lundi 11 octobre 2010

La Lettre sur les Spectacles


D'Alembert

Publiée en 1758, la Lettre à d'Alembert sur les spectacles marque clairement la rupture de Rousseau avec la pensée des Lumières. Souvenons-nous du contexte : fâché avec Grimm, Diderot et Mme d'Epinay, Rousseau vient de s'installer à Montmorency. C'est là qu'en 1757, dans l'Encyclopédie, il découvre l'article "Genève", rédigé par d'Alembert. Le mathématicien y exprime ses regrets de voir le théâtre interdit à Genève. En proposant l'installation d'un théâtre permanent, d'Alembert insinue que la culture est un instrument de civilisation, de raffinement des moeurs et de moralisation.
La réponse de Rousseau sera cinglante. Dans un de ses textes les plus violents, il avance notamment que "le théâtre, qui ne peut rien pour corriger les moeurs, peut beaucoup pour les altérer." Prenant l'exemple de la comédie, il avance que "tout en est mauvais et pernicieux." Ainsi, dans "le Misanthrope" de Molière, l'auteur ridiculise un "honnête homme" ( le misanthrope Alceste) et rend sympathique un "de ces honnêtes gens du monde dont les maximes ressemblent beaucoup à celles des fripons" (Philinte). C'est même un mensonge de prétendre (rappelons-nous de la devise du Théâtre Italien) que le théâtre corrige les moeurs par le rire. Quand on rit des vices d'un personnage, c'est de ceux qu'on n'a pas ou qu'on croit ne pas avoir. Personne ne se reconnaîtra jamais en Alceste ( sinon Rousseau...), mais nombreux sont ceux qui riront de lui.
Le théâtre encourage également le goût pour l'oisiveté. Proposez des spectacles théâtraux à des gens laborieux et honnêtes, ils deviendront négligents, paresseux et corrompus. Evidemment, dans une grande ville telle que Paris, ce type de loisirs occupera les désoeuvrés.  Mais à Genève ! Rousseau conclut que "quand le peuple est corrompu, les spectacles lui sont bons, et mauvais quand il est bon lui-même."
Mais alors, quelles occupations conviendraient à la petite république genevoise ? Eh bien, des distractions simples :  réunions dans des cercles pour les hommes, qui peuvent lire et fumer entre eux ; caquetage et "petits ouvrages" pour les femmes (joli trait de misogynie !), puisqu'elles n'ont "aucun génie". Et pour les spectacles, on pourrait envisager des fêtes en plein air : épreuves de tir ou de gymnastique, jeux d'adresse, joutes sur le lac, bals...
"Voilà, Monsieur, les spectacles qu'il faut à des républiques", écrit-il encore.
L'opposition de Rousseau à l'idéal culturel des Lumières rappelle quelque peu celle des moralistes chrétiens. Et son ouvrage va se vendre à trois mille exemplaires en quelques semaines ! La publication lui vaudra l'habituelle cohorte de réfutations, auxquelles Rousseau ne prendra pas la peine de répondre. Mais 1758 marque nettement la rupture idéologique avec le mouvement Encyclopédique. Et dans le même temps, Rousseau fait de Voltaire l'un de ses ennemis les plus acharnés. En lisant la Lettre à d'Alembert, le philosophe réagit : "Jean-Jacques est-il devenu Père de l'Eglise ?" Et plus tard : "Le polisson ! Le polisson ! S'il vient au pays, je le ferai mettre dans un tonneau avec la moitié d'un manteau sur son vilain petit corps à bonnes fortunes."
Une fois encore, Rousseau se met tout le monde à dos : les Genevois sont divisés, Voltaire est exaspéré, les Encyclopédistes le perçoivent comme un traître à leur cause...

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