lundi 4 octobre 2010

L'affaire David Hume (1)

En cette fin d'année 1765, les philosophes parisiens sont inquiets. Rousseau est revenu, il loge chez le prince de Conti, et il a même l'aplomb de recevoir le Tout-Paris en audience, comme s'il se moquait éperdument de ce décret de prise de corps qui le menace encore.
Les philosophes fulminent. Ils craignent surtout ces Confessions que Jean-Jacques est en train de rédiger. Que va-t-il raconter d'eux ? Quels secrets va-t-il livrer ? Décidément, il est plus qu'urgent de s'occuper de ce "Judas" (Voltaire).
Rousseau n'est que de passage. Il s'embarque quelques jours plus tard pour l'Angleterre, en compagnie de David Hume, qui lui a offert sa protection. C'est pendant la traversée que le philosophe anglais propose à Rousseau de solliciter une pension auprès du roi d'Angleterre. Jean-Jacques hésite. Pendant toutes ces années, il a reproché à ses anciens amis d'être soumis à leurs puissants protecteurs. Lui-même, pour montrer l'exemple (toujours cette volonté d'exemplarité !), a déjà refusé deux pensions royales : celle de Louis XV puis celle de Frédéric II de Prusse. Mais comme ses grands ouvrages théoriques sont achevés ("mon service est fait"), il sent qu'il peut désormais assouplir sa ligne de conduite, même si cela devait apparaître comme un reniement. Après tout, qu'a-t-il encore à craindre ? L'Angleterre l'accueille à bras ouverts, il a fait ses adieux à la France, et ce Hume a la réputation d'être un excellent homme.
Eh bien soit ! Va pour la pension, déclare-t-il à son compagnon de route.
Dès leur arrivée en Angleterre, Hume entreprend les démarches auprès du ministre Conway. Ce dernier obtient l'accord du roi, à une seule condition : que cette pension demeure secrète ( n'oublions pas que Rousseau s'est attiré des ennemis dans toute l'Europe !). L'affaire est donc entendue. Sauf que Hume annonce aussitôt la nouvelle à ses correspondants parisiens : Conti, Malesherbes, la Comtesse de Boufflers et... d'Alembert. En moins d'un mois, la nouvelle parcourt l'Europe. Au mois de mars, du fond de sa Suisse, l'ami Du Peyrou annonce à Rousseau qu'il est au courant. Et Jean-Jacques ignore encore que Hume enquête auprès de son banquier pour savoir s'il ne dispose pas de fonds cachés !
L'enjeu est évident : pendant des années, Rousseau s'est forgé l'image d'un écrivain indépendant, pauvre, donc indifférent à cet argent que les mécènes pourraient lui verser.
L'occasion est trop belle de montrer à toute l'Europe quel tartuffe hypocrite est Rousseau ! Alertés, les philosophes parisiens (d'Holbach, Diderot, d'Alembert et les autres) comprennent qu'une telle opportunité ne se présentera plus de sitôt. Pour l'instant, ils avancent à visage couvert : le Prince de Conti et la Comtesse de Boufflers sont des protecteurs puissants, on ne saurait se fâcher avec de tels personnages.
De son côté, Rousseau commence à éprouver de sérieux doutes sur son nouvel ami : ses lettres sont décachetées, Hume lui cache des choses. Il aurait même fait publier à Londres un pamphlet contre Rousseau, rédigé par l'un de ses amis nommé Walpole... En s'installant à Wooton, à cinquante lieues de Londres, Jean-Jacques pense pouvoir se tirer des griffes qui se resserrent peu à peu sur lui.
Il ignore encore qu'elle vont bientôt le lacérer...

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