lundi 19 octobre 2015

Le commerce des grains au XVIIIè siècle (2)

 Le passage ci-dessous est extrait de La construction de l'état moderne en Europe, essai de l'historien américain Hilton Root.

(lire depuis le début)

Hilton Root

 

Si le point de vue des consommateurs prévaut largement dans la présentation que font les historiens des émeutes frumentaires, la correspondance des intendants de Bourgogne avec le pouvoir central, en particulier celle qui fut échangée avec Turgot entre 1774 et 1776, nous éclaire sur les impératifs qui ont déterminé le comportement des producteurs et des marchands en période de crise régionale. De plus, l'exemple de la Bourgogne nous aidera à comprendre pourquoi les interventions régionales du type habituel ont contribué à long terme à perpétuer une économie de crise.
Au printemps 1759, la rumeur d'une éventuelle disette de grains circule à Dijon, capitale de la Généralité de Bourgogne. Dans un mémoire adressé au Contrôleur général à Paris, l'intendant de Bourgogne expose que les gens s'agitent à mesure que le prix des grains monte et qu'il y a eu des soulèvements dans quelques villes. Le parlement avait réagi en prohibant toute exportation de grain hors de la province et même en demandant l'interception d'un convoi sur la Saône. Joly de Fleury, l'intendant (1749-1761), rapporte que
" cette précaution extrême produisit tout le mal qu'on devoit en attendre, les marchés furent dégarnis davantage, les inquiétudes augmentèrent, les provinces voisines s'allarmèrent. Quelques-unes des provinces où les secours par la mer ne seront pas parvenus assez promptement, en reportant l'allarme dans une infinité d'autres, ne rendront pas l'abondance plus grande et les prix moins cher en Bourgogne, elles exposeront au contraire cette province à manquer elle-même si elle n'est pas suffisament approvisionnée jusqu'aux récoltes prochaines et il peut résulter de ces dispositions, qui du moins auroient du être concertées, une fermentation et une chereté excessive dans la plus grande partie du Royaume».
En dépit des efforts de l'intendant pour préserver la liberté du commerce des grains, le parlement de Dijon prit un arrêt interdisant les exportations, comme il l'avait fait lors de la disette de 1747:
« ils ont été touchés des cris de la populace, de la chereté des grains et de l'empressement des marchands qui enharroient de tous cotés à tous prix et avant même que le grain fût battu ".
L'intendant proteste qu'il fait tout en son pouvoir pour que le parlement perçoive le dommage que causeront ses actes :
"Je lui ai remis (au Président du parlement) un exemplaire de l'arrêt du Conseil de 1754 qui ordonne la liberté du commerce des grains de province à province; mes représentations n'ont eu aucun succès ".
Le président invoqua en effet la légitimité de l'arrêt antérieur de 1747, qui fondait en droit l'interdiction des exportations hors province. Dans sa lettre au Contrôleur général, l'intendant se montre préoccupé de l'effet qu'aura sur le plan national cette réaction régionale:
« Le peuple ne se plaint pas seulement de ce qu'il manque de grain, mais de ce que le prix est excessif ... (et le prix ici sera certainement trop élevé si l'interdiction d'exporter est levée). La défense de sortie des grains de Bourgogne fera sans doute une grande sensation à Lyon et en Provence dès que l'arrêt y sera connu, et il y fera considérablement renchérir les grains; il est par conséquent plus nécessaire et plus instant que jamais de faire venir des grains par la méditerranée. Je sais que l'on pourroit casser l'arrêt du Parlement en ce qu'il fait défenses de sortir mais dans la forme je ne crois pas qu'il soit contraire à aucune loy du royaume. L'arrêt du Conseil de 1754 n'a pas été revêtu de lettres patentes n'y adressé aux parlements; le Conseil n'a pas jugé à propos de casser l'arrêt de 1747 rendu dans les mêmes termes », lui aussi après une mauvaise récolte.
