C'était donc, en
fait, la route de Paris ouverte aux forces austro-prussiennes et
Marie-Antoinette s'irrite extrêmement de l'indigne inertie dont fait preuve son
neveu François, empereur maintenant d'Autriche et qui, de toute évidence,
devrait voler à son secours ; mais, fasciné qu'il est par l'affaire de Pologne,
il se désintéresse de la France, c'est-à-dire de la condition de plus en plus
dramatique où se trouve la reine, sa tante. Elle a persuadé, sans peine, son
mari de congédier ces infréquentables Jacobins auxquels on n'a prêté le pouvoir
un instant qu'afin qu'ils prennent la responsabilité de la guerre. À présent,
qu'ils s'en aillent, et que l'on revienne, aux Tuileries, à des ministres de
bon ton. C'est à quoi Louis XVI s'emploie, le 13 juin. Fureur des éconduits qui
préparent aussitôt, avec la collaboration d'auxiliaires efficaces, comme
Santerre, une manifestation plébéienne qui devrait contraindre le roi à
restituer leurs portefeuilles au trio Roland-Clavière-Servan. Robespierre
désapprouve l'entreprise ; et on le comprend, car l'insolence est belle de
mobiliser la canaille en faveur de particuliers tout à fait résolus, on le
sait, à maintenir les pauvres dans leur état d'exclusion civique. Les ministres
déchus ne tiennent aucun compte de son opposition et, docile à leur poussée, la
foule faubourienne envahit les Tuileries, le 20 juin.
Invasion des Tuileries, le 20 juin 1792 |
Surveillée et
respectueuse du bien d'autrui, elle ne volera ni n'endommagera rien, mais elle
acculera le roi dans l'embrasure d'une fenêtre, l'obligera à poser un bonnet
rouge sur sa perruque (d'accord, d'accord !) et même à boire, à la santé de la
nation, un verre de gros rouge (mais oui ; mais pourquoi pas !). Tout cela en
souriant, mais avec la ferme détermination de ne point obéir à l'injonction
populaire un peu rude. Louis XVI ne rappellera point à son Conseil les
ministres « de gauche ». Marie-Antoinette, pour sa part, a subi de cruelles
avanies. Si la foule s'est montrée, à l'égard du roi, exagérément familière,
une certaine décence, tout de même, a prévalu. Il n'en a pas été de même dans
les appartements de la reine, laquelle, réfugiée avec ses enfants derrière une
grande table, et le dos au mur, s'est entendu interpeller de manière odieuse
par quelques pauvresses éhontées. Le lendemain 21 juin, encore toute
tremblante, Marie-Antoinette écrit à Fersen qu'elle a « cru mourir », et qu'elle
n'en peut plus. Au secours ! Au secours !
L'apathie,
l'indifférence outrageante, criminelle, de sa propre famille, à Vienne, la
bouleverse. Que l'on fasse quelque chose, tout de même ! À défaut, pour la
sauver, d'un éclat de foudre, au moins un éclat de voix, pour faire peur à ces
« atroces Français », pour effrayer, par quelque avertissement sévère, la
racaille parisienne en attendant — mais, au nom du Ciel, qu'on agisse, qu'on ne
tarde plus ! — l'indispensable invasion, la marche en avant, l'ouragan de
mitraille sous lequel croulera la Révolution.
Ce que demande
Marie-Antoinette, ce qu'elle réclame, fiévreuse, angoissée, et ce qu'elle va
effectivement obtenir, ce n'est pas autre chose que la gaffe suicidaire qui les
emportera, elle et son mari, avec la monarchie elle-même.
Le 25 juillet 1792
est signé, à Coblentz, par le chef suprême des armées conjointes de l'empereur
François et du roi Frédéric-Guillaume, le manifeste dit de Brunswick (ndlr : voir ci-dessous) qui, non
seulement laisse voir, mais révèle, mais souligne, mais proclame la collusion
de la cour et de l'envahisseur. Guerre de politique intérieure : l'ennemi
annonce que son but est de soutenir la cause royale. Les Austro-Prussiens
viendront détruire en France la liberté et rétablir l'absolutisme. La suite est
bien connue. Marie-Antoinette comptait sur une épouvante dont elle profiterait.
Elle provoque une indignation qui va la perdre.
Saisissons bien,
d'abord, la réalité telle quelle. Le 10 août [1792], une foule composée avant
tout, comme le 20 juin, de passifs, c'est-à-dire de ces sans-le-sou à qui les
ministères successifs se sont tous entendus, depuis trois ans, pour interdire
toute participation à la gestion des affaires nationales, fait irruption aux
Tuileries, chez le roi, et cette fois dans l'intention déclarée de le
renverser, de lui ôter définitivement son trône, son sceptre et sa couronne.
Sans doute le trio jacobin, qui veut récupérer ses portefeuilles ministériels
a-t-il utilisé des auxiliaires pour soulever, comme en juin, la populace. Mais
d'autres agitateurs sont à l'œuvre, qui sont mal rassurants ; car, quels que
soient leurs desseins personnels, ils peuvent très bien flatter le désir, trop
naturel, qu'éprouvent les démunis, d'un réel changement social qui les arracherait
à leur misère. Que penser d'un Danton, par exemple, membre cependant de la
municipalité élue (il a été nommé, en décembre 91, substitut du procureur) et
qui, dans sa section du Théâtre français, a pris soudain l'initiative - très
grave - d'admettre n'importe qui, c'est-à-dire des passifs eux-mêmes, dans la
garde nationale ? Où va-t-on, avec des gens pareils ? Et voici qu'apparaît une
COMMUNE INSURRECTIONNELLE, où, dès l'après-midi du 10 août, vont entrer, aux
côtés de Danton, un Robespierre et un Marat, et qui supplante, annule, de fait,
la municipalité régulière.
