samedi 14 mars 2015

La Beaumelle, un ennemi de Voltaire (4)

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Pendant son court séjour à Gotha (mai-juillet 1752), puis à Francfort (juillet-septembre 1752), La Beaumelle achève de rédiger ses Notes Critiques sur le Siècle de Louis XIV avant de les vendre à un libraire qui prépare pour le mois d'octobre une "nouvelle édition" de l'ouvrage, "augmentée d'un très grand nombre de remarques par Mr. de B***". C'est en lisant ces notes, souvent insignifiantes et toujours haineuses, qu'on comprend à quel point La Beaumelle demeure marqué par l'humiliation subie à Berlin : "effacez sans pitié ; on n'écrit pas ainsi"..."un sûr moyen d'avoir une pensée vraie, c'est de prendre justement l'opposé de celle de l'auteur"..."le style de l'auteur est toujours décousu"..."sophisme"..."on ne peut pardonner à l'auteur cette maxime"..."il serait injuste d'exiger de Voltaire des idées profondes"..."tout ce morceau est copié"..."mérites au pluriel en ce sens est barbare. Il fallait qualités"...
Mis au courant des intentions de son ennemi, Voltaire s'oppose tant bien que mal à ce qu'il qualifie de "piraterie". Il multiplie les démarches et les courriers auprès de ses contacts sur place, allant jusqu'à demander à La Beaumelle en personne de renoncer à son entreprise. 
En vain.
La Beaumelle

Cette édition frauduleuse (le libraire n'ayant pas le privilège de publier Voltaire) rencontre dès sa sortie un grand succès auprès du public. On imagine la rage de Voltaire à la lecture de ces "trois volumes d'impostures et d'outrages" ! Apprenant que La Beaumelle a quitté Francfort pour Paris, il demande à sa nièce Mme Denis de signaler au ministre d'Argenson certaines notes injurieuses à l'encontre de la couronne : " des gens qui les ont lues m'ont assuré que les notes de La Beaumelle traitent Louis XIV et Louis XV de tyrans et que la maison d'Orléans y est insultée."
Profitant de la publicité que lui a fait cette querelle, La Beaumelle a introduit clandestinement à Paris une cinquantaine d'exemplaires de ses Pensée ou le qu'en dira-t-on ? Entouré d'un parfum de scandale, l'ouvrage fait jaser jusqu'en haut lieu. Dans son journal, le marquis d'Argenson écrit : "il vient de paraître un livre fort défendu depuis peu et qu'on ne trouve plus... Il est fort républicain." Bien malgré lui, Voltaire contribue au succès de son adversaire en faisant paraître à son tour un Supplément au siècle de Louis XIV (février 1753) dans lequel il dénonce hargneusement son contradicteur. La Beaumelle exulte! Encore anonyme un an plus tôt, le voilà engagé dans un bras de fer avec le prince des poètes, l'écrivain le plus célèbre d'Europe ! Dans une lettre à Madame Denis, il semble d'ailleurs plus que jamais décidé à poursuivre le combat : "que Voltaire ne me force donc point à des excès que je condamnerais..."
Mais si ces passes d'armes plaisent au public, elles finissent également par lasser les autorités. Alerté par le ministre d'Argenson, le lieutenant Berryer convoque La Beaumelle et lui fait "une vive mercuriale". Ses amis, dont La Condamine, recommandent au jeune homme de se faire oublier, voire de quitter la ville. Le jeune homme s'obstine.
Devant un tel entêtement, d'Argenson ordonne de perquisitionner chez lui (voir ci-dessous). 

Dans le procès verbal établi peu après, le commissaire explique que "nous avons fait en sa présence perquisition dans ses papiers où il s'est trouvé huit exemplaires imprimés du siècle de Louis quatorze". Convaincu (en dépit des ses dénégations) d'être l'auteur des notes insultantes à l'égard du Duc d'Orléans, l'imprudent La Beaumelle est conduit à la Bastille.
Il y restera près de 6 mois...
( à suivre ici)

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