mardi 13 octobre 2015

Qu'est-ce que le Tiers-Etat ? par Sieyès


Sieyès fut assurément le plus grand penseur politique de la période révolutionnaire. 
Fin 1788-début 1789, soit quelques mois avant l'ouverture des Etats Généraux, il rejette déjà l'Ancien Régime et esquisse les contours d'un ordre social nouveau, dont l'aristocratie serait inévitablement exclue.
Les quelques lignes ci-dessous, extraites de Qu'est-ce que le Tiers Etat ?, laissent entrevoir son génie de la formule.

l'abbé Sieyès
 

Le plan de cet écrit est assez simple. Nous avons trois questions à nous faire :
1° qu’est-ce que le tiers état ? Tout.
2° qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien.
3° que demande-t-il ? à être quelque chose.

On verra si les réponses sont justes. Nous examinerons ensuite les moyens que l’on a essayés, et ceux que l’on doit prendre, afin que le tiers état devienne, en effet, quelque chose. Ainsi nous dirons :
4° ce que les ministres ont tenté, et ce que les privilégiés eux-mêmes proposent en sa faveur.
5° ce qu’on aurait dû faire.
6° enfin, ce qui reste à faire au tiers pour prendre la place qui lui est due. (…)

Qui donc oserait dire que le tiers état n’a pas en lui tout ce qu’il faut pour former une nation complète ? Il est l’homme fort et robuste dont un bras est encore enchaîné. Si l’on ôtait l’ordre privilégié, la nation ne serait pas quelque chose de moins, mais quelque chose de plus. Ainsi, qu’est-ce que le tiers ? Tout, mais un tout entravé et opprimé. Que serait-il sans l’ordre privilégié ? Tout, mais un tout libre et florissant. Rien ne peut aller sans lui, tout irait infiniment mieux sans les autres. Il ne suffit pas d’avoir montré que les privilégiés, loin d’être utiles à la nation, ne peuvent que l’affaiblir et lui nuire, il faut prouver encore que l’ordre noble n’entre point dans l’organisation sociale ; qu’il peut bien être une charge pour la nation, mais qu’il n’en saurait faire une partie. D’abord, il n’est pas possible, dans le nombre de toutes les parties élémentaires d’une nation, de trouver où placer la caste des nobles
 (...)
Qu’est-ce qu’une nation ? Un corps d’associés vivant sous une loi commune et représentés par la même législature. N’est-il pas trop certain que l’ordre noble a des privilèges, des dispenses, même des droits séparés des droits du grand corps des citoyens ? Il sort par là de l’ordre commun, de la loi commune. Ainsi, ses droits civils en font déjà un peuple à part dans la grande nation.

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