompé sur leur identité, il n'était alors (vers 1776) plus vraiment en mesure de reconnaître la main qui le frappait. Par exemple, a-t-il jamais su que madame d'Epinay (manipulée par Diderot et Grimm) était intervenue auprès du lieutenant de police pour faire interdire les lectures publiques des Confessions ? A vrai dire, on l'ignore.


"Veux-je me venger d'eux aussi cruellement qu'il est possible ? Je n'ai pour cela qu'à vivre heureux et content ; c'est un sûr moyen de les rendre misérables." (...) "Maître et roi sur la terre, tous ceux qui m'entourent sont à ma merci, je peux tout sur eux et ils ne peuvent plus rien sur moi." (...) "Qu'on est puissant et fort quand on n'espère plus rien des hommes. Je ris de la folle ineptie des méchants, quand je songe que trente ans de soins, de travaux, de soucis, de peines ne leur ont servi qu'à me mettre pleinement au-dessus d'eux."


C'est là un thème récurrent dans l'oeuvre des dernières années : puisque je ne suis plus rien, puisque je n'attends plus rien des autres, ils n'ont plus de prise sur moi. C'est pour cela que Rousseau se sent désormais supérieur à ses ennemis. On retrouvait déjà la même idée lorsque le Genevois réclamait son emprisonnement, moyen comme un autre d'échapper à l'emprise malfaisante de ceux qui veulent lui nuire.


"Je dois toujours faire ce que je dois, parce que je le dois, mais non par aucun espoir de succès, car je sais bien que ce succès est désormais impossible."


Après 1771, lorsqu'on lui interdit de lire ses mémoires en public, Rousseau perd tout espoir de convaincre ses contemporains de son authenticité et de sa vérité. Cette note le montre bien. Avait-il pour autant renoncé à imposer au public une représentation de sa personne ? Je ne le pense pas... Simplement, avec tout l'orgueil et l'ambition qui le caractérisaient,  il ne s'adresse plus dans les Confessions à ses contemporains, mais à l'Histoire, aux générations à venir. Et quand je lis les biographies qui lui sont consacrées aujourd'hui, je ne suis pas loin de penser qu'il a remporté son pari...

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