Puisqu'il n'y a
plus de roi, la Constitution de 1791 doit être modifiée. A cet effet est
convoquée une nouvelle Constituante, mais sous un autre nom. L'américanisme
étant à la mode depuis le soutien aux insurgents, on choisit un mot anglais : Convention, qui ne signifie rien d'autre
qu'assemblée, réunion. Un mot, cependant, qui, grâce à Michelet surtout, va
s'environner de prestige. Quand le Hugo des Misérables,
en 1862, imagine de faire s'agenouiller son bon évêque, Mgr Myriel, devant un
survivant, qui va mourir, de la Convention, il est évident qu'en raison, sans
doute, des hommes de la Montagne, le poète prend la Convention pour quelque
Sinaï sublime, aux flancs zébrés d'éclairs. Ouvrons les yeux et prenons
connaissance de la Convention telle quelle.
Donc, en septembre
1792, c'est le premier essai, en France, du suffrage universel. L'abstention
sera colossale. A peine trente à quarante pour cent de votants. Plus de cens ;
la nation est prolétaire à quatre-vingt quinze pour cent, journaliers ruraux et
artisans ou ouvriers des villes. Sur les sept cent cinquante représentants à
nommer, savez-vous combien seront, à la Convention, les représentants directs
de cette multitude infinie de travailleurs faite, selon Voltaire, pour nourrir le
petit nombre qui se réserve le droit de la gouverner ? Combien ? Deux ;
Armonville, cardeur de laine près de Reims, et Noël Pointe, ouvrier à la
manufacture d'armes de Saint-Étienne. Les analphabètes abondent dans les
campagnes, et les paysans qui ont voté, en petit nombre, l'ont fait sous la
conduite des notables locaux, le notaire, le médecin, le nouveau châtelain,
tous de grands bourgeois enrichis, comme Danton, grâce aux biens nationaux. Ce
sont les compétents, les messieurs qui savent puisqu'ils lisent.
E.J SIEYES |
Ainsi la Convention,
où reparaissent par dizaines, et des membres de la Législative et même
d'anciens constituants, comme Sieyès, est d'une composition sociale tout à fait
identique à celle des assemblées précédentes. Mise à part la députation
parisienne, qui est presque entièrement montagnarde (avec Danton, Marat,
Robespierre), l'immense majorité, la quasi-totalité de la Convention
appartient, sans l'avouer toujours, à ce centre, discrètement mais extrêmement
dilaté, qu'on appelle, selon l'amitié ou l'hostilité qu'on lui porte : la Plaine,
ou le Ventre, ou le Marais. Ces gens-là vivent tous dans l'effroi ; ils ont les
épaules resserrées, le dos rond, la langue d'une grande prudence. Car s'ils se
trouvent réunis, c'est la conséquence du 10 août ; et qu'est-ce que le 10 août
? Un coup de force faubourien. La pègre règne à la Commune. Heureusement qu'il
y a ce Danton — et que l'or le comble, s'il le souhaite ! — qui a fait franchir
à la Société des heures chargées d'épouvante. Et ce dont il nous faut prendre
profondément conscience, c'est que la province, dans son ensemble, admet très
mal cette injuste, cette absurde domination de Paris qui impose à la France de
subir, servilement, les décisions prises par qui ? Non pas même par la capitale
mais par une poignée de ses habitants, la part la moins estimable, les démunis,
les passifs d'hier, autant dire la canaille.
Roland est resté
ministre de l'Intérieur et dirige un Bureau de formation de l'esprit public qui
inonde la France, aux frais de l'État, d'articles et de libelles dénonçant la
tyrannie de ces pernicieux, de ces anarchistes (c'est le mot perpétuellement
repris) dont le plus bel exemple est le sinistre Robespierre. Jour par jour une
campagne se déchaîne contre lui, l'aspirant dictateur, l'ambitieux masqué qui
vise, en fait, à la Toute-Puissance, avec l'armée de gueux qui est à ses
ordres. Un groupe, déjà vigoureux à la Législative, s'est tout de suite
reconstitué à la Convention, le groupe des Girondins (encore que trois
seulement d'entre eux, mais les meneurs, Vergniaud, Guadet, Gensonné, soient
des élus de la Gironde).
21 sept 92, 1è séance de la Convention |
Lamartine, dans son Histoire des Girondins où ne manquent, certes ni les légèretés, ni
les bavures, n'en dira pas moins la vérité sur ce groupe : des gens,
écrira-t-il en 1847, « parfaitement
résolus à laisser subsister, dans les profondeurs sociales, les pires iniquités
» ; ce qu'ils veulent, c'est l'aristocratie de la richesse, de telle sorte que
la France, « à la place d'un seul tyran,
en ait quelques milliers ». Et Jaurès, plus bref et encore meilleur : les
Girondins ? « Une oligarchie de grands
bourgeois beaux parleurs et arrogants. » Ils feront tout, en janvier 93,
pour sauver la tête du roi, non par souci d'humanité, car il suffit de prêter
l'oreille à leurs discours pour constater qu'ils y font grand usage des mots guillotine,
échafaud, mais ils en réservent l'emploi à l'intention des anarchistes. L'existence
du roi a, pour eux, une valeur mythique ; il demeure, même détrôné, le symbole
de l'ordre établi, de la structure ancestrale, et qui doit demeurer immuable,
de toute société civilisée. Les Girondins ne voteront la mort du roi que dans
cette crainte des faubourgs qui ne cesse de les habiter.
