samedi 23 mai 2015

Voltaire et l'affaire Calas... (7)

(lire les articles précédents)

En 250 ans, tout a été dit sur cette sinistre affaire Calas. 
Pour comprendre le rôle joué par Voltaire, j'ai commencé par éliminer les études les plus fantaisistes (et Dieu sait qu'elles sont nombreuses !), puis je me suis replongé dans la correspondance du poète (les années 1761 à 1765). Trois de ses biographes, parmi les plus sérieux (Gustave Desnoireterres, Jean Orieux et Raymond Trousson), m'ont grandement aidé à ressaisir le déroulement des événements.
A vrai dire, tous s'entendent sur l'une des motivations de Voltaire : son anticléricalisme et plus encore, sa détestation de  l'Infâme, c'est-à-dire du fanatisme.

Pourtant, aucun n'ose s'étendre plus avant sur les causes profondes de cette haine. 
Cà et là, certains se hasardent bien sûr à avancer une explication. Ainsi, Raymond Trousson et Jean Orieux se lancent sur la piste d'un traumatisme d'enfance. "Ces damnés Jésuites, quand j'étais enfant, m'ont sodomisé à tel point que je ne m'en remettrai jamais tant que je vivrai" se serait plaint Voltaire à la table du poète Pope. Et Orieux de remonter encore plus loin:  à l'entendre, Voltaire aurait été un enfant adultérin, le fils du très libertin abbé de Chateauneuf !
Pour séduisantes qu'elles soient, ces hypothèses me semblent pourtant trop romanesques pour être retenues. 
J'imagine mal Voltaire consacrer près de trente ans de son existence à une vengeance aussi implacable qu'aveugle. Car sa correspondance nous le révèle, c'est surtout à partir des années 1750 (et plus encore après l'affaire Calas) que sa haine éclate au grand jour.
Légende : dîtes bien que nous sommes prêts au martyre

C'est après son séjour berlinois auprès de Frédéric, lorsqu'il est définitivement déclaré persona non grata à Paris, que le ton de ses lettres devient plus acerbe, plus venimeux, et bientôt vindicatif à l'égard des clercs. Pas tous, précisons-le d'emblée. Même à Ferney (songeons au père Adam), il conservera bon nombre d'amis parmi les gens d'Eglise. 
Mais les autres ! Comme il les a maltraités ! Lesquels, me direz-vous ? 
Revenons à l'essentiel. De quoi rêvait Voltaire ? De ce qu'il a connu durant les cinquante premières années de sa vie : de la cour de Sceaux, de Versailles, de Lunéville, des dorures, du théâtre, des salons parisiens, des dignités, des honneurs, de la proximité des grands, de tout ce dont on l'a privé avec l'exil d'après 1750...
J'imagine son amertume à Ferney...
Il savait tout de Paris : que les Jésuites arpentaient les couloirs de Versailles, que les Jansénistes régnaient en maîtres au Parlement, que par-dessus leur étole, les cardinaux avaient tous endossé des vêtements d'homme d'Etat : Le cardinal Fleury ?  premier des ministres de Louis XV. Le cardinal de Rohan ? un libertin compromis dans l'affaire du collier. Le cardinal de la Rochefoucauld ? ambassadeur de France à Rome. Le cardinal de Luynes ? il siégeait à l'Académie Française. Le cardinal de Bernis ? N'en parlons pas...
L'irruption à marche forcée du spirituel dans le temporel... Partout des hommes d'Eglise : Aux postes clés, dans le monde, dans les académies...
Et lui, loin de tout, exilé à Ferney !
Voltaire savait tout de ces gens-là. Il les avait côtoyés, il écrivait à certains d'entre eux, il partageait toutes leurs ambitions. L'alibi religieux mis à part, il leur ressemblait tant ! 
Sauf qu'ils étaient en place, dans la place, et lui non. Ils avaient d'ailleurs souvent oeuvré à l'en chasser.
Comment aurait-il pu ne pas les haïr ?
S'il a si souvent vilipendé la France, c'est avant tout parce que la France a refusé de l'aimer. Le dépit de l'amant bafoué... Oh, comme il aurait été heureux, si Louis XV avait fait de lui son conseiller ! En compagnie, par exemple, d'un Diderot (qui en rêvait, lui aussi) !
Au lieu de quoi... Voyez ce qu'écrit le patriarche de Ferney à d'Alembert en juillet 1760 :
"Serait-il possible que cinq ou six hommes de mérite (comprenez : Voltaire, d'Alembert, Diderot, Grimm, d'Holbach et Helvétius) qui s'entendront ne réussissent pas  après les exemples que nous avons de douze faquins (entendez: les apôtres) qui ont réussi ? Il me semble que le succès de cette affaire vous ferait un bonheur infini."
La suite, on ne la connaît que trop bien...

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