samedi 5 janvier 2013

Silence aux pauvres !- Henri Guillemin (8)

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Le ministre Roland de la Platière
Pour Danton, pour Roland, comme pour la Législative dans son ensemble, une bonne chose, après tout, ces massacres dans les prisons. Un moindre mal, en tout cas. La question centrale, posée depuis l'été 1789 est constamment obsédante : Gare à l'anarchie ! Veillons à la sécurité des fortunes, elle est devenue soudain, le 10 août, d'une actualité virulente. Pourvu, pourvu, que les monstres à qui sourit la Commune et qui pourrissent et décomposent la chère et si précieuse garde nationale bourgeoise, exclusivement jusqu'alors constituée d'hommes d'ordre (et qui s'est si bien conduite, au Champ-de-Mars, le 17 juillet 91), pourvu que ces loqueteux ne profitent pas des circonstances pour procéder à des récupérations individuelles ! Exutoire, providentiel exutoire, l'épuration des prisons. Des assassinats sont infiniment moins graves que ne le seraient des attentats à la Propriété. Tant que la canaille s'occupe des aristocrates en prison, elle ne songe pas au pillage des hôtels particuliers. L'essentiel reste sauf. N'en doutons pas, telle est la secrète pensée, réconfortante, que partagent tacitement tous les gens raisonnables. Les Girondins, comme les autres, passeront l'éponge sur la flaque de sang du 2 au 5 septembre 1792. Un triste épisode, certes, mais qui rendit tout de même un inappréciable service à la classe possédante.

Le drame des prisons est directement lié à celui, trop réel, de la Patrie en danger ; et c'est là, dit la tradition, que Danton conquit, d'un coup, son meilleur titre de gloire. Brûlé d'une véritable incandescence patriotique, c'est lui, Danton, qui incarna la résistance à l'invasion : « De l'audace ! Encore de l'audace ! Toujours de l'audace ! Et la Patrie sera sauvée ! »
Danton à la tribune

 Honneur au grand citoyen qui sut inspirer à la jeune France révolutionnaire un magnifique élan national. Sur toutes les places de Paris et dans tous les plus importants carrefours, Danton a donné l'ordre que soient installées, en hâte, des baraques surmontées, entourées de drapeaux exaltants - des baraques contenant une table, deux chaises et des piles de papier blanc. Et ce qu'il va demander à la foule, le 2 septembre [1792], avec ces effets oratoires, cet emportement sonore, et ces rugissements qui font sa spécialité, ce sont des volontaires, des volontaires tout de suite et par centaines : jeunes Parisiens en âge de combattre, aux armes ! Engagez-vous ! Signez ! Signez à l'heure même ! Que vos poitrines deviennent le rempart héroïque contre lequel s'effondreront les hordes étrangères ! Et on l'écoute, et un frisson de patriotisme authentique et de dévouement sans réserve traverse quantité de jeunes prolétaires qui découvrent, dans leur engagement militaire, en même temps que la preuve ardente qu'ils donneront de leur bonne volonté nationale et républicaine, une issue à leurs pénibles difficultés quotidiennes. Bénédiction sur eux ! Avec quelle tendresse, et quel soulagement, Roland considère leur pathétique tumulte devant les baraques géniales inventées par Danton !

Il est trop bavard, Roland-le-vieux, et n'a pas les vigilantes précautions de Danton. Il va mettre par écrit, noir sur blanc, ce qu'il devrait savoir ne confier qu'oralement, et dans un murmure, à des intimes. Et nous pourrons lire aujourd'hui de sa main ces lignes inouïes tant elles en disent long : les volontaires de septembre, ah ! qu'on les envoie au plus vite « aussi loin que leurs jambes pourront les porter ; sans cela, ils reviendront ici pour nous couper la gorge ». Michelet glisse, sur Danton et le 2 septembre, un mot (un seul) que l'honnêteté le force à écrire, mais qu'il s'abstiendra de développer, ce qu'il nous faut faire à sa place. Michelet reconnaît que ces départs, en masse, de militants révolutionnaires allégeaient d'autant la capitale.
scène de conscription en 1792
 Alléger est un peu faible ; débarrasser, dégorger, délivrer conviendraient mieux. Chaque volontaire qu'on expédie vers quelque camp d'entraînement du côté de la frontière, c'est un homme de moins dans cette foule indigente, si redoutable aux gens de bien, surchauffée depuis le 10 août et que l'on considère, en haut lieu, comme, hélas ! capable de tout. Les engagements massifs obtenus par Danton, grâce à son magnifique numéro tricolore, s'attaquent droit pour l'émousser, l'épointer, le briser, à ce fer de lance d'une trop possible révolution sociale que constitue la jeunesse plébéienne de Paris. Ainsi en sont retirés les éléments les plus dangereux. Une bonne chose de faite. Bravo, Danton !

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