Et qui fera créer
ce tribunal révolutionnaire responsable de tant d'exécutions ? Ce n'est ni
Saint-Just, ni Robespierre, mais bien Danton, le 10 mars 93, parce qu'il lui
faut, n'importe comment, se démarquer, se défausser de Dumouriez avec lequel il
s'est lourdement compromis et qui est à la veille non seulement de déserter,
comme l'a fait La Fayette, mais de passer à l'ennemi pour lui offrir son
concours. Et Danton, après avoir, le 1er avril, déclaré une guerre sans merci
aux Girondins, ces lâches, les convie, quatre jours plus tard, à une
association fraternelle, et c'est avec leur accord qu'il entre, le 6 avril,
dans le premier Comité de Salut public.
En ce même mois d'avril
93, Robespierre horrifie les honnêtes gens en réclamant, dans la nouvelle
Déclaration des droits de l'Homme, l'insertion d'un article qui limiterait le
droit de propriété. L'argumentation de Maximilien est toute simple : vous
n'avez pas aboli l'esclavage dans nos colonies, la traite des noirs subsiste ;
demandez à un négrier ce qu'est ce bateau (« je me trompe, disait Robespierre, ce cercueil flottant ») dans lequel sont entassés des hommes, des
femmes et des enfants à la peau noire et dont beaucoup meurent en route, il
vous répondra calmement : « Ceci est ma
propriété. » Eh non ! Nul homme ne saurait être propriétaire d'un autre
homme. De même que la liberté a pour limite la liberté d'autrui, de même il
faut que la loi interdise tout usage du droit de propriété qui porterait
atteinte à la vie ou à la dignité d'êtres humains. Robespierre a touché à
l'Arche, l'arche sainte, cette Propriété devenue sacrée depuis le 26 août 1789.
Il a commis le crime que la Convention ne peut tolérer ; elle décidera donc,
contre lui, que l'article concernant la propriété sera rédigé — voté — comme
suit : « Le droit de propriété est celui
de jouir et de disposer à son gré de ses biens. » A la bonne heure.
Les Girondins ont
appelé le pays à se dresser contre Paris. « Hommes
de la Gironde, levez-vous ! » s'est écrié Vergniaud. Et Cambon,
précédemment, s'est adressé du même ton aux « généreuses populations du Midi » ; le Girondin Isnard, hors de lui,
le 25 mai 1793, a repris à son compte le Manifeste de Coblentz pour annoncer
que, si les propriétaires, à Paris, se voyaient menacés, la Province tout
entière se jetterait sur la ville pour l'anéantir au point, disait cet orateur
inspiré, que plus tard, « le visiteur des
rives de la Seine se demanderait si jamais une cité avait existé là ». Et
c'est, une fois de plus, les hideux faubourgs qui vont agir, contraignant
l'Assemblée, sous la menace des canons d'Henriot (cet ancien commis d'octroi
devenu, à n'y pas croire, le commandant en chef de la garde nationale), le 2
juin 1793, à exclure de son sein quelque trente membres. Inqualifiable
attentat, dira Michelet, à la souveraineté nationale ; alors que Lamartine, peu
suspect cependant de tendances anarchistes, venait d'écrire dans son Histoire
des Girondins : « Encore six mois d'un
pareil gouvernement (celui du premier Comité de Salut public, avec Danton à
la tête) et c'en était fait de la France,
et comme République, et comme nation. »
Pour les hommes
raisonnables, comme sont les Girondins, le libéralisme est la loi des lois dans
le domaine de la production et du commerce où doit s'épanouir en pleine
autonomie le système du marché. Roland, ministre de l'Intérieur, a défini le
dogme : « Tout ce qu'un sage gouvernement
peut et doit faire en matière économique, c'est d'affirmer qu'il n'interviendra
jamais. » Et cependant, en septembre 1793, à la suite d'un nouveau
mouvement de la basse plèbe, le Comité de Salut public, celui du 27 juillet où
Robespierre exerce son ascendant, fait entériner par la Convention cette
cruelle atteinte à la Propriété qu'implique un contrôle étatique des prix : un
chiffre MAXIMUM a été fixé pour la vente de trente denrées alimentaires
considérées comme de première nécessité ; par rapport aux prix de 1790, une
augmentation du tiers est autorisée, mais les salaires, parallèlement, devront
être augmentés de moitié. Quant au prix du pain, depuis des mois il est
maintenu à trois sous la livre au moyen d'un impôt spécial sur les riches. De
quoi, tout cela, indigner la très grande majorité des conventionnels, mais qui
ne peuvent que baisser la tête et ronger leur frein tant que Robespierre aura
derrière lui, pour légiférer, la vaste tourbe de cette canaille armée de fusils
qui remplace l'ancienne, et si précieuse, garde nationale formée d'honnêtes
gens.
