mercredi 18 mai 2011

Discours sur l'origine de l'inégalité (3)

l'inégalité au XVIIIème siècle
Dans ce 2nd Discours, Rousseau ne cherche plus à obtenir les suffrages de l'Académie de Dijon. Le registre académique précise d'ailleurs que l'ouvrage n'a pas "été achevé de lire à cause de sa longueur et de sa mauvaise tradition". En 1754, Rousseau est déjà célèbre, et puisqu'on dénonce les paradoxes et les incohérences de son 1er Discours, il est désormais temps pour lui d'énoncer et d'étayer clairement sa doctrine. 
La première source du mal, nous l'avons vu, est l'inégalité. 
C'est là un sujet dont le Genevois peut traiter, tant son parcours personnel lui aura fait connaître d'humiliations et de mauvais traitements : apprenti maltraité dans ses jeunes années, il sera ensuite laquais à Turin, puis précepteur et enfin secrétaire pour le compte de Madame Dupin à Paris. Avant le succès remporté par son 1er Discours, plusieurs de ses courriers nous montrent d'ailleurs combien Jean-Jacques a souffert de ces situations subalternes : "il est dur à un homme de sentiments, et qui je pense comme je fais, d'être obligé, faute de moyen, d'implorer des assistances et des secours" (mémoire au gouverneur de Savoie, 1739) ; "je ne fais rien du tout et cependant tout mon temps est aliéné parce qu'il faut que je fasse instamment compagnie à des gens qui n'ont rien à faire" (lettre à Mme de Warens, 1750).
Si Rousseau a depuis longtemps le sentiment de sa valeur, il vit comme une injustice flagrante de n'être rien au milieu de gens qui ont tout alors qu'il valent moins que lui ! Sa soudaine célébrité va bouleverser la donne. Désormais, il va pouvoir afficher sa pauvreté avec ostentation, et même la revendiquer. Ce qui compte, c'est d'être vu et entendu, d'apparaître comme un être singulier, un moraliste solitaire. En demeurant volontairement pauvre, il accuse implicitement l'inégalité sociale de son temps. Le 2nd Discours constituant le versant théorique, sa personne apparaît comme la manifestation vivante (ou pratique) de son système. Par sa seule présence, il montre en effet ce que les fortunes ont d'abusif et d'infondé. En 1754, Rousseau devient de fait le porte-parole des humiliés et des pauvres. Il n'a désormais plus d'autre choix que de refuser les pensions, les sinécures, les gratifications que les "puissants" lui proposent de toutes parts. En les recevant, il s'avouerait leur inférieur, il se lierait d'obligation à eux ( comme Voltaire, Diderot plus tard, ou d'Alembert...), il cautionnerait l'état de dépendance qu'il dénonce chez les autres. En ne recevant rien, il ne doit rien, et il rend d'autant plus visible cette injustice qu'il dénonce par ailleurs. On comprend mieux alors les efforts produits par Voltaire (pendant ces mêmes années) pour démontrer l'existence d'une supposée richesse cachée de Rousseau...

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