Et il ajoute:
" un arrêt qui casseroit celui de la chambre des vacations feroit une grande sensation à Dijon et dans toute la province, et nous aurions de la fermentation qu'il me paroît très à propos d'éviter dans les circonstances présentes. Vous n'ignorés pas, Monsieur, qu'il n'y a aucune troupe en Bourgogne, et que nous n'avons à Dijon que 150 invalides qui gardent le château: je crois qu'il sera nécessaire d'y faire venir un Régiment d'infanterie en quartier d'hiver; je verroi incessament M. le Comte de T avannes qui est a sa campagne pour en conférer avec lui ».
L'armée était ailleurs et avait d'autres priorités; en outre elle aussi avait intérêt à un prix réduit pour les grains.
Turgot, contrôleur général sous Louis XVI

Dans sa réponse, le Contrôleur général insiste pour que les autorités locales prennent en considération le coup qu'elles porteront au commerce entre les régions si elles ferment leur province aux négociants de l'extérieur. En fin de compte, la pression montant, il autorise Joly de Fleury à acheter du grain pour le revendre au-dessous du prix du marché. Il lui demande aussi d'extraire en secret autant de grain que possible des régions voisines du Mâconnais, de la Bresse et du Bugey en passant par l'intermédiaire des sous-délégués royaux de façon que les autorités locales ne puissent s'opposer au départ des grains. Et il conclut:
« S'il faut sacrifier quelques dépenses pour indemniser ceux que vous engagerez à porter sur ces marchés et à vendre au dessous du prix courant, je vous autorise à promettre et à faire payer tout ce que vous jugerez nécessaire d'accorder à cet égard ; je m'en rapporte entierrement à vous et je suis bien persuades que vous ne negligerez rien pour calmer très promptement les sensations que ne peut manquer d'occasionner tout ce qui se passe actuellement dans votre département à ce sujet» .
La pénurie menaça à nouveau en 1770 et, à nouveau, le peuple en rendit coupables les marchands et le commerce libre. Quant au parlement, pour se concilier la confiance du peuple, il recommanda des mesures sévères contre les négociants. L'intendant, Jean-Antoine Amelot (1764-1775), écrit alors au Contrôleur général que le maire d'Arnay-Ie-Duc, M. Refort, a été emprisonné sur ordre du parlement pour avoir vendu du grain avec profit:
" Refort a vendu le bled plus cher qu'il ne l'avoit acheté et que dit-on c'est un monopolleur qui mérite les derniers chatimments ; on dit déjà qu'on hésite de le condamner au Pilory, parce qu'il seroit immanquablement assommé par la populace. M. Refort n'est pas le seul prétendu enharreur qui soit poursuivi; on prétend qu'il y est à plus de trente, ce qui infailliblement fera encore monter le prix des grains; mais il faut bien faire croire aux peuples qu'ils (les parlementaires) en sont les pères, de même que les tuteurs des Rois".
Le mois suivant, Amelot écrit à Paris qu'il devrait y avoir assez de grain pour nourrir tout le monde malgré la mauvaise récolte, et il explique que les prix élevés qui avaient suivi la mauvaise récolte pouvaient être attribués à la trop grande liberté dont avaient bénéficié les exportations. On signale que les marchands refusent la vente dans l'attente de prix de panique. Les critiques qu'on sent pointer chez lui contre la liberté de commerce donnent à penser que sa conception du libre-échange et son adhésion à cette politique étaient ambiguës. Nous apprenons que les paysans n'étaient pas très coopératifs eux non plus et qu'ils n'apportaient pas leur grain au marché. Il était devenu impossible de trouver des voitures de roulage pour transporter le grain: les rares propriétaires d'attelages qui acceptaient de courir le risque d'être agressés demandaient des prix démesurés. En fait les paysans ne voulaient pas risquer de voir confisquer ou saboter leur marchandise ou leurs tombereaux. L'intendant, lui, croyait que les paysans avaient pour stratégie d'attendre la montée des prix avant de porter leur grain au marché. C'est pourquoi il ordonna une corvée, c'est-à-dire l'obligation d'amener du grain de la campagne; il préconisait aussi la distribution de denrées aux frais du gouvernement. Il croyait que si marchands et fermiers étaient informés à l'avance d'une crise à venir, ils refuseraient de porter leur grain au marché en attente de la hausse de prix prévisible. Il ne semblait pas comprendre que l'inverse était également vrai. Les achats publics décourageaient les négociants de venir sur la place de Dijon parce qu'ils ne voulaient pas ajuster leurs prix à la baisse pour concurrencer ceux qui avaient été fixés par la puissance publique. Quoi qu'il en fût, l'intendant céda aux pressions locales en 1770 exactement comme son prédécesseur l'avait fait en 1759 et les concessions qu'il fit alors aux intérêts locaux ont pu jouer un rôle dans l'émergence d'une crise des subsistances au plan national.
