Il y a dix ans, lorsque je posais la question du retour du religieux, mes élèves ricanaient.
Aujourd'hui, ils acquiescent en silence.
Bientôt, ils applaudiront à tout rompre...
Ce jour-là (que je vois proche), le penseur des Lumières sera devenu un ennemi du bien public. L'étudiera-t-on encore ? Rien n'est moins sûr.
Voltaire, peut-être ? Rappelons ce qu'il écrivait au roi Frédéric en 1767 : "Votre Majesté rendra un service éternel au genre humain en détruisant cette infâme superstition (le Christianisme), je ne dis pas chez la canaille qui n'est pas digne d'être éclairée et à laquelle tous les jougs sont propres, je dis chez les hommes qui pensent, chez ceux qui veulent penser." Et à d'Alembert : "On n'a jamais prétendu éclairer les cordonniers et les servantes."(1768)
Voltaire savait, il a toujours su, que l'homme (l'immense majorité des hommes) a besoin de transcendance, qu'il ne saurait se passer de Dieu, que cela ne serait pas souhaitable.
Voltaire savait, il a toujours su, qu'un pays bien ordonné ne saurait se passer de ses curés. D'ailleurs, Voltaire communiait, il jouait cette comédie à Ferney, et par-dessus tout, il jugeait utile (pour le bien-être de tous) que ses paroissiens craignent le courroux divin.
Voltaire et son ami le père Adam |
Voltaire savait, il a toujours su, que l'autorité politique (disons : le roi et son proche entourage) et l'autorité religieuse (disons : les prélats) partageaient les mêmes intérêts, que la peur du châtiment terrestre doit se doubler de la peur du châtiment dans l'au-delà.
C'est là le prix à payer, aujourd'hui comme autrefois, pour maintenir la paix sociale.
Voltaire savait le rôle joué par le curé de sa paroisse : ce n'est pas lui qu'il qualifiait d'Infâme; c'est l'évêque, c'est le cardinal, c'est le Jésuite confesseur, c'est le magistrat Janséniste, c'est le dévot attaché à la reine, tous ces hommes d'Eglise dont d'Holbach disait qu'ils rêvaient de "disposer des couronnes avec une autorité qui n'appartient qu'au souverain de l'univers". Plus loin, dans ce même article "théocratie", l'encyclopédiste précisait sa pensée : En général l’histoire et l’expérience nous prouvent que le sacerdoce
s’est toujours efforcé d’introduire sur la terre une espèce de théocratie ;
les prêtres n’ont voulu se soumettre qu’à Dieu, ce souverain invisible
de la nature, ou à l’un d’entre eux, qu’ils avaient choisi pour
représenter la divinité ; ils ont voulu former dans les états un état
séparé indépendant de la puissance civile ; ils ont prétendu ne tenir
que de la Divinité les biens dont les hommes les avaient visiblement mis
en possession. C’est à la sagesse des souverains à réprimer ces
prétentions ambitieuses et idéales, et à contenir tous les membres
de la société dans les justes bornes que prescrivent la raison et la
tranquillité des états.
Holbach |
Comment lui donner tort ? J'ai suivi à la trace les grands clercs du XVIIIè siècle, je leur ai emboîté le pas, et parcouru avec eux le chemin de leurs ambitions. Hormis Belsunce peut-être, évêque de Marseille lors de la grande peste de 1720 (encore faut-il passer sous silence les exactions commises contre les jansénistes), j'ai vu sous leur masque des hommes qui rêvaient davantage de César que de Dieu.
Et cela aussi, Voltaire le savait...
N'en doutons pas, s'il les a tant haïs et combattus, c'est avant tout parce qu'ils occupaient une place qu'on lui a toujours refusée...
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