Dans La franc-maçonnerie et la Révolution Française
(1904), Maurice Talmeyr (1850-1931) reprend quelques-unes des antiennes
contre-révolutionnaires déjà esquissées par Burke, Barruel ou encore De
Maistre.
Et le maçonnisme, dès trente ou
quarante ans avant 1789, est si bien déjà devenu l'ambiance générale, que les philosophes, en réalité, ne
répandent pas simplement leur
philosophie par leurs écrits, mais
se conjurent maçonniquement pour la répandre, et dans le sens rigoureux du mot... Ecoutez Voltaire dans sa
correspondance : « Il faut, écrit-il,
agir en conjurés, et non pas en zélés... Que les philosophes véritables fassent une
confrérie comme les Francs-Maçons... Que les mystères de Mithra ne soient pas
divulgués... Frappez, et cachez votre main... »
La margrave de Bayreuth, la
princesse Wilhelmine, devient pour lui la sœur Guillemette, et lui adresse elle-même des lettres
commençant par ces mots : « La sœur Guillemette au frère Voltaire ». Il
avoue lui-même, dans des lettres
qui sont célèbres, qu'il « rend le pain
bénit », et qu'il « communie » par imposture, afin de mieux tromper les gens. A un
certain moment, il entreprend
toute une intrigue, dans le but de
faire reconstruire le Temple de
Jérusalem ! A un autre moment, il entreprend encore une autre intrigue, d'accord
avec d'Alembert, pour arriver à décider Louis XV à fonder dans tout le royaume des écoles professionnelles gratuites, où,
sous le couvert d'un soi-disant enseignement professionnel, on devait enseigner
clandestinement au peuple la révolte et la sédition. Bertin, l'administrateur
de la cassette royale, avait fini par se décider à couper court à ce complot. Il avait fait une enquête, et
qu'avait-il découvert ? Toute une
conspiration de colporteurs qui couraient les campagnes, et y vendaient, à des prix insignifiants,
des ouvrages incendiaires dont on leur remettait gratuitement des quantités. Des maîtres d'école étaient déjà même affiliés à la
conjuration, et notamment dans les environs de Liège, où ils lisaient à des enfants, dans des réunions secrètes, des livres qu'on
leur expédiait par ballots. Et ces maîtres d'école étaient précisément ceux qui, publiquement, à l'exemple de Voltaire, et comme par
un mot d'ordre, accomplissaient
leurs devoirs religieux avec la dévotion la plus démonstrative ! Plus de vingt
ans après, en 1789, entre les
atrocités de la prise de la Bastille et celles des massacres d'octobre, un M. Leroy, lieutenant des chasses
royales, s'écriait avec des
sanglots, dans un dîner raconté par Barruel, et qui avait lieu chez M.
d'Angevilliers, intendant des Bâtiments du Roi : « J'étais le secrétaire du Comité à qui vous devez cette Révolution et
j'en mourrai de douleur et de remords !... Ce Comité se tenait chez le baron
d'Holbach... Nos principaux membres étaient d'Alembert, Turgot, Condorcet,
Diderot, La Harpe, et ce Lamoignon qui s'est tué dans son parc !... La plupart
de ces livres que vous avez vus paraître depuis longtemps contre la religion,les
mœurs et le gouvernement étaient notre ouvrage, et nous les envoyions à des
colporteurs qui les recevaient pour rien, ou presque rien, et les vendaient aux
plus bas prix... Voilà ce qui a changé ce peuple, et l’a conduit au point où
vous le voyez aujourd'hui... Oui, j'en mourrai de douleur et de remords...
» Et ce témoignage de
Barruel, ces cris de remords de M. Leroy au diner de M. d'Angevilliers, pourraient-ils
être contestés? Non!
Voltaire est entré dans la loge des neuf soeurs en avril 1778 |
Car voici, en date du mois de mars 1763, des lettres de Voltaire qui les confirment
par anticipation : « Pourquoi les adorateurs de la raison,
écrivait-il alors à Helvetius, restent-ils
dans le silence et dans la crainte ? Qui les a empêcherait d’avoir chez eux une petite imprimerie et de
donner des ouvrages utiles et courts dont leurs amis seraient les seuls dépositaires
? C'est ainsi qu'en ont usé ceux qui ont imprimé les dernières volontés de ce bon et honnête curé Meslier... »
Et il ajoute : « On oppose ainsi, au Pédagogue chrétien et au
Pensez-y bien, de petits livres philosophiques qu'on a soin de répandre partout
adroitement. On ne les vend point, on les donne a des personnes AFFIDÉES
QUI LES DISTRIBUENT A DES JEUNES
GENS ET A DES FEMMES...» En réalité, la conjuration philosophique n'avait que très peu perverti le peuple,
et par une excellente raison,
c'est que le peuple ne savait pas lire. Elle avait surtout empoisonné les hautes
classes. Mais cette philosophie qui est une conjuration, et qui machine, dans le mystère, avec des masques et
des trahisons, l'application de
ses préceptes, n'est-elle pas,
pour une époque, toute une
caractéristique ? Et elle n'est cependant encore qu'une demi-conjuration. Elle ne représente que des préliminaires, et
c'est seulement avec l'Illuminisme
que nous allons voir entrer en scène
la conjuration véritable, celle de
la subversion sauvage, et où
s'annoncent, par avance, toutes les atrocités de la Terreur. L'Illuminisme est peu connu,
sinon même presque inconnu, et
c'est pourtant l'Illuminisme qui, en très grande partie, a bouleversé et ensanglanté le monde, il y a un peu
plus d'un siècle. C'est encore la
continuation directe de
l'Illuminisme qui le bouleverse ou
qui le menace aujourd'hui, et son fondateur est un Allemand, Weishaupt, professeur de droit au collège d'Ingolstad. A
Ingolstad même, où il professait,
Weishaupt, en 1776, posait en secret les fondements de la secte, et voici,
d'après sa correspondance, ses instructions écrites et son code, ce qu'était
cette association.
Adam Weishaupt (1748-1830) |
Ecoutez d'abord
la doctrine : « La nature a tiré les hommes
de l'état sauvage et les a réunis en sociétés civiles. De nouvelles associations
(c'est-à-dire les sociétés secrètes) s'offrent à un choix plus sage, et, par elles, nous revenons à l'état d'où
nous sommes sortis ( c'est-à-dire à l'état sauvage ) non pour parcourir de
nouveau l'ancien cercle, mais pour mieux jouir de notre destinée... » Le
but et la doctrine de l'IIluminisme sont donc bien clairs, et c'est, en propres termes, le retour à l’état
sauvage. Nous en sommes sortis, il
faut y revenir, ne plus en
ressortir, et établir seulement la sauvagerie nouvelle, au milieu de cette
forêt perfectionnée que peut devenir la civilisation. Ecoutez maintenant le développement : « A l'origine des nations et
des peuples, le monde cessa d'être une grande famille...le grand lien de la
nature fut rompu...Le nationalisme ou l’amour
national prit la place de l’amour général. Alors, ce fut une vertu de s'étendre
aux dépens de ceux qui ne se trouvaient pas sous notre empire. Cette vertu fut
appelée patriotisme, et celui-là fut appelé patriote, qui, juste envers les
siens, injuste envers les autres, prenait
pour des perfections les vices de sa patrie...» Et l’illuminisme, en
premier lieu, veut ainsi détruire
les patries, mais il ne s'arrête
pas là, et vise ensuite ce qu'il appelle
le localisme, c'est-à-dire la cité, puis la famille elle-même : « Et,
dès lors, continue Weishaupt, pourquoi ne pas donner encore à cet amour de
la patrie des limites plus étroites ? Celles des citoyens vivant dans une même
ville, ou bien celles des membres d'une même famille?... Aussi vit-on alors du patriotisme naître le localisme, puis l’esprit de
famille... Ainsi, l'origine des Etats,
des gouvernements, de la société civile, fut la semence de la discorde... Diminuez, retranchez cet amour de la patrie,
et les hommes, de nouveau, apprennent à se connaître et à s'aimer comme
hommes...»
Et l’Illuminisme bénit maçonniquement
les hommes qui n'ont plus ni
patrie, ni cité, ni famille, ni
lois, et dont les bandes errantes
ne se fixent nulle part. Il conclut enfin, en s'écriant, dix ans avant 1789: « Oui, les princes et les nations disparaîtront de dessus la terre ! Oui,
il viendra ce temps où les hommes n'auront plus d'autre loi que le livre de la
nature ; cette Révolution sera l'ouvrage des sociétés secrètes...Tous les efforts
des princes pour empêcher nos projets sont pleinement inutiles. Cette étincelle
peut longtemps encore couver sous la cendre, mais le jour de l’incendie
arrivera !...
(à suivre)
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