mardi 5 octobre 2010

L'affaire David Hume (2)



Au mois de mai 1766, Rousseau prend conscience du piège dans lequel il est tombé. S'il accepte la pension du roi, ses ennemis pointeront du doigt sa tartufferie ; s'il la refuse, on l'accusera d'ingratitude envers son bienfaiteur et d'affront envers l'autorité royale. Que faire ? Le 12 mai, il prend la plume et écrit au ministre Conway : je dois "suspendre ma résolution", explique-t-il d'un ton gêné.En somme, il retarde le moment de décider. Mauvais choix...
Hume ne tarde pas à réagir. Feignant de ne pas comprendre la signification réelle de ce courrier, il écrit à tous ses correspondants parisiens et lance une géniale contre-vérité : Rousseau exigerait du roi qu'il lève le secret de la pension ! Ainsi, le moment venu, il pourrait publiquement la refuser afin d'attirer l'attention sur lui ("ostentatious glory of refusing it") !
Reste à faire sortir le loup du bois. Hume envoie coup sur coup trois nouveaux courriers à Rousseau, l'informant des initiatives qu'il a prises auprès de Conway pour que cette pension devienne publique. Qu'espère-t-il en agissant de la sorte ? Que Rousseau sorte de ses gonds, qu'il accuse le philosophe anglais de tous ses maux, qu'il montre aux yeux de tous ce qu'on attend de lui : qu'il est fou, et qu'il ne faut accorder aucun crédit à sa parole.
Rousseau n'a plus le choix. Le 23 juin, il s'adresse à Hume en ces termes : "En pensant à votre conduite secrète, vous vous direz quelquefois que vous n'êtes pas le meilleur des hommes, et je doute qu'avec cette idée vous en soyez jamais le plus heureux... Je laisse libre cours aux manoeuvres de vos amis, et aux vôtres...Voici la dernière lettre que vous recevrez de moi."

Désormais, la querelle est publique. Hume en informe ses amis parisiens, qui se délectent de la situation. Mais les propos tenus par Rousseau ne suffisent pas. Il faut l'amener à se livrer davantage, à préciser ses accusations. A Paris, les philosophes se lèchent déjà les babines. D'Holbach informe Grimm, Diderot, Saint-Lambert, d'Alembert et les autres. Ils tiennent Rousseau ! Ou presque... Hume doit exiger des explications. Et Rousseau va les donner dans une lettre-mémoire datée du 10 juillet. Et cette fois, il lâche tout ce qu'il a sur le coeur : les mensonges de Hume, les courriers décachetés, la campagne de presse dirigée contre lui à Londres, le contresens autour de la demande au ministre Conway. Lucide, Rousseau conclut en disant : " Tous les préjugés sont pour vous, il vous est aisé de me faire passer pour un monstre, comme vous avez déjà commencé, et je vois déjà l'exaltation de mes implacables ennemis..."
Jean-Jacques ne croit pas si bien dire.Cette lettre va plonger ses adversaires dans le ravissement le plus total. Car cette fois, c'est certain : Rousseau est perdu...

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