La prise des Tuileries, le 10 août |
Louis XVI a été
habilement accusé par les conspirateurs de préparer, avec ses Suisses (ils sont
neuf cents) et on ne sait combien de gentils-hommes venus de province pour lui
offrir le concours de leur épée, une terrible sortie fulgurante, en plein
Paris, conjuguée avec le franchissement des frontières par les
Austro-Prussiens. Le pauvre homme en est bien incapable. Il sait qu'il ne peut
même plus compter sur la bonne vieille garde nationale, assez scandalisée, dans
l'ensemble, par sa complicité, désormais évidente, avec les puissances
étrangères. Il s'effare. Il perd la tête. Et avant même qu'un seul coup de feu
ait été tiré — guidé par ce Rœderer qui, plus tard, prêtera la main à Bonaparte
pour son coup d'État de Brumaire — le roi cherche refuge, pour lui-même et sa
famille, au sein de l'Assemblée nationale. Cette Législative, réunie depuis le
1er octobre 1791 et qui croyait avoir deux ans d'existence assurée, découvre
tout à coup, ce 10 août [1792], qu'elle est condamnée à se dissoudre après
moins de douze mois. Elle a devant elle, en face d'elle, un pouvoir nouveau,
totalement illégal, mais qui, soutenu par la canaille, dispose de la force, la
Commune.
Les membres de
l'Assemblée ont été choisis par des électeurs triés selon leurs ressources, et
parmi des citoyens aisés ; et ce sont ces notables, ces nantis, ces honnêtes
gens, sur lesquels s'abat l'aventure vertigineuse : un roi démissionnaire, la
protection du cens disparue, le suffrage universel à la place, et, le pire de
tout, la garde nationale submergée par la basse plèbe ; ce qui signifie des
fusils entre les mains de qui ne saurait en détenir. En d'autres termes, un
cataclysme, le monde à l'envers, la civilisation en péril. Cependant, n'en déplaise
à nos doctrinaires d'aujourd'hui qui parlent — compétents et catégoriques —
d'un fâcheux dérapage qu'aurait connu, après la Constituante, le mouvement de
89, la Révolution française n'entra dans sa pleine réalité qu'avec le 10 août
1792, le suffrage universel et la République. Auparavant, un simple et innocent
réformisme, le tiers des électeurs virtuels éliminé par défaut d'argent, et, à
la tête de l'État, un roi (surpayé) qui subsiste, muni du droit de s'opposer,
quatre ans de suite, à tel vœu de la prétendue Représentation nationale,
c'est-à-dire de l'Assemblée censitaire.
La Législative
s'est montrée pleine d'égards pour le malheureux souverain évadé de chez lui.
Vergniaud lui a promis le palais du Luxembourg ; une liste civile de cinq cent
mille francs lui sera allouée et on étudiera le choix d'un précepteur pour son
fils. Pardon ! Minute ! a fait savoir la Commune insurrectionnelle : non, le
roi déchu ne sera pas logé, princièrement, au Luxembourg, mais incarcéré au
Temple dans la partie de l'édifice qui peut très bien servir de prison, et où
le Louis XVI d'hier ne sera plus qu'un Louis Capet dont la République imminente
fixera le sort.
Danton |
La République ne
sera reconnue — non point proclamée mais reconnue comme établie — que le 21
septembre, jour où se réunira pour la première fois la nouvelle assemblée
choisie par le suffrage universel. Auparavant se seront déroulés des événements
de première importance, durant les quelques semaines où survivra encore la Législative
agonisante, des événements qui appellent une extrême attention. Un homme y joue
un rôle majeur sur lequel il importe de ne pas se méprendre. C'est Danton.
Manifeste de Brunswick (extraits)...La ville de Paris et tous ses habitants sans distinction seront tenus de se soumettre sur-le-champ et sans délai au roi, de mettre ce prince en pleine et entière liberté, et de lui assurer, ainsi qu'à toutes les personnes royales, l'inviolabilité et le respect auxquels le droit de la nature et des gens oblige les sujets envers les souverains ; leurs Majestés impériale et royale rendant personnellement responsables de tous les événements, sur leur tête, pour être jugés militairement, sans espoir de pardon, tous les membres de l'Assemblée nationale, du département, du district, de la municipalité et de la garde nationale de Paris, les juges de paix et tous autres qu'il appartiendra, déclarant en outre, leursdites majestés, sur leur foi et parole d'empereur et de roi, que si le château des Tuileries est forcé ou insulté, que s'il est fait la moindre violence, le moindre outrage à leurs Majestés, le roi, la reine et la famille royale, s'il n'est pas pourvu immédiatement à leur sûreté, à leur conservation et à leur liberté, elles en tireront une vengeance exemplaire et à jamais mémorable, en livrant la ville de Paris à une exécution militaire et à une subversion totale, et les révoltés coupables d'attentats aux supplices qu'ils auront mérités. Leurs Majestés impériale et royale promettent au contraire aux habitants de la ville de Paris d'employer leurs bons offices auprès de sa majesté très-chrétienne pour obtenir le pardon de leurs torts et de leurs erreurs, et de prendre les mesures les plus rigoureuses pour assurer leurs personnes et leurs biens s'ils obéissent promptement et exactement à l'injonction ci-dessus.
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