vendredi 6 mai 2011

Les sept scélératesses de Rousseau...

 En 1758, la rupture entre Diderot et Rousseau va soudain prendre un caractère public. Rappelons-nous des faits : congédié par Louise d'Epinay, Rousseau a quitté l'ermitage et il s'est éloigné de Sophie d'Houdetot, dont il était éperdument amoureux. Cette passion, il en a fait part à Diderot. Celui-ci, certainement par imprudence, évoque la confidence de Rousseau à St Lambert, l'amant de Sophie !
En apprenant cela, Rousseau entre dans une rage folle ; il contacte son éditeur Rey et lui demande d'insérer la note suivante à sa Lettre à d'Alembert (celle-ci étant déjà sous presse) :
"Si tu as tiré l'épée contre ton ami, ne désespère pas, car il y a moyen de revenir. Si tu l'as attristé par tes paroles, ne crains rien ; une réconciliation est possible. Mais pour l'outrage, le reproche injurieux, la révélation du secret et la blessure faite en trahison, l'ami s'éloignera sans retour."
En découvrant ce passage de l'Ecclésiastique dans le livre de Rousseau, le sang de Diderot ne fait qu'un tour. Il se jette à son tour sur la plume et consigne "les sept scélératesses du citoyen Rousseau". En voici quelques extraits :

"Le Citoyen Rousseau a fait Sept Scélératesses à la fois qui ont éloigné de lui tous ses amis.
Il a écrit contre Mde d'Epinay une lettre qui est un prodige d'ingratitude. Cette Dame l'avait établi a La Chevrette, et l'y nourrissait et entretenait lui, sa maitresse et la mère de sa maîtresse.
Il se proposait de se retirer à Genève, lorsque la Santé de mde d'Epinay l'y appella. Il ne 's'offrit seulement pas à l'accompagner."

Diderot fait allusion à la rupture entre Rousseau et madame d'Epinay et au refus du Genevois de la suivre à Genève. Convenons que le tout Paris aurait ri de Rousseau, s'il avait accepté d'accompagner la dame de la Chevrette. Lui qui clamait son indépendance à l'égard des grands, quel visage aurait-il proposé au monde s'il avait donné suite à cette invitation ?

Louise et Sophie
" Il accusait Mde d'Epinay dans le temps qu'il lui devait tout et qu'il vivait à ses dépens, du projet d'ôter m. de St L[ambert] à mde d'H[oudetot] et pour y réussir, d'avoir voulu séduire la petite Le Vasseur afin qu'elle surprît une des lettres que Rousseau écrivait à mde d'H[outetot] ou une des réponses que cette Dame lui faisait, et d'avoir dit à la Levasseur, si cela se découvre, vous vous sauverez chez moi et cela fera un beau bruit.
Le dit Rousseau était alors tombé amoureux de mde d'H[oudetot], et pour avancer ses affaires, que faisait-il ? Il jetait dans l'esprit de cette femme des scrupules sur sa passion pour m. de St Lambert son ami.
Il accusait mde d'Epin[ay] d'avoir ou instruit ou fait instruire m. de St Lambert de sa passion pour mde d'Houd[etot]."

Il s'agit là d'un épisode tellement romanesque que je m'en suis emparé dans la Comédie des Masques... Madame d'Epinay était-elle jalouse de sa belle-soeur ? A-t-elle réellement tenté d'intercepter les lettres qu'écrivait Jean-Jacques à sa Sophie ? Ces questions demeurent sans réponse. Mais le rôle joué par Thérèse, la compagne de Rousseau, reste évidemment à définir...


  "Sa note est un tissu de Scélératesse. J'ai vécu quinze ans avec cet homme là. De toutes les marques d'amitié qu'on peut donner à un homme, il n'y en a aucune qu'il n'ait reçu de moi, et il ne m'en a jamais donné aucune. Il en a quelquefois eu honte, dans l'occasion j'ai pali sur ses ouvrages, et il en convient à moitié, mais non de tout. Il ne dit pas ce qu'il doit à mes soins, à mes conseils, à mes entretiens, à tout et son dernier ouvrage est fait en partie contre moi.  (...)  Il suit de là que cet homme est faux, vain comme Satan, ingrat, cruel, hypocrite et méchant; toutes ses apostasies du catholicisme au protestantisme, et du protestantisme au catholicisme, sans rien croire ne le prouvent que trop.
Une chose m'avait toujours offensé dans sa conduite avec moi, c'est la manière légère dont il me traitait devant les autres et les marques d'estime et de docilité qu'il me donnait dans le tête à tête; il me suçait, il employait mes idées, et il affectait presque de me mépriser.
Diderot
En vérité cet homme est un monstre. (...)

La charge de Diderot devient alors plus brutale puisqu'il qualifie de monstre l'homme qui fut son ami pendant plus de quinze ans. Quelques années plus tard, pour prouver la duplicité de Rousseau, il laissera même entendre que c'est lui qui a soufflé au Genevois l'idée du premier Discours (celui sur les sciences et les arts).
 Cette hypothèse ouvre évidemment des perspectives vertigineuses : celle d'un philosophe (Rousseau) qui aurait joué un rôle et une partition imaginés par son ami Diderot. Nous l'envisagerons dans le 2nd tome...

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