mercredi 21 mai 2014

Jansénistes, Jésuites et Philosophes (5)

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Damiens

Au cours des premiers interrogatoires, Damiens a imprudemment mentionné plusieurs parlementaires jansénistes chez lesquels il a servi par le passé. A cette nouvelle, les robins parisiens sont pris de panique. Alors que le cas du régicide relève en théorie de la prévôté de l'hôtel (l'attentat ayant été commis dans un domaine royal), les parlementaires obtiennent par lettres patentes que les officiers de la prévôté soient dessaisis et que l'instruction soit immédiatement déplacée à Paris. Dans la nuit du 17 au 18 janvier, Damiens est transféré en toute hâte de Versailles à la Conciergerie. Les audiences reprennent le lendemain matin, sous l'égide du Président de Maupeou. Durant les trois mois que durera l'instruction (jusqu'à fin mars), 120 témoins comparaîtront devant le magistrat et les autres commissaires. Pour l'occasion, Monsieur de Maupeou fera preuve d'un zèle d'autant plus surprenant que le Parlement est alors en conflit ouvert avec le roi au sujet de la Bulle unigenitus et du refus de sacrements aux jansénistes ordonné par l'archevêque Christophe de Beaumont. 
Le 1er interrogatoire de Damiens (le 18 au matin) illustre l'orientation nouvelle que va prendre le procès : Damiens "a dit qu'il est entré aux Jésuites à Paris" (question 39), "a dit que c'est au Collège" (question 40), "a dit qu'il est entré aux Jésuites où il a repris le même poste" (question 48), "a dit qu'il y est resté environ 18 mois et qu'au bout de 18 mois il est resté dans la maison au service des sieurs Peilhon et de Serre..." (question 50). Alors qu'à Versailles, on questionnait Damiens sur ses fréquentations jansénistes, le président Maupeou met désormais l'accent sur ses années passées au service des Jésuites... Le domestique reconnaît également à plusieurs reprises avoir agi pour des raisons religieuses ("depuis le temps de l'affaire de l'archevêque et du Parlement" question 137, "a dit que lorsque le ressort du Parlement est cassé, aucun procès ne se vuide, toutes les affaires sont arrêtées, et les trois quarts des peuples périssent" question 139) "a dit qu'il avait formé ce projet depuis l'exil du Parlement parce qu'il voyait les trois quarts du peuple périr de misère" question 180 "a dit qu'il leur (à des ecclésiastiques) a entendu dire que les gens du Parlement étaient les plus grands marauds et les plus grands coquins du monde à cause des poursuites violentes qu'on faisait contre les ecclésiastiques et que s'ils étaient les maîtres, ils tremperaient leurs mains dans le sang du Parlement" question 200) .
Vous l'aurez compris, le pauvre Damiens n'est déjà plus qu'un instrument dans la lutte à mort qui oppose la faction janséniste à celle des Jésuites et des dévots. Certains historiens s'interrogeront sur l'existence d'un complot organisé par l'un ou l'autre camp. Tout récemment, la polémiste Marion Sigaut a même imaginé un Damiens cherchant à se venger d'un roi pédophile (sic !) qui aurait abusé de sa fille quelques années plus tôt... Au vu des pièces du procès, aucune de ces hypothèses ne résiste hélas à l'examen. Les divers témoignages recueillis au cours de l'instruction dressent le portrait d'un homme instable, taciturne, suicidaire, porté sur l'alcool et rejeté par sa propre épouse en raison de son comportement violent...

Les 26 et 29 mars 1757, le Parlement de Paris peut enfin livrer son verdict.
Condamne ledit Damien à faire amende honorable devant la principale porte de l’Église de Paris, où il sera mené et conduit dans un tombereau, nu en chemise, tenant une torche de cire ardente du poids de deux livres ; et là, à genoux, dire et déclarer que méchamment et proditoirement, il a commis le très méchant, très abominable et très détestable parricide, et blessé le Roi d’un coup de couteau dans le côté droit, ce dont il se repend et demande pardon à Dieu, au Roi et à la Justice ;

Ce fait, mené et conduit dans ledit tombereau à la Place de Grève ; et sur un échafaud qui y sera dressé, tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras de jambes, sa main droite, tenant en icelle le couteau dont il a commis ledit parricide, brûlée de feu de souffre ; et, sur les endroits où il sera tenaillé, jeté du plomb fondu, de l’huile bouillante, de la poix-résine fondue, de la cire et du soufre fondus ensemble ;

Et ensuite son corps tiré et démembré à quatre chevaux, et ses membres et corps consumés au feu, réduits en cendre, et ses cendres jetées au vent ;

Déclare tous ses biens, meubles et immeubles, acquis et confisqués au Roi ;

Ordonne qu’avant ladite exécution, ledit Damien sera appliqué à la question ordinaire et extraordinaire pour avoir révélation de ses complices ;

Ordonne que la maison où il est né sera démolie, celui à qui elle appartient préalablement indemnisé, sans que sur le fonds de la dite maison puisse à l’avenir être fait aucun autre bâtiment.
Arrêt subséquent, prononcé contre la famille de Damien

Parlement de Paris, Grand’Chambre assemblée, le 29 mars 1757
Vu par la Cour, la Grand’Chambre assemblée, l’Arrêt d’icelle rendu le 26 mars du présent mois, contre Robert-François Damien, le Procès-verbal de question et d’exécution dudit Damien, du 28 des dits mois et an, les Conclusions du Procureur-général du Roi…

La Cour, les Princes et Pairs y séant, pour les cas résultant du Procès ;

Ordonne que, dans quinzaine après la publication de l’Arrêt du 26 mars du présent mois, et du présent, à son de trompe et cris public en cette ville de Paris, en celle d’Arras et en celle de Saint-Omer, Élisabeth Molerienne, femme dudit Robert-François Damien, Marie-Élisabeth Damien, sa fille, et Pierre-Joseph Damien, son père, seront tenus de vider le Royaume, avec défense à eux d’y jamais revenir, à peine d’être pendus et étranglés sans forme ni figure de procès.

Fait défenses à Louis Damien, frère dudit Robert-François Damien, et à Élisabeth Schoirtz, femme dudit Louis Damien, à Catherine Damien, veuve Cottel, sœur dudit Robert-François Damien, à Antoine-Joseph, autre frère dudit Robert-François Damien, et à Marie-Jeanne Pauvret, femme dudit Antoine-Joseph Damien, ensemble les autres membres de la famille, si aucun y a, portant le nom de Damien, de porter à l’avenir ledit nom ; leur enjoint de le changer en un autre, sur les mêmes peines.
 
le supplice de Damiens (28 mars 1757)
 (à suivre)

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