vendredi 17 octobre 2014

SOS Lumières

Paru ce jour, 17 octobre 2014, cet article de l'hebdomadaire Marianne s'interroge sur la campagne de dénigrement dont sont victimes les Lumières, et plus généralement sur le climat antirépublicain qui règne depuis quelques années en France.
Qu'est- ce que les Lumières ? se demandait Kant en 1784. "Ce qui fait sortir l'homme de la minorité qu'il doit s'imputer à lui-même. La minorité consiste dans l'incapacité où il est de se servir de son intelligence sans être dirigé par autrui. Il doit s'imputer à lui-même cette minorité, quand elle n'a pas pour cause le manque d'intelligence, mais l'absence de la résolution et du courage nécessaires pour user de son esprit sans être guidé par un autre. Sapere aude ! aie le courage de te servir de ta propre intelligence. Voilà donc la devise des Lumières."
Emmanuel Kant
De ce refus de l'autorité d'"autrui" (et notamment celle de l'Eglise), particulièrement sensible chez les penseurs français du XVIIIème siècle, découle une première révolution qu'on peut qualifier d'anthropologique : le passage du théocentrisme à l'anthropocentrisme. "Dieu n'est plus le centre, le centre c'est l'homme !"... "Sans révolution anthropologique, pas de Révolution Française... Ainsi les Lumières sont-elles l'entrée dans un mouvement de libération et d'émancipation dont les conséquences se sont ensuite déployées en cascade : développement des sciences, laïcité, souveraineté populaire, suffrage universel, démocratisation de l'éducation, émancipation des femmes, droits humains, égalité des droits."
François Furet
Et il en faut du "courage", et il en faut de la "résolution", sans autre guide que sa raison, pour appréhender le monde en s'affranchissant de ses anciens tuteurs. Dans sa Révolution Française, François Furet nous rappelle qu'en 1789, "ce qui naît, c'est la société moderne des individus, dans sa conception la plus radicale, puisque tout ce qui peut exister d'intermédiaire entre la sphère publique et chaque acteur de la vie sociale est non seulement supprimé, mais frappé de condamnation... la haine de la société aristocratique a porté les hommes de la Révolution Française à bannir les associations au nom d'un individualisme radical."
Sans Eglise, sans corporations, sans mentors, l'homme, livré à lui-même, est condamné à être libre...

Il peut être tenté, bien sûr, par paresse ou par découragement face à la complexité du réel, de renoncer à cette liberté que lui offre Kant pour se soumettre à une nouvelle tutelle idéologique. Et ils sont nombreux, aujourd'hui, à réinterpréter notre Histoire à l'aide d'un schéma binaire aussi séduisant que caricatural ! Entendez ce qu'ils nous disent : l'Ancien Régime serait un âge d'or / la Révolution de 1789 aurait plongé la France dans un nouvel âge de fer...
Ce manichéisme, véritable prêt-à-penser qui réduit notre palette de couleurs au blanc et au noir, ne s'embarrasse évidemment d'aucune nuance de gris...
Pour en juger, voyez les sites de l'Action Française (ici), du Cercle des Volontaires (ici), ou encore les interventions de la polémiste et historienne Marion Sigaut (ici). 
Marion Sigaut
Le titre de Marianne (SOS Lumières) nous dispensera de donner les chiffres d'audience de ces trublions et autres officines, véritables auxiliaires du courant antirépublicain qui mine notre société. 
Quand l'homme renonce à comprendre le monde, quand il renonce à entendre les élites chargées de le lui expliquer (car on les soupçonne de diffuser une doxa républicaine, donc de mentir), il se tourne inévitablement vers les histrions, les bonimenteurs et autres charlatans...
"Pourquoi un retour des Lumières ?", demande Marianne."Pour résister : assurer le salut de ce qui est menacé comme jamais - la laïcité, l'école, la solidarité nationale, ce qui reste de gratuité- pour empêcher la destruction de ce qui s'est bâti au nom des Lumières."
L'enjeu est de taille, comme on le constate. Et il faudra bien du "courage", bien de la "résolution", pour remporter ce combat...

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