jeudi 3 janvier 2013

Silence aux pauvres !- Henri Guillemin (6)

Les deux misérables tentatives militaires effectuées, fin avril puis fin mai 1792, sur la frontière belge par les troupes françaises avaient été liquidées en quarante-huit heures, et, chaque fois, dans la panique et la débandade. La faute en était, pour une large part, semble-t-il, à des officiers de cavalerie, ultranobles et qui n'avaient point émigré, s'estimant plus utiles aux intérêts de la couronne en conservant leurs postes afin d'y assurer la victoire de l'ennemi-ami.

C'était donc, en fait, la route de Paris ouverte aux forces austro-prussiennes et Marie-Antoinette s'irrite extrêmement de l'indigne inertie dont fait preuve son neveu François, empereur maintenant d'Autriche et qui, de toute évidence, devrait voler à son secours ; mais, fasciné qu'il est par l'affaire de Pologne, il se désintéresse de la France, c'est-à-dire de la condition de plus en plus dramatique où se trouve la reine, sa tante. Elle a persuadé, sans peine, son mari de congédier ces infréquentables Jacobins auxquels on n'a prêté le pouvoir un instant qu'afin qu'ils prennent la responsabilité de la guerre. À présent, qu'ils s'en aillent, et que l'on revienne, aux Tuileries, à des ministres de bon ton. C'est à quoi Louis XVI s'emploie, le 13 juin. Fureur des éconduits qui préparent aussitôt, avec la collaboration d'auxiliaires efficaces, comme Santerre, une manifestation plébéienne qui devrait contraindre le roi à restituer leurs portefeuilles au trio Roland-Clavière-Servan. Robespierre désapprouve l'entreprise ; et on le comprend, car l'insolence est belle de mobiliser la canaille en faveur de particuliers tout à fait résolus, on le sait, à maintenir les pauvres dans leur état d'exclusion civique. Les ministres déchus ne tiennent aucun compte de son opposition et, docile à leur poussée, la foule faubourienne envahit les Tuileries, le 20 juin.
Invasion des Tuileries, le 20 juin 1792


Surveillée et respectueuse du bien d'autrui, elle ne volera ni n'endommagera rien, mais elle acculera le roi dans l'embrasure d'une fenêtre, l'obligera à poser un bonnet rouge sur sa perruque (d'accord, d'accord !) et même à boire, à la santé de la nation, un verre de gros rouge (mais oui ; mais pourquoi pas !). Tout cela en souriant, mais avec la ferme détermination de ne point obéir à l'injonction populaire un peu rude. Louis XVI ne rappellera point à son Conseil les ministres « de gauche ». Marie-Antoinette, pour sa part, a subi de cruelles avanies. Si la foule s'est montrée, à l'égard du roi, exagérément familière, une certaine décence, tout de même, a prévalu. Il n'en a pas été de même dans les appartements de la reine, laquelle, réfugiée avec ses enfants derrière une grande table, et le dos au mur, s'est entendu interpeller de manière odieuse par quelques pauvresses éhontées. Le lendemain 21 juin, encore toute tremblante, Marie-Antoinette écrit à Fersen qu'elle a « cru mourir », et qu'elle n'en peut plus. Au secours ! Au secours !

L'apathie, l'indifférence outrageante, criminelle, de sa propre famille, à Vienne, la bouleverse. Que l'on fasse quelque chose, tout de même ! À défaut, pour la sauver, d'un éclat de foudre, au moins un éclat de voix, pour faire peur à ces « atroces Français », pour effrayer, par quelque avertissement sévère, la racaille parisienne en attendant — mais, au nom du Ciel, qu'on agisse, qu'on ne tarde plus ! — l'indispensable invasion, la marche en avant, l'ouragan de mitraille sous lequel croulera la Révolution.

Ce que demande Marie-Antoinette, ce qu'elle réclame, fiévreuse, angoissée, et ce qu'elle va effectivement obtenir, ce n'est pas autre chose que la gaffe suicidaire qui les emportera, elle et son mari, avec la monarchie elle-même. 
 Le 25 juillet 1792 est signé, à Coblentz, par le chef suprême des armées conjointes de l'empereur François et du roi Frédéric-Guillaume, le manifeste dit de Brunswick (ndlr : voir ci-dessous) qui, non seulement laisse voir, mais révèle, mais souligne, mais proclame la collusion de la cour et de l'envahisseur. Guerre de politique intérieure : l'ennemi annonce que son but est de soutenir la cause royale. Les Austro-Prussiens viendront détruire en France la liberté et rétablir l'absolutisme. La suite est bien connue. Marie-Antoinette comptait sur une épouvante dont elle profiterait. Elle provoque une indignation qui va la perdre.

