Au déshonneur d'avoir renoncé à ses idéaux de jeunesse, Diderot ajoutera bientôt l'avilissement de ramper aux pieds d'un monarque. Pour remercier Catherine II de lui avoir adressé 50 000 livres pour l'achat de sa bibliothèque, Diderot s'abaisse en ces termes : "Grande Princesse, je me prosterne à vos pieds, je tends mes deux bras vers vous ; je voudrais parler, mais mon âme se serre (...) je jure qu'avant de mourir, j'aurai élevé à sa gloire une pyramide qui touchera le ciel, et où dans les siècles les souverains verront, par ce que le sentiment seul de la reconnaissance aura entrepris et exécuté, ce qu'ils auraient obtenu du génie si leurs bienfaits l'avaient cherché." (nov. 1766)
Pas un mot sur le coup d'état de 1762, rien non plus sur l'assassinat de empereur (et accessoirement son ancien époux...). Ce que Voltaire nommait des "bagatelles" ou encore des "affaires de famille", Diderot ne les évoquera jamais.
Rulhière |
Pire encore : lorsque le secrétaire de l'ambassadeur de France à St Petersbourg (un dénommé Rulhière), fait son retour à Paris en 1765, on sent aussitôt poindre de l'affolement dans le camp des affidés de Catherine. Rulhière, en effet, a entrepris de lire en public un ouvrage (qu'il a écrit mais pas publié) dans lequel il mentionne les méfaits commis par l'impératrice russe. "L'affaire est délicate, très délicate", fait savoir Diderot à la despote. Peut-être pourrait-on offrir à ce malotru un poste de diplomate en échange de son silence ? De son côté, Mme Geoffrin propose maladroitement 30000 livres à l'impertinent secrétaire afin qu'il brûle son manuscrit.
Nouveau refus.
Pierre III, assassiné en 1762 |
Cette fois, la coupe est pleine. Diderot et Grimm décident d'employer les grands moyens. On procédera comme avec Rousseau, en discréditant l'écrit en même temps que la personne. Dans un de ses contes, il qualifie les révélations de Rulhière de "tissu de mensonges". De son côté, Grimm ironise à son propos : "Il est de ces gens qui vont toujours droit devant eux, sans jamais regarder ni à leur droite ni à leur gauche : ce chemin mène souvent droit aux petites maisons... Je crois M. de Rulhière à peu près le seul homme en Europe qui ait foi à la vérité de sa relation." (Correspondance Littéraire, 1770)
Le coup de grâce sera porté par Diderot en 1771. En maquillant le récit de Rulhière en conte (qu'il aurait écrit lui-même !!!), le philosophe-courtisan fait passer son adversaire pour un affabulateur. Cette fois, Rulhière doit s'avouer vaincu. Ses "Anecdotes sur la Révolution de Russie" ne seront rendues publiques qu'en 1797, après la mort de l'impératrice russe.
Je passerai sous silence le voyage de Diderot en Russie (en 1773), ainsi que les petites manoeuvres perfides auxquelles il se livrera auprès de l'impératrice pour humilier son ancien compagnon d'Alembert. De ces vingt années qui ont suivi l'enfermement à Vincennes, je préfère même tout oublier...
Car à quelques mois de sa probable panthéonisation, je ne veux me souvenir que du bohème idéaliste et pauvre qui hantait le quartier du Palais-Royal à l'aube des années 1740...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Pour commenter cet article...