Sieyès fut assurément le plus grand penseur politique de la période révolutionnaire.
Fin 1788-début 1789, soit quelques mois avant l'ouverture des Etats Généraux, il rejette déjà l'Ancien Régime et esquisse les contours d'un ordre social nouveau, dont l'aristocratie serait inévitablement exclue.
Les quelques lignes ci-dessous, extraites de Qu'est-ce que le Tiers Etat ?, laissent entrevoir son génie de la formule.
l'abbé Sieyès |
Le plan de cet écrit est assez
simple. Nous avons trois questions à nous faire :
1° qu’est-ce que le tiers état ?
Tout.
2° qu’a-t-il été jusqu’à présent
dans l’ordre politique ? Rien.
3° que demande-t-il ? à être
quelque chose.
On verra si les réponses sont
justes. Nous examinerons ensuite les moyens que l’on a essayés, et ceux que
l’on doit prendre, afin que le tiers état devienne, en effet, quelque chose.
Ainsi nous dirons :
4° ce que les ministres ont
tenté, et ce que les privilégiés eux-mêmes proposent en sa faveur.
5° ce qu’on aurait dû faire.
6° enfin, ce qui reste à faire au
tiers pour prendre la place qui lui est due. (…)
Qui donc oserait dire que le
tiers état n’a pas en lui tout ce qu’il faut pour former une nation
complète ? Il est l’homme fort et robuste dont un bras est encore
enchaîné. Si l’on ôtait l’ordre privilégié, la nation ne serait pas quelque
chose de moins, mais quelque chose de plus. Ainsi, qu’est-ce que le
tiers ? Tout, mais un tout entravé et opprimé. Que serait-il sans l’ordre
privilégié ? Tout, mais un tout libre et florissant. Rien ne peut aller
sans lui, tout irait infiniment mieux sans les autres. Il ne suffit pas d’avoir
montré que les privilégiés, loin d’être utiles à la nation, ne peuvent que
l’affaiblir et lui nuire, il faut prouver encore que l’ordre noble n’entre
point dans l’organisation sociale ; qu’il peut bien être une charge pour
la nation, mais qu’il n’en saurait faire une partie. D’abord, il n’est pas
possible, dans le nombre de toutes les parties élémentaires d’une nation, de
trouver où placer la caste des nobles
(...)
Qu’est-ce qu’une nation ? Un
corps d’associés vivant sous une loi commune et représentés par la même
législature. N’est-il pas trop certain que l’ordre noble a des privilèges, des
dispenses, même des droits séparés des droits du grand corps des
citoyens ? Il sort par là de l’ordre commun, de la loi commune. Ainsi, ses
droits civils en font déjà un peuple à part dans la grande nation.
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