mardi 10 mars 2015

La Beaumelle, un ennemi de Voltaire (2)

(lire l'article précédent)

Secrétaire de Voltaire, Collini raconte la première rencontre entre la Beaumelle et son maître :

"Dès la première visite, la Beaumelle déplut à Voltaire et Voltaire à la Beaumelle. Ce dernier avait inséré dans le qu'en dira-t-on? (ndlr : Mes pensées ou le Qu'en dira-t-on ? est un ouvrage politique de La Beaumelle, paru durant l'été 1751. Voltaire se l'était fait envoyer par La Beaumelle) des éloges outrés de Frédéric et des phrases injurieuses aux gens de lettres. Il disait : Qu'on parcoure l'histoire ancienne et moderne , on ne trouvera point d'exemple de prince qui ait donné sept mille écus de pension à un homme de lettres , à titre d'homme de lettres. Il a eu de plus grands poètes que Voltaire; il n'y en eut jamais de si bien récompensé, parce que le goût ne met jamais de bornes à ses récompenses. Le roi de Prusse comble de bienfaits les hommes à talents, précisément par les mêmes raisons qui engagent un petit prince d'Allemagne à combler de bienfaits un bouffon ou un nain."
 
Collini

Si les louanges à l'endroit du roi Frédéric sont de toute évidence celles d'un solliciteur, la pique adressée au courtisan Voltaire est celle d'un impertinent. Dans sa relation de ce premier incident, La Beaumelle feint pourtant de ne pas comprendre : 
 
Le 7 Décembre le Roi arriva de Potsdam à Berlin , et M. de Voltaire avec lui. J'allai le voir , il me parla de mon livre , m'en fit d'un ton chagrin et dur une critique fort judicieuse et fort sévère (…) Il ajouta qu'il n'avait pas cru que l'empressement qu'il avait eu à entrer dans mon projet de Classiques à Copenhague, eût mérité que je le traitâsse aussi mal que je le traitais dans cet ouvrage.
Surpris de ce reproche, je lui demandai l'endroit ; il me cita, à sa manière , ce que vous venez de lire. Je le lui répétai plusieurs fois mot à mot, lui soutenant toujours qu'il était à sa gloire , et encore plus à celle du Roi. Je ne sais donc pas lire, me répondit-il ? Peut-être bien, lui répliquai-je : mais toujours est-il sûr que je ne vous ai offensé, ni voulu offenser. Je retournai ce passage en cent façons différentes ; je ne pus le faire convenir du seul sens qu'il puisse avoir. 
La Beaumelle
Quelques jours plus tard, dans une lettre adressée à un de ses amis, La Beaumelle pécise : "Ce maudit livre des Pensées, je l'envoyai à M. de Voltaire qui me le demandait avec instances. La page 70 lui a déplu ; il dit que c'est à cause de la comparaison des bouffons et des nains ; mais c'est sûrement à cause de ces mots : il y a eu de plus grands poètes que Voltaire."
Tous ces témoignages concordent. Et on comprend l'indignation de Voltaire. Se voir rabaissé à l'état de bouffon, lui qui se targue d'être devenu l'ami d'un roi ! Et par qui ? Un sans-grade, un écrivaillon inconnu de tous. Ce genre d'hommes, habituellement, rampe à ses pieds. C'est à ce prix qu'on entre dans ses bonnes grâces. 
Voltaire aurait pu le mettre à la porte sans autre forme de procès. Mais voilà que La Beaumelle prétend écrire les Mémoires de Mme de Maintenon. Il détiendrait même, dit-il,  des lettres inédites de la favorite de Louis XIV ! Voltaire s'inquiète. Il est sur le point de publier son Siècle de Louis XIV. De tels documents pourraient sans doute lui être utiles. S'ils sont authentiques, ils pourraient également nuire à son propre ouvrage. Il demande donc à les voir. Voici comment La Beaumelle rapporte l'entretien : "Il me parla de son Siècle de Louis XIV. Je lui parlai de mes lettres de Madame de Maintenon. Il me demanda à les voir. Je me rappelai qu'un certain manuscrit de lettres de Sévigné, que Thiriot lui avait prêté, s'était trouvé imprimé à Troyes. Je lui refusai le mien..."
Cette fois c'en est trop. On ne se refuse pas ainsi au prince des poètes ! Et il ne fait jamais bon provoquer la colère de Voltaire... Peu après, au cours d'un souper à Potsdam, Frédéric évoque le cas du jeune écrivain. Voltaire et Maupertuis (président de l'académie des sciences, rappelons-le) sont assis à la même table que le roi. On fait état du Qu'en dira-t-on ?, de cette mauvaise plaisanterie sur les "bouffons" et les "nains", de ce qualificatif de "petit prince" accolé au nom illustre de Frédéric. Selon Maupertuis, Voltaire aurait très largement desservi La Beaumelle. 
On le croit volontiers. 
D'ailleurs, le roi restera toujours sourd aux sollicitations du jeune homme...
( à suivre ici)

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