vendredi 27 mars 2015

Voltaire et l'affaire Calas... (4)




Voltaire vit alors à Ferney, dans le pays de Gex. Quelques jours après l'exécution, il reçoit chez lui des visiteurs recommandés par le président du Parlement de Dijon (un dénommé Le Bault qui était accessoirement son fournisseur en vin !). Ils lui parlent de Calas, sans doute en mal, comme en atteste cette lettre du 22 mars 1762 adressée à ce même Le Bault : 
Vous avez entendu parler peut-être, écrit-il, d’un bon huguenot que le parlement de Toulouse a fait rouer pour avoir étranglé son fils. Cependant ce saint réformé croyait avoir fait une bonne action, attendu que ce fils voulait se faire catholique, et que c’était prévenir une apostasie. Il avait immolé son fils à Dieu, et pensait être fort supérieur à Abraham, car Abraham n’avait fait qu’obéir, mais notre calviniste avait pendu son fils de son propre mouvement, et pour l’acquit de sa conscience. Nous ne valons pas grand-chose, mais les huguenots sont pires que nous, et de plus ils déclament contre la comédie. 

Voltaire a beau persifler, son attention a été éveillée par le récit de l'affreux supplice subi par Calas.
Trois jours plus tard, il demande donc un complément d'information au cardinal de Bernis, ambassadeur de France auprès du Saint-Siège.
le cardinal de Bernis
 
"Oserai-je […] supplier Votre Eminence de vouloir bien me dire ce que je dois penser de l’aventure affreuse de ce Calas, roué à Toulouse pour avoir pendu son fils ? C’est qu’on prétend ici qu’il est très innocent, et qu’il a pris Dieu à témoin en expirant. On prétend que trois juges ont protesté contre l’arrêt. Cette aventure me tient au cœur ; elle m’attriste dans mes plaisirs ; elle les corrompt. Il faut regarder le parlement de Toulouse, ou les protestants, avec des yeux d’horreur.
Et le même jour à son ami Fyot de la Marche :  
"Il vient de se passer, écrit-il, au parlement de Toulouse une scène qui fait dresser les cheveux sur la tête. On l’ignore peut-être à Paris, mais si on en est informé, je défie Paris tout frivole, tout opéra-comique qu’il est, de n’être pas pénétré d’horreur. (…). J’en suis hors de moi. Je m’y intéresse comme homme, un peu même comme philosophe. Je veux savoir de quel côté est l’horreur du fanatisme (...) Ayez la bonté je vous en supplie de me faire savoir ce que j’en dois penser. "
Quatre jours plus tard, soit le 27 mars, sa conviction est déjà faite puisqu'il écrit à son ami d'Argental :
Je me suis trompé sur le nombre des juges, dans ma lettre à M. de La Marche. Ils étