dimanche 25 octobre 2015

La bête du Gévaudan (3)

 
Le mandement de l'évêque de Mende (envoyé fin 1764 à toutes les paroisses de son diocèse) justifierait à lui-seul tous les déchainements antireligieux dont l'Encyclopédie était friande à l'époque. On y lit notamment que : La justice de Dieu (...) ne peut permettre que l’innocence soit malheureuse, la peine qu’il inflige, suppose toujours la faute qui l’a attirée. De ce principe il vous est aisé de conclure que vos malheurs ne peuvent venir que de vos péchés. C’est là la source funeste qui le produit (...) Pères et mères qui avez la douleur de voir vos enfants égorgés par ce monstre que Dieu a armé contre leur vie, n’avez-vous pas lieu de craindre d’avoir mérité, par vos dérèglements, que Dieu les frappe d’un fléau si terrible ? Souffrez que nous vous demandions ici compte de la manière dont vous les élevez; quelle négligence à les instruire ou faire instruire des principes de la religion et des devoirs du Christianisme ? (...)
A lire de telles abominations, on comprend mieux aujourd'hui les horreurs dont la Révolution se rendra coupable trente ans plus tard... Fermons là cette parenthèse pour revenir à ce début d'année 1765 qui voit la Bête découvrir son nouveau terrain de chasse (voir carte ci-dessous) et reprendre ses massacres en dépit des prières publiques ordonnées par le très avisé évêque...

Début janvier, l'une de ses attaques (relatée ici par le curé de la paroisse de Chanaleilles, voir partie est de la carte), mérite d'être rapportée :
Le 12 de janvier la bête féroce attaqua 5 petits garçons du village de Villeret, paroisse de Chanaleilles; les 3 plus âgés avaient environ 11 ans, les 2 autres n'en avaient que 8 et ils avaient avec eux deux petites filles à peu près du même âge. Ces enfants gardaient du bétail au haut d'une montagne; ils s'étaient armés chacun d'un bâton, au bout duquel ils avaient attaché une lame de fer pointue, de la longueur de 4 doigts. La bête féroce vint les surprendre, et ils ne l'aperçurent que lorsqu'elle fut près d’eux; ils se rassemblèrent au plus vite et se mirent en défense. La bête les tourna 2 ou 3 fois, et enfin s'élança sur un des plus petits garçons; les 3 plus grands fondirent sur elle, la piquèrent à diverses reprises sans pouvoir lui percer la peau. Cependant à force de la tourmenter ils parvinrent à lui faire lâcher prise; elle se retira à 2 pas après avoir arraché une partie de la joue droite du petit garçon dont elle s'était saisie, et elle mangea devant eux ce lambeau de chair. Bientôt après elle revint attaquer ces enfants avec une nouvelle fureur; elle saisit par le bras le plus petit de tous, et l'emporta dans sa gueule; l'un d'eux épouvanté proposa aux autres de s'enfuir pendant qu'elle dévorerait celui qu'elle venait de prendre. Mais le plus grand nommé Portefaix, qui était toujours à la tête des autres, leur cria qu'il fallait délivrer leur camarade ou périr avec lui. Ils se mirent donc à poursuivre la bête, et la poussèrent dans un marais qui était à 50 pas, et où le terrain était si mou qu'elle y enfonçait jusqu'au ventre; ce qui retarda la course et donna à ces enfants le temps de la joindre. Comme ils s'étaient aperçus qu'ils ne pouvaient lui percer la peau avec leur espèces de piques, ils cherchèrent à la blesser à la tête, et surtout aux yeux; ils lui portèrent effectivement plusieurs coups dans la gueule qu'elle avait continuellement ouverte, mais ils ne purent jamais rencontrer les yeux. Pendant ce combat elle tenait toujours le petit garçon sous sa patte; mais elle n'eut pas le temps de le mordre, parce qu'elle était trop occupée à esquiver les coups qu'on lui portait. Enfin ces enfants la harcelèrent avec tant de constance et d'intrépidité qu'ils lui firent lâcher prise une seconde fois, et le petit garçon qu'elle avait emporté n'eut d'autre mal qu'une blessure au bras par lequel elle l'avait saisi, et une légère égratignure au visage. Comme la petite troupe ne cessait de crier de toutes ses forces, un homme accourut et se mit à crier de son côté. La bête entendant un nouvel ennemi se dressa sur ses pattes de derrière, et ayant aperçu l'homme qui venait à elle, elle prit la fuite et alla se jeter dans un ruisseau à une demi-lieue de là. 3 hommes la virent s'y plonger, en sortir et se rouler ensuite quelque temps sur l'herbe; après quoi elle prit la route du Mazel et fut dévorer un garçon âgé de 15 ans de la paroisse de Grèzes en Gévaudan.»
On y apprend ce que d'autres témoignages confirmeront par ailleurs, à savoir que la Bête demeure insensible aux coups de pique comme aux balles de fusil. La peur qui s'empare de la population devient telle que le conseiller du roi, le baron de Ballainvilliers, propose bientôt  "une gratification de 6000 livres, en faveur de celui ou de ceux qui parviendraient à détruire ce cruel animal". Hélas, en dépit des innombrables battues et autres chasses (qui réuniront jusqu'à 4000 personnes), le monstre continue de dévorer et de décapiter les jeunes femmes...
Alléchée par l'événement, la presse parisienne (et bientôt internationale) s'est à son tour emparée de l'affaire. Ainsi, au mois de mars 1765, on lit dans la Gazette de France :"Suivant les nouvelles qu’on a reçues du Gévaudan, les mesures prises jusqu’à présent pour délivrer le pays de la bête féroce qui le ravage n’ont pas eu le succès qu’on en attendait. La première chasse générale qui avait été concertée par le sieur Duhamel, capitaine des volontaires de Clermont, et l’intendant d’Auvergne se fit le 7 comme on l’avait annoncé. 73 paroisses du Gévaudan et 30 de l’Auvergne et du Rouergue formèrent un corps d’environ 20000 chasseurs conduits par les subdélégués, les consuls et les notables habitants. La bête fut lancée par les chasseurs de la paroisse de Prunières; elle passa à gué la rivière de Truyère dont le bord opposé se trouva malheureusement dégarni quoique, suivant les dispositions qui avaient été faites, il dût être gardé par les habitants du Malzieu. Le vicaire de Prunières et 10 de ses paroissiens se jetèrent dans la rivière, en traversèrent une partie à la nage malgré la rigueur de la saison, et chassèrent l’animal pendant fort longtemps, en suivant les traces qu’il avait laissées dans la neige; mais il se déroba à leur poursuite en se jetant dans des bois d’une grande étendue. A une heure après-midi, la bête fut rencontrée par 5 habitants du Malzieu: l’un d’eux lui tira un coup de fusil à balle forcée: elle tomba sur ses 2 jambes de devant en poussant un grand cri; mais elle se releva promptement, et ils la poursuivirent jusqu’à la nuit sans pouvoir l’atteindre d’assez près pour la tirer une seconde fois (...)"Dès lors, ces mêmes gazettes n'hésiteront plus à multiplier les portraits de la Bête, tous plus inquiétants les uns que les autres, et ce dans le seul espoir de maintenir le lecteur en haleine.








(à suivre)



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