Robespierre |
Dans l'été de 1793,
la situation intérieure, extérieure, de la République française est plus
qu'alarmante, frôlant la ruine et l'engloutissement. Les Girondins bannis de
l'Assemblée ont réussi à soulever contre Paris un bon nombre de départements.
Avant même le 2 juin, le 29 mai, Lyon est entré en révolte, la bourgeoisie
locale destituant la municipalité montagnarde (elle guillotinera l'ancien
maire) et réunissant une armée sérieuse. Le 11 mars, à Machecoul, s'est
inauguré ce qui s'appellera la guerre de Vendée. Ce jour-là, soudain, un
carnage de républicains ; riposte à la levée de trois cent mille hommes qu'il a
fallu prescrire devant l'assaut (enfin) lancé par les Austro-Prussiens, le 1er
mars, et qui, en quelques jours, va chasser les troupes françaises de Belgique
et de Rhénanie. Rien à voir, le carnage de Machecoul, avec une résistance
catholique et royaliste. Cet aspect-là ne s'avérera qu'un peu plus tard. Pour
l'heure, un refus violent de se laisser mobiliser par des fonctionnaires dont
on ne comprend même pas la langue et pour une patrie que l'on ne reconnaît pas.
La guerre de Vendée a commencé par un refus de service militaire. Les premiers
Vendéens furent des insoumis, des conscrits réfractaires ; il est utile de le
savoir. Utile aussi de n'ignorer point que la guerre de Vendée où
s'entassèrent, des deux côtés, des horreurs et qui fit certainement plus de
cent mille victimes (cent cinquante mille peut-être) n'avait rien d'un génocide
comme disent quelques polémistes d'aujourd'hui ; rien de racial dans cette
tragédie ouverte par l'assassinat de délégués républicains, le 11 mars 1793,
dans la petite ville de Machecoul, en Loire-Atlantique.
Fin juin 1793, sur
quatre-vingt-trois départements, soixante sont en sécession. Le corps
expéditionnaire du duc d'York cherche à investir Dunkerque ; Cobourg,
l'Autrichien, guette Maubeuge et Strasbourg. La situation est si grave que, le
10 juillet, lors du renouvellement mensuel des pouvoirs du Comité, Danton s'est
retiré, prenant pour prétexte jovial son tout récent mariage, et tout ce qu'il
avait à enseigner, disait-il, pour une heureuse vie conjugale, à sa jeune
épouse de seize ans. Qu'on veuille bien lui permettre, en conséquence, de se
consacrer, pour un temps, aux joies du foyer. Robespierre donne alors sa
mesure. Lui qui a vainement tenté d'écarter la guerre, puisque la guerre est là
qu'on la gagne ! Et il invente un comportement jusqu'alors inédit. Une défaite
était toujours, avant lui, imputable aux soldats. Mais les généraux ?
Intouchables ! Cet usage reprendra après l'intermède Robespierre. Ne
verrons-nous pas l'Armée, après les désastres de 1870-1871 et la reddition de
Paris, faire pleuvoir sur elle-même un déluge de décorations et de promotions.
(Je me souviens de ma stupeur en tournant, au Journal Officiel, ces pages et
ces pages encombrées de récompenses.)
la bataille d'Hondschoote |
Rappellerai-je que
le président Paul Reynaud, après la percée allemande de Sedan, en mai 1940,
avait envisagé des sanctions - trop légitimes - contre les responsables, et en
particulier Huntziger. À peine a-t-il esquissé ce geste que lui parvient une
lettre comminatoire de son premier et prestigieux collaborateur, le maréchal
Pétain, lequel, en date du 26 mai, lui fait savoir qu'il démissionnera
sur-le-champ et plantera là tout net le gouvernement s'il ose se permettre la
scandaleuse inconvenance dont lui est venue la tentation (Huntziger, Pétain au
pouvoir en fera son ministre de la Guerre). Mais Robespierre s'est entêté et il
enverra à la guillotine tout une série de chefs de corps. Il ne me déplaît pas
que Robespierre soit, avec Saint-Just, l'auteur de cette circulaire de décembre
1793, ainsi conçue : « L'insubordination
des généraux est la pire dans une République. Dans un État libre, c'est le
pouvoir militaire qui doit être le plus astreint. » Les résultats
confirmeront sa dure intransigeance. Aux défaites succèdent des victoires :
Hondschoot va dégager Dunkerque, Wattignies, Maubeuge et bientôt le danger
s'éloignera de Strasbourg.
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