Saisissons bien, d'abord, la réalité telle quelle. Le 10 août [1792], une foule composée avant tout, comme le 20 juin, de passifs, c'est-à-dire de ces sans-le-sou à qui les ministères successifs se sont tous entendus, depuis trois ans, pour interdire toute participation à la gestion des affaires nationales, fait irruption aux Tuileries, chez le roi, et cette fois dans l'intention déclarée de le renverser, de lui ôter définitivement son trône, son sceptre et sa couronne. Sans doute le trio jacobin, qui veut récupérer ses portefeuilles ministériels a-t-il utilisé des auxiliaires pour soulever, comme en juin, la populace. Mais d'autres agitateurs sont à l'œuvre, qui sont mal rassurants ; car, quels que soient leurs desseins personnels, ils peuvent très bien flatter le désir, trop naturel, qu'éprouvent les démunis, d'un réel changement social qui les arracherait à leur misère. Que penser d'un Danton, par exemple, membre cependant de la municipalité élue (il a été nommé, en décembre 91, substitut du procureur) et qui, dans sa section du Théâtre français, a pris soudain l'initiative - très grave - d'admettre n'importe qui, c'est-à-dire des passifs eux-mêmes, dans la garde nationale ? Où va-t-on, avec des gens pareils ? Et voici qu'apparaît une COMMUNE INSURRECTIONNELLE, où, dès l'après-midi du 10 août, vont entrer, aux côtés de Danton, un Robespierre et un Marat, et qui supplante, annule, de fait, la municipalité régulière.
La prise des Tuileries, le 10 août
 Louis XVI a été habilement accusé par les conspirateurs de préparer, avec ses Suisses (ils sont neuf cents) et on ne sait combien de gentils-hommes venus de province pour lui offrir le concours de leur épée, une terrible sortie fulgurante, en plein Paris, conjuguée avec le franchissement des frontières par les Austro-Prussiens. Le pauvre homme en est bien incapable. Il sait qu'il ne peut même plus compter sur la bonne vieille garde nationale, assez scandalisée, dans l'ensemble, par sa complicité, désormais évidente, avec les puissances étrangères. Il s'effare. Il perd la tête. Et avant même qu'un seul coup de feu ait été tiré — guidé par ce Rœderer qui, plus tard, prêtera la main à Bonaparte pour son coup d'État de Brumaire — le roi cherche refuge, pour lui-même et sa famille, au sein de l'Assemblée nationale. Cette Législative, réunie depuis le 1er octobre 1791 et qui croyait avoir deux ans d'existence assurée, découvre tout à coup, ce 10 août [1792], qu'elle est condamnée à se dissoudre après moins de douze mois. Elle a devant elle, en face d'elle, un pouvoir nouveau, totalement illégal, mais qui, soutenu par la canaille, dispose de la force, la Commune.

Les membres de l'Assemblée ont été choisis par des électeurs triés selon leurs ressources, et parmi des citoyens aisés ; et ce sont ces notables, ces nantis, ces honnêtes gens, sur lesquels s'abat l'aventure vertigineuse : un roi démissionnaire, la protection du cens disparue, le suffrage universel à la place, et, le pire de tout, la garde nationale submergée par la basse plèbe ; ce qui signifie des fusils entre les mains de qui ne saurait en détenir. En d'autres termes, un cataclysme, le monde à l'envers, la civilisation en péril. Cependant, n'en déplaise à nos doctrinaires d'aujourd'hui qui parlent — compétents et catégoriques — d'un fâcheux dérapage qu'aurait connu, après la Constituante, le mouvement de 89, la Révolution française n'entra dans sa pleine réalité qu'avec le 10 août 1792, le suffrage universel et la République. Auparavant, un simple et innocent réformisme, le tiers des électeurs virtuels éliminé par défaut d'argent, et, à la tête de l'État, un roi (surpayé) qui subsiste, muni du droit de s'opposer, quatre ans de suite, à tel vœu de la prétendue Représentation nationale, c'est-à-dire de l'Assemblée censitaire.

La Législative s'est montrée pleine d'égards pour le malheureux souverain évadé de chez lui. Vergniaud lui a promis le palais du Luxembourg ; une liste civile de cinq cent mille francs lui sera allouée et on étudiera le choix d'un précepteur pour son fils. Pardon ! Minute ! a fait savoir la Commune insurrectionnelle : non, le roi déchu ne sera pas logé, princièrement, au Luxembourg, mais incarcéré au Temple dans la partie de l'édifice qui peut très bien servir de prison, et où le Louis XVI d'hier ne sera plus qu'un Louis Capet dont la République imminente fixera le sort.
Danton
 La République ne sera reconnue — non point proclamée mais reconnue comme établie — que le 21 septembre, jour où se réunira pour la première fois la nouvelle assemblée choisie par le suffrage universel. Auparavant se seront déroulés des événements de première importance, durant les quelques semaines où survivra encore la Législative agonisante, des événements qui appellent une extrême attention. Un homme y joue un rôle majeur sur lequel il importe de ne pas se méprendre. C'est Danton. 



Manifeste de Brunswick (extraits)...La ville de Paris et tous ses habitants sans distinction seront tenus de se soumettre sur-le-champ et sans délai au roi, de mettre ce prince en pleine et entière liberté, et de lui assurer, ainsi qu'à toutes les personnes royales, l'inviolabilité et le respect auxquels le droit de la nature et des gens oblige les sujets envers les souverains ; leurs Majestés impériale et royale rendant personnellement responsables de tous les événements, sur leur tête, pour être jugés militairement, sans espoir de pardon, tous les membres de l'Assemblée nationale, du département, du district, de la municipalité et de la garde nationale de Paris, les juges de paix et tous autres qu'il appartiendra, déclarant en outre, leursdites majestés, sur leur foi et parole d'empereur et de roi, que si le château des Tuileries est forcé ou insulté, que s'il est fait la moindre violence, le moindre outrage à leurs Majestés, le roi, la reine et la famille royale, s'il n'est pas pourvu immédiatement à leur sûreté, à leur conservation et à leur liberté, elles en tireront une vengeance exemplaire et à jamais mémorable, en livrant la ville de Paris à une exécution militaire et à une subversion totale, et les révoltés coupables d'attentats aux supplices qu'ils auront mérités. Leurs Majestés impériale et royale promettent au contraire aux habitants de la ville de Paris d'employer leurs bons offices auprès de sa majesté très-chrétienne pour obtenir le pardon de leurs torts et de leurs erreurs, et de prendre les mesures les plus rigoureuses pour assurer leurs personnes et leurs biens s'ils obéissent promptement et exactement à l'injonction ci-dessus.

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