II est significatif que les intendants aient adopté la même politique de clocher que les autorités locales et qu'à de rares exceptions près ils se soient davantage attachés à mettre sous le boisseau les ressources régionales qu'à favoriser la circulation des denrées à l'échelle nationale. De ce point de vue, leur comportement n'était pas très éloigné de celui des parlements. Kaplan note bien qu'il y eut une poignée d'intendants d'inclination libérale, comme il y eut de rares parlements dans les mêmes dispositions. Mais ce furent des exceptions, et seulement pour de brèves périodes.
En 1774, le Conseil du Roi accorda pleine liberté au commerce des grains. Entre autres dispositions, les réquisitions chez les producteurs étaient prohibées, ainsi que les enquêtes à domicile de juges, magistrats municipaux et maréchaussée. Le roi voulait prévenir les désordres dont il pensait qu'ils étaient encouragés par l'intervention des pouvoirs locaux dans le commerce des grains. En conséquence il prohiba toute intervention des magistrats municipaux dans les affaires d'approvisionnement et décréta que ce serait la concurrence qui empêcherait les prix d'atteindre un niveau excessif. Malheureusement pour Turgot, le ministre chargé de l'exécution de cette politique, les récoltes de 1774 et 1775 ne furent pas abondantes et les pouvoirs municipaux, pour prévenir des pénuries locales, choisirent d'ignorer les ordres du roi. La situation à Dijon est exemplaire: le tumulte éclate en 1774, avec le pillage de plusieurs maisons particulières et même la destruction d'un moulin. Turgot envoie une série de lettres aux autorités de la ville, les avertissant que le roi les tenait pour responsables des violences. II informe les Etats de Bourgogne que les magistrats municipaux de Dijon et Beaune sont à blâmer pour les pénuries constatées. Il écrit à un responsable local:
«Je ne suis point étonné, Monsieur, du tumulte arrivé à Dijon. Toutes les fois qu'on partage les terreurs du Peuple, et surtout ses préjugés, il n'y a point d'excès auquel il ne se porte ".
Les magistrats municipaux, Turgot y insiste, "ont précipité le malheur qui s'en suivit par « leurs imprudentes recherches" des réserves des boulangers. II écrit dans la même veine aux Etats de Bourgogne :
« Certainement ce prix (le prix du blé) augmenteroit encore, si les administrateurs s'en laissoient imposer par les terreurs populaires et les partageoient ; il augmenterait encore plus s'ils les fomentoient par une conduite imprudente, par les inquisitions qui effraient et répulsent le commerce".
Turgot estimait qu'il n'y a pas de meilleur moyen de susciter une pénurie que de promulguer des ordonnances publiques destinées à la prévenir:
«J'ai à cet égard plus d'un reproche à faire aux officiers municipaux de Dijon et de Beaune, qui se sont permis des visites et des ordonnances très propres à redoubler les craintes des peuples et à intimider et bannir des marchés les cultivateurs et les négociants desquels seuls les villes peuvent attendre la subsistance ».
Et il ajoute que la taxation du grain les fait fuir.
il donne alors ses consignes pour restaurer l'ordre:
- " 1. il faut avant tout en imposer à la populace et être le plus fort, car si la tranquillité n'est pas rétablie, si la sécurité n'est pas entière pour les marchands, les laboureurs, les meuniers de Dijon n'auront pas de grain de blé. Personne n'a envie d'exposer son bien et soi-même à la fureur de la populace. »
il y avait peu de précédents d'appel à l'armée dans l'histoire des soulèvements frumentaires de Bourgogne. Le contraste avec l'Angleterre de la même époque ne peut pas être plus frappant: la loi anglaise était bien plus dure pour les émeutiers. L'armée était souvent utilisée pour étouffer ces soulèvements et des officiers municipaux n'hésitèrent pas à faire même appel à la Marine. Pour un moulin, une maison endommagés, on risquait la peine de mort. Tous les participants à une action collective risquaient leur tête pour un acte individuel d'effraction et tous étaient collectivement coupables de crime.
