vendredi 31 octobre 2014

Le triste destin d'un fat : Le Franc de Pompignan (3)

Président de la cour des aides de Montauban, Jean-Jacques Le Franc de Pompignan est élu à l'Académie en septembre 1759. Comme le magistrat brigue la place de gouverneur des Enfants de France et qu'il lui faut pour cela plaire au Dauphin, le rimailleur prononce (en mars 1760) un discours de réception demeuré célèbre, dans lequel il se livre à une terrible charge contre les faux philosophes, à savoir les Encyclopédistes...
 
Le Franc de Pompignan

A se défendre aussi maladroitement, Le Franc de Pompignan va liguer les rieurs contre lui. Ils ont d'ailleurs beau jeu de s'en prendre à ce fat qui osait écrire dans son Mémoire au roi :

« Je fus reçu à Montauban avec des honneurs si extraordinaires, que le souvenir s’en conservera longtemps dans cette ville et dans le reste de la province ».
Comme le souligne Jean Orieux dans sa biographie de Voltaire: "ce genre de vanité villageoise a toujours fait rire Paris."
Et Paris va rire, jusqu'aux éclats même, lorsque vient le moment de la curée. Avec Morellet, Voltaire peut compter sur un fidèle allié. Dans ses Mémoires, celui que le patriarche de Ferney surnommait "Mords-les" explique :

M. de Voltaire envoya de Genève, dix ou douze jours après cette équipée, les Quand; cette plaisanterie réussit, et j'imaginai qu'il fallait faire passer M. de Pompignan par les particules. Je fis les Si, et ensuite les Pourquoi (…)Pendant ce temps, M. de Voltaire envoyait toujours de petits pamphlets bien plus plaisants que les miens, et dirigés au même but (...)

C'était un feu roulant. Il paraissait un. papier toutes les semaines, et l'on peut dire qu'il ne s'est jamais fait une meilleure et plus prompte justice. On sait que le Pauvre diable fut obligé de retourner dans sa province de Montauban : il était devenu ridicule aux yeux mêmes de ses premiers partisans (...). 
l'abbé Morellet

Que sont les SI et les POURQUOI ?  Des charges brutales contre le malheureux, moins cocasses peut-être que celles de Voltaire, mais tout aussi efficaces. Je vous laisse en juger avec les deux extraits qui suivent :



Si on n'est pas homme de lettres, quoiqu'on ait beaucoup lu et beaucoup écrit, quoiqu'on possède les langues et qu'on ait fouillé les ruines de l'antiquité, quoiqu'on soit orateur, poète, ou historien, on l'est encore moins lorsqu'on n'a qu'une érudition superficielle, qu'on ignore l'antiquité, qu'on n'est pas historien, et qu'on se réduit à n'être qu'un rhéteur emporté et un poète médiocre.

Si on n'est pas philosophe pour avoir fait des traités de morale et de métaphysique, atteint les hauteurs de la géométrie, et révélé les secrets de l'histoire naturelle, on l'est encore moins lorsqu'on ignore ces choses et qu'on s'avise d'insulter à ceux qui les savent.(...)

 
Pourquoi M. L. F. a-t-il été reçu à l'Académie? C'est qu'il a fait six mille petits vers, dont personne ne sait un seul, et une tragédie dont on ne parle point hors du théâtre, et que, lorsque les grands talents sont rares, on a de l'indulgence pour les talents médiocres.
Pourquoi M. L. F. a-t-il employé la moitié de son discours à déclamer contre l'incrédulité et à décrier les gens de lettres? C'est que la réputation d'homme zélé peut lui devenir encore plus utile que ne lui a été celle d'homme de lettres. (...)
Parmi les hommes de lettres, rares sont ceux qui vont prendre la défense du petit poète. Guidé par sa haine de Voltaire, le journaliste Fréron sera l'un des seuls à protester contre cette campagne de déstabilisation :

 ... le libelle (…) consiste en dix ou douze phrases qui toutes commencent par Quand : invention ridicule, de mauvais goût, et digne des siècles Gothiques où l'on s’occupait gravement à faire des acrostiches (…)Mais par où M. de Pompignan s'est-il attiré ce fatras d'injures? Pour avoir osé, dans son Discours à l'Académie Française , élever sa voix en faveur de la Religion. A quel excès de délire sommes-nous donc parvenus, si l'on fait un crime et un ridicule à de vrais Chrétiens de défendre la foi de leurs pères , un mérite et un honneur à de faux Philosophes de la détruire ! M. de Pompignan avait prévu le mécontentement de quelques-uns de ces Sages, de ces génies , de ces Solons, de ces créateurs d'un nouvel ordre de choses ; mais il ne s'attendait pas à le voir éclater par des cris de rage et de fureur. Convenez, Monsieur , que l’imposture et l’emportement font des armes bien peu philosophiques. Au reste, quoique l’indignation publique venge M. de Pompignan, il a cru devoir réfuter la calomnie et confondre le calomniateur (…)
Fréron et Voltaire, les frères ennemis
Mais il est trop tard. L'opinion publique, que Voltaire modèle au gré de ses satires, a déjà choisi son camp. Sentant qu'est venue l'heure de donner le coup de grâce, le philosophe pique une dernière banderille, un poème intitulé la Vanité, qu'il conclut par ce distique: 

César n'a point d'asile où sa cendre repose
Et Pompignan pense être quelque chose

Le pauvre Le Franc de Pompignan ne s'en relèvera pas. Lassé des moqueries qu'il s'attire à chacune de ses apparitions publiques, l'Académicien quitte définitivement Paris en 1763 et s'en retourne à Montauban où il finira ses jours en 1784.

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