mardi 28 octobre 2014

Le triste destin d'un fat : Le Franc de Pompignan (1)

Président de la cour des aides de Montauban, Jean-Jacques Le Franc de Pompignan est élu à l'Académie en septembre 1759. Comme le magistrat brigue la place de gouverneur des Enfants de France et qu'il lui faut pour cela plaire au Dauphin, le rimailleur prononce (en mars 1760) un discours de réception demeuré célèbre, dans lequel il se livre à une terrible charge contre les faux philosophes, à savoir les Encyclopédistes...

  (...) S’il était vrai que dans le siècle où nous vivons, dans ce siècle enivré de l’Esprit Philosophique et de l’amour des Arts, l’abus des Talents, le mépris de la Religion, et la haine de l’autorité, fussent le caractère dominant de nos Productions, n’en doutons pas, Messieurs, la Postérité, ce Juge impartial de tous les siècles, prononcerait souverainement que nous n’avons eu qu’une fausse Littérature et qu’une vaine Philosophie.
Et quel exemple, en effet, quelles instructions donneraient au genre humain des Gens de Lettres présomptueux qui nous enseigneraient à mépriser les plus grands Modèles ; de prétendus Philosophes voudraient nous ôter jusqu’aux premières notions de la vertu  (...)
  Là, dans la classe des Philosophes, se verrait un long étalage d’opinions hasardées, de systèmes ouvertement impies, ou d’allusions aux Lettres contre la Religion. Ailleurs, l’Histoire nous présenterait des faits malignement déguisés, des anecdotes imaginaires, des traits fatidiques contre les choses les plus saintes, & contre les maximes les plus saines du Gouvernement. Tout, en un mot, dans ces Livres multipliés à l’infini, porterait l’empreinte d’une Littérature dépravée, d’une morale corrompue, et d’une Philosophie altière qui frappe également le Trône et l’Autel. (...)

Alors qu'il subit déjà le feu nourri (et à boulets rouges) des Jansénistes et des Jésuites, alliés de circonstance contre l'ennemi commun, le parti encyclopédiste se voit désormais attaqué dans son propre sanctuaire, celui du Savoir ! Le directeur de l'Académie, Dupré de Saint Maur, salue Le Franc de Pompignan en le comparant à Virgile... Le coeur du vaniteux n'y résiste pas et s'en gonfle évidemment d'orgueil. Dans le même temps, les religieux applaudissent des deux mains!  Comme à leur habitude, ils donnent leur onction à tout ce qui est susceptible de nuire aux Encyclopédistes. Dans le Journal de Trévoux (la gazette des Jésuites), Berthier exulte : "Nous ne flattons poins en disant que c'est une composition pleine de force, de sagesse, de religion, de vérité en un mot : discours exempt des fausses considérations, des frivoles agréments de l'éloquence momentanée, du caprice impérieux de la mode, du langage illusoire de l'adulation.
Si Le Franc de Pompignan n'a nommé personne, tout le monde comprend que Diderot, d'Alembert et Voltaire sont visés par sa harangue. Ce dernier, depuis Ferney, s'inquiète d'ailleurs auprès de ses correspondants (et ce, dès le mois de février) des intentions du nouvel académicien : "et Monsieur Le Franc de Pompignan ? (...) a-t-il fait une belle invective contre les déistes de nos jours" (lettre à Thiriot); "je n'ai point le Mémoire de M. Le Franc de Pompignan" (autre lettre à Thiriot). Enfin, dans un autre courrier à Duclos (secrétaire perpétuel de l'Académie) daté de juin, il laisse enfin entendre son courroux : "Je pourrais me plaindre du discours de M. Le Franc à l'Académie ; il m'a désigné injurieusement. Il ne fallait pas outrager un vieillard retiré..."

Chez Voltaire, la menace, même voilée, a toujours valeur de prophétie. Et ce pauvre fat de Pompignan, qui s'imagine déjà entrant au Panthéon, ne va pas tarder à connaître les Enfers...
à suivre ici )

2 commentaires:

  1. Guillaume ROBICHEZ4 mars 2015 à 16:56

    Je suis en gros d'accord avec vous;mais il convient de nuancer quelque peu : Le Franc ( voir mon ouvrage et celui de Braun) n'était pas un pauvre type...

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  2. L'anecdote date de novembre 1760, lorsque la Comédie Française annonce qu'elle jouera deux pièces le lendemain : d'abord la Didon de Le Franc de Pompignan, puis le fat puni de Pont de Veyle. Cette coïncidence amusa beaucoup le public parisien. Toujours aussi venimeux, Voltaire s'en réjouira d'ailleurs dans une lettre à son ami d'Argental. Bien à vous, O.M

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