Turgot poursuit, dans ses instructions au maire bourguignon:
- " 2. il faut tâcher de procurer quelqu'abondance dans les premiers marchés qui suivront l'émeute. Je crois que si la tranquillité est bien rétablie vous y parviendrez aisément en engageant quelques propriétaires des environs à y faire porter les blés qu'ils ont dans le moment à leur disposition, et à les vendre non pas à perte comme on l'a fait quelquefois imprudement mais au prix du marché qui a précédé l'émeute ».
Turgot était ainsi disposé à établir un autre précédent.
- " 3. il reste un troisième objet à remplir, c'est de ne pas laisser l'émeute impunie, ni ceux qui en ont souffert sans indemnité ... il y a eu en 1770 un assez grand nombre d'émeutes sur lesquelles il n'a été fait aucunes poursuites, ou n'en a été fait que de très légères. C'est un grand encouragement pour les émeutes à venir. D'un autre côté les malheureux qui ont été pillés, battus, insultés, n'obtienent aucune réparation, et ce défaut de protection de la part du gouvernement perpétue la flétrissure qu'imprime l'opinion de la populace à la profession de marchand de blé ».
Et Turgot, en conclusion, demande"
4. de faire arrêter les chefs de l'émeute qu'on peut aisément connaître et découvrir ... il n'est pas moins essentiel de constater sur le champ par un procès verbal exact tous les dommages soufferts par ceux dont les blés ou les meubles ont été exposés au pillage afin de pourvoir à leur dédommagement complet».
Aux Elus des Etats de Bourgogne (un corps permanent chargé de l'administration fiscale), il expose que le prix des grains était élevé partout en Europe à cause de récoltes insuffisantes, non du fait de la cupidité et des dents longues des marchands:
" Quand les bleds sont rares comme ils le sont en effet dans toute l'Europe, la récolte de l'année dernière ayant été généralement mauvaise, il est physiquement impossible qu'ils ne fussent pas chers; la plus grande chereté qui se trouve dans les cantons les moins approvisionnés est un remède amer sans doute, mais le seul qu'il y ait contre la disette, puisque c'est cette chereté dont on se plaint, qui par l'appat du gain fait rechercher les grains dans tous les endroits où ils sont plus abondants et à plus bas prix, et les appelle dans ceux où se manifestent les plus grands besoins.
Etats de Bourgogne
Il blâme sévèrement le maire de Dijon et lui rappelle que les réquisitions et visites des juges, de la police et des magistrats municipaux étaient interdites par l'arrêt du Conseil de juillet 1773 :
« Quelques pures qu'ayent été vos intentions, je ne puis vous dissimuler que les démarches que vous vous êtes permises et que l'émeute a suivi de si près, que les sentimens mêmes que vous anoncez par la Lettre que je reçois de vous, s'écartent des principes que S.M. a jugé nécessaire pour maintenir une bonne police: et je suis obligé de vous rapeller à ces principes dont je compte que vous ne vous éloignerez pas désormais. Je ne puis approuver les visites faites de votre autorité chez tous les Boulangers d'une ville pour connoÎtre la quantité de grains et de farines dont ils sont pourvûs, ni l'usage quelque ancien qu'il puisse être, ni des réglements de police que vous prétendez être aussi sages dans leur motif que salutaires dans leur exécution, quoiqu'ils ayent été jugés préjudiciables et dangereux par S.M. ni des circonstances quelconques toutes critiques qu'elles seroient ne peuvent autoriser de pareilles perquisitions, toute visite des juges de police ou de tous autres magistrats ou officiers : Ces visites sont d'ailleurs inutiles s'il y a chez les Boulangers des provisions suffisantes, et elles sont dangereuses si leurs magasins sont vides. Vous ne pouvez être assurés que leur résultat soit tenu sur et qu'il ne transpire pas dans le public: Elles ne peuvent donc servir qu'à élever des allarmes dans l'esprit du peuple ... Mais pour appeller le commerce, il est important d'empêcher qu'il ne soit repoussé par les préjugés du peuple, c'est à vous à l'en défendre, et c'est encore un devoir important que vous me paraissez avoir négligé ... Une preuve qui démontre que la police est mal faite à Dijon, c'est qu'on y a laissé accoutumer le peuple à traiter d'enharreurs ceux dont il doit attendre des secours dans le moment du besoin ... Il est juste de punir ceux qui l'appliquent ce terme à quelque marchand, à quelque particulier que ce puisse être» .
