mercredi 9 janvier 2013

Silence aux pauvres !- Henri Guillemin (11)

 
 La conclusion de ce très beau (mais très controversé...) texte de Guillemin.
                                            *********

Tout va bien, donc, pour la République, quand soudain Robespierre se voit confronté à un problème inattendu : un clan, exclusivement bourgeois (Soboul l'a établi dans son admirable thèse de douze cents pages sur Les Sans-culottes parisiens de l'an II), lance une campagne furieuse de déchristianisation. Elle commence avec l'affaire du nouveau calendrier déclenchée par Fabre d'Églantine ; quand l'évêque (constitutionnel) Grégoire, républicain décidé, demande pourquoi ce changement, la réponse est claire : pour qu'il n'y ait plus de dimanches, et plus de messes. Et tant pis si l'ouvrier ne se repose plus que tous les dix jours seulement. Anacharsis Clootz et Léonard Bourdon obtiennent — par on ne sait quel chantage — de l'évêque de Paris, Gobel, qu'il se déprêtrise publiquement, le 7 novembre. Tels représentants en mission, comme Dumont dans les départements du Nord, ou Javogues en Saône-et-Loire et dans l'Ain, font la chasse aux animaux noirs (ce sont les curés). La Commune désaffecte Notre-Dame de Paris, qui devient Temple de la Raison et Cambon réclame la fermeture immédiate de toutes les églises dans la France entière.

calendrier républicain
 Robespierre dit non ; nous sommes le 21 novembre 1793. Robespierre exige que soit maintenue la liberté de conscience. Il ne veut pas d'un totalitarisme athée ; mais il se heurte à forte partie, car, de même qu'à la Constituante la majorité était voltairienne (c'est la Constituante qui a désaffecté l'église Sainte-Geneviève pour en faire le Panthéon où elle a conduit, en grande pompe, le 10 juillet 1791, les cendres du glorieux Impie), de même, la majorité de la Convention ne demande pas mieux que de voir disparaître les principes, à tous égards désobligeants, du christianisme. Mirabeau se disait ouvertement « athée avec délices » ; le marquis de Sade précisait, quant à lui : « athée avec fanatisme ». Les Girondins avaient voulu s'opposer à toute allusion à Dieu dans la nouvelle Déclaration des droits de l'Homme et leur ténor Isnard trouvait d'une lenteur fastidieuse « l'agonie de la Superstition ».

Si Robespierre prend énergiquement parti contre cette brutale intolérance, c'est que, fervent disciple de Rousseau, il a, de longue date, quant au sens de la Révolution, une arrière-pensée qui commande toute son action, et il n'a pas craint d'imprimer, dans son périodique Le Défenseur, en juin 1792, cette apostrophe à l'Être suprême : « Ô Dieu, cette cause est la tienne », la cause qu'il défend, de l'équité. A ses yeux, la Révolution - sinon, elle est condamnée à l'insignifiance - doit comporter un nouveau regard de l'homme sur la vie, la mort, et l'emploi des jours. Cette vertu dont il parlera (et dont se gaussera bassement Danton) le 5 février 1794, dans son rapport Sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention nationale dans l'administration intérieure de la République, c'est, avant tout, l'esprit civique, la solidarité, la bonne volonté courageuse, la préférence du Bien, l'esprit de sacrifice, la grandeur d'âme, la magnanimité. Nous voulons, se risque-t-il à dire, une Cité « où toutes les âmes s'agrandiront », la République des cœurs purs... Cette espèce de naïveté poignante, ça aussi, sachons-le, c'est le propre de Robespierre, de Robespierre sombrement résigné, en même temps, à la Terreur et à la guillotine.
procession de la déesse Raison


On imagine les haussements d'épaules et l'agacement irrité chez ceux — et ils sont légion — qui souscrivent à la formule de Voltaire : « Le plaisir est le but, le devoir (sic) et l'objet de tous les êtres raisonnables. » Le 18 Floréal, Robespierre s'avise d'exprimer toute sa pensée sur « le rapport des idées religieuses avec les principes républicains » ; et, cette fois, c'en est trop, car il dénude la docilité de ce qu'il nomme la secte encyclopédiste à l'égard des despotes, pourvu qu'ils soient éclairés. Le jour où il célèbre la Fête de l'Être suprême — le 8 juin, dans l'ancien calendrier, date de la Pentecôte pour l'année 1794 - Robespierre signe son arrêt de mort. Depuis près de deux ans, les trois quarts (pour le moins) des Conventionnels attendent qu'apparaisse le moyen de fermer, et si possible à jamais, cette parenthèse odieuse ouverte par le 10 août dans la vie politique et sociale. Or, voici que cette chance apparaît. Des rangs mêmes de la Montagne, le 8 juin, pendant la fête, ont fusé contre Robespierre des cris de haine, des interpellations insultantes. La semaine suivante, le 15, Vadier (membre du Comité de Sûreté générale) ravit l'assemblée en contant l'histoire de Catherine Théot, cette vieille folle mystique de la Contrescarpe qui prédit un nouveau Messie ; chacun a compris l'allusion : le nouvel Élu du Seigneur aucun doute, pour la grotesque prophétesse, c'est Robespierre, ce « prêtre et qui ne sera jamais qu'un prêtre », comme avait si bien dit Condorcet. Michelet crie sa joie devant l'opération Vadier : « On se tordait, dit-il, sur les bancs de la Convention. Rire immense. Rire sacré. Enfin Voltaire ressuscite. Béni sois-tu, bon revenant ! »