Quant à des achats de grain par la puissance publique, tels que les propose le Parlement de Dijon, voici sa position:
« Dès qu'il existe seulement le soupçon que quelqu'un se mêle du commerce aux frais et risque du public, tous les vrais commerçants se retirent. Il ne reste d'approvisionnements que ceux que le public pourrait en effet soudoyer».
Les pauvres ne sont pas absents de la pensée de Turgot. Celui-ci se faisait l'avocat de marchés libres à l'échelle nationale afin d'encourager les spécialisations régionales, dans l'espoir que l'avantage de chaque région pour un produit donné engendrerait globalement des surplus pour le consommateur. Les prix, selon Turgot, doivent être aussi proches de la vérité que possible, de sorte que les négociants disposent de toutes les informations nécessaires pour investir et décider de la façon la plus utile socialement. Comme nombre de tenants de la liberté du commerce des grains en France, Turgot s'était rendu compte qu'il faudrait instaurer un système d'assistance publique pour éviter les malnutritions chroniques et la mortalité de famine. Selon lui, les pouvoirs publics devaient faire en sorte qu'une partie des surplus engendrés par les marchés libres fût mise de côté pour assister les pauvres qu'il fallait protéger de la cherté des prix. Turgot en a donné l'exemple, alors qu'il était intendant du Limousin, en fournissant aux pauvres des aides pour qu'ils achètent des denrées au prix du marché. li estimait qu'un commerce libre des grains était capable de fournir les surplus nécessaires pour protéger les pauvres des crises à un coût moins élevé pour la population dans son ensemble que les interventions paternalistes du passé. Selon Turgot, les concessions que les autorités locales étaient amenées à faire aux émeutiers faussaient tout le mécanisme de la prise de décision en matière de distribution de grains. li pensait que ces concessions provoquaient des pertes en bien-être qui réduisaient l'efficience globale de l'économie. Les décisions politiques susceptibles de calmer les foules dans une ville reportaient sur les consommateurs des villes voisines les effets de l'inefficience économique et des interférences extérieures. Cette inefficience provenait en effet de ce que les responsables de chaque ville ne prenaient en considération le coût de leurs décisions que pour leur propre communauté. Selon Turgot encore, c'était la vulnérabilité des responsables au mécontentement des masses urbaines, comme on l'a vu à Dijon, qui les conduisait à adopter une attitude politique porteuse de distorsion des prix, cette distorsion se soldant par un transfert de revenu de la campagne à la ville. Si le commerce des grains s'était développé dans les conditions de la concurrence, les consommateurs français, dans leur ensemble, y auraient gagné davantage de surplus.
Louis XVI et Turgot
Les intendants étaient les grands responsables de la lutte contre ces blocages de l'économie, mais ils étaient aussi responsables de la paix publique dans les villes. C'est pourquoi ils n'étaient pas insensibles, eux non plus, à des motivations qui ne cadraient pas avec le programme national de création d'un marché libre pour les grains. Il y avait un vrai dilemme de l'intendant: s'il oeuvrait à la mise en place de la politique nationale des grains, il risquait d'éveiller des résistances qui rendraient bien délicat l'exercice de sa responsabilité essentielle: coopérer avec les responsables locaux pour faire rentrer les impôts. En outre, l'intendant n'étant pas supposé entretenir de liens personnels ou d'affaires dans les provinces qu'il administrait, il y avait peu de chances qu'il fît alliance, comme un Justice of the Peace anglais, avec les producteurs locaux. Donc les émeutiers, les officiers municipaux et les parlements avaient le dessus; donc l'expérience libérale échouait. C'est Turgot qui fut limogé, non Dupleix qui avait ignoré ses instructions.
(à suivre ici)


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