Maximilien était tombé malade, mi-février. Il avait été alors quotidiennement chapitré chez lui par Saint-Just qui l'a convaincu de frapper un coup double - disons deux coups successifs, mais très rapprochés - contre deux factions, aussi néfastes l'une que l'autre, qui font tant de mal à la République, les hébertistes et les dantonistes ; forcenés, les premiers ; sournois et plus dangereux encore, les seconds. Robespierre a fini par ouvrir les yeux sur ce Danton qui l'aura si longtemps abusé, qu'il défendait encore (ajoutant, tout de même : « je puis me tromper »), le 3 décembre 1793, et la rancœur lui fait mal quand il songe à la lettre, si fraternelle — et si ridicule, hélas ! — qu'il avait adressée à cet homme en février 93, lorsque la première femme de Danton était morte. Un écœurement l'a pris lorsque, le 29 mars 94, avant-veille de son arrestation, Danton a voulu s'entretenir avec lui, et qu'il a vu le gros homme, pour se défendre, incriminer Desmoulins (sa marionnette) lequel serait la proie d'un vice inavouable.

L'exécution d'Hébert, de Danton, de leur entourage interlope de parasites et de forbans, si elle n'a paru que trop tardive à un Billaud-Varenne, a fourni à d'autres montagnards leur prétexte de rupture. Il y a aussi, contre Robespierre, ces représentants en mission qu'il fait rappeler parce qu'ils donnaient de la République une image atroce, ou inacceptable. Il y a Cambon et son petit clan dont Robespierre observe, avec stupeur et dégoût, les méthodes singulières : ils règlent en assignats (dépréciés) les petites rentes d'État, en numéraire les grosses.

Et il y a Carnot qui ne décolère plus depuis que Robespierre parle de conclure la paix puisqu'à la fin de juin 1794, le sol français a été délivré de toute présence militaire ennemie. Cesser la guerre quand, après tant de mois, elle répond enfin à sa raison d'être, et qu'elle devient fructueuse ! Et surtout il y a, dans la Convention, ce large consensus pour en finir avec la Superstition. Notons-le bien, c'est l'Assemblée tout entière, in corpore, qui de bon cœur et joyeusement, s'est transportée, le 10 novembre 93 au Temple de la Raison substitué, la veille, à Notre-Dame.
juin 1794 : fête de l'Etre suprême


Pour se débarrasser de Robespierre, la marche à suivre est toute tracée : il n'est fort qu'à l'aide de son exécrable, mais puissante, mais irrésistible armée faubourienne. Toute la lie du peuple est pour lui. Ce à quoi il faut parvenir, c'est à lui retirer ce révoltant appui. Les deux comités vont s'y appliquer avec zèle. Depuis l'incident Vadier, dont la signification offensive était trop claire, Maximilien a pratiquement renoncé à ses fonctions gouvernementales. Afin de ne pas désorienter l'opinion, il fait, chaque matin, une apparition de quelques minutes au Comité de Salut public, signant pour la forme, quelques décrets, mais il ne participe plus au pouvoir. Or, on a décidé, entre conjurés, d'utiliser à fond contre lui une modification — excessive — de la procédure judiciaire réclamée par Couthon (et visant, lui-même le dira, cinq ou six individus, pas plus). Le plan d'action est de rendre la guillotine frénétique, en répétant partout, sans cesse, et confidentiellement, que Robespierre exige qu'il en soit ainsi. Le 29 juin, cinquante-quatre coupables ont été exécutés le même jour (un record !), hommes et femmes, tous et toutes revêtus de la chemise rouge des parricides : ce sont les criminels impliqués de près ou de loin, dans les tentatives d'assassinat imputées à Ladmiral et à Cécile Renault contre Robespierre. Et Robespierre se venge, paraît-il.
Si le Tribunal révolutionnaire, en quinze mois, a prononcé quelque douze cents condamnations à mort, en six semaines il en prononcera treize cents. Et qu'on le sache bien : c'est « Robespierre qui le veut ». Ces condamnations, au surplus, portent désormais, assez souvent, sur de petites gens, de pauvres gens, accusés d'avoir mal parlé de la République, regretté le bon temps de la monarchie. 

Qu'il a donc tristement changé, l'Incorruptible auquel on aura fait trop longtemps confiance ! Sur l'affreux calcul des complices, Lamartine, beaucoup mieux que Michelet, a dit la vérité en une phrase lapidaire : ce Robespierre dont ils veulent la tête, « ils le couvrirent, pendant quarante jours, du sang qu'ils versaient » pour le perdre. Opportune, excellente mesure supplémentaire : on établit, le 5 Thermidor, un nouveau maximum, celui des salaires, cette fois, qui doivent être réduits, selon les cas, de vingt, trente ou quarante pour cent. Bien entendu, la décision est de Robespierre. Enfin, pour que tout soit parfaitement au point, le jour J, Sieyès et Fouché se partagent la besogne : ils vont trouver, chez eux, les principaux membres du Marais pour les prévenir, amicalement : « Votre nom, je le sais, est sur la prochaine liste d'arrestations dressée par Robespierre. »
Le grand jeu se jouera, avec une vigueur et une unanimité consolantes, le 27 juillet 1794 (9 Thermidor an II). Cette Convention, jusqu'alors ratatinée sur elle-même et disant oui, à l'unanimité, aux propositions de Robespierre, elle est soudain transfigurée, et c'est à l'unanimité (quelle volte-face !) quelle envoie Robespierre à la mort. Comme on pouvait s'y attendre — on n'avait certes pas, en ce sens, ménagé les efforts — les faubourgs ne bougent guère ; le soir du 9 Thermidor où Robespierre et sa petite équipe ont été mis hors la loi, sur quarante-huit sections parisiennes, plus de la moitié restent indifférentes, et c'est deux ou trois mille plébéiens tout au plus, encore fidèles, qui s'attroupent dans la nuit devant l'Hôtel de Ville. Robespierre refuse de les encourager. Il sait bien que tout est fini et que son grand dessein a les deux ailes cassées.
juillet 1794 : exécution de Robespierre
 C'est la Libération de Paris comme écrira, après la dernière guerre, et dans une intention limpide, un historien occasionnel, ancien ami des Croix-de-feu : Ce qui signifie que la Convention va pouvoir enfin respirer, déposer le masque obligé, et révéler son vrai visage. Triomphe de la liberté économique. Suppression du contrôle des prix, lesquels montent aussitôt verticalement. On meurt de faim — et ce n'est pas là figure de style — dans « les quartiers du travail et de la misère ». Les suicides se multiplient. La mortalité dans Paris atteint, pendant l'hiver 1794-1795, le double de ce qu'elle était normalement.
-->
Insurrection d'affamés, le 1er avril 1795, Pichegru et ses soldats cernent le faubourg Saint-Antoine et y rétablissent l'ordre par les moyens appropriés. Puis la Convention, rendue à elle-même, bâtit une nouvelle Constitution inspirée par l'honorable Boissy d'Anglas qui s'est fait acclamer à la tribune en rappelant qu'« un pays gouverné par les propriétaires est dans l'ordre naturel ». Pour être membre de la Législative, il avait fallu prouver que l'on versait aux contributions l'équivalent de cinquante journées de travail. Non, deux cents, dit la Convention qui ne badine pas avec la sûreté des possédants. 
novembre 1799 (18 brumaire): coup d'état de Bonaparte
 La République de 1792 mourra en deux temps ; le 9 Thermidor est une esquisse du 18 Brumaire, un prélude. Bonaparte saura se faire charger, par un puissant groupe bancaire, de l'opération finale. A partir du 10 novembre 1799, plus d'élections. Les Français n'ont plus la parole. Les maires eux-mêmes sont nommés par le Premier Consul. Et dès lors voici la France vampire. Sa méthode italienne de 1796, Bonaparte l'appliquera, peu à peu, à l'Europe entière. Un caïd, pour s'enrichir, a besoin d'hommes de main, de tueurs à gages. Pour cet emploi, le gangster corse a réussi le tour de force de se procurer, tout bonnement, l'ensemble des conscrits français. Jacques Bainville dira du régime de Bonaparte qu'il fut un « trop bref âge d'or. » Jamais, avant de découvrir, grâce à Mathiez, l'extraordinaire épître de Roland — rappelez-vous ! sur les volontaires à expédier le plus loin possible, sous peine d'inconvénients majeurs pour les honnêtes gens — jamais je n'ai mieux compris l'immense bienfait dont la bourgeoisie française fut redevable à l'empereur. C'est lui qui, chaque année, grâce à cette conscription à laquelle échappent comme ils veulent les fils de familles (voyez Lamartine par exemple, qui eut ses 20 ans en 1810, et son camarade Virieu) enverra les jeunes plébéiens, éventuellement dangereux, au loin, au diable, et jusqu'à Moscou, pour le repos des gens de bien.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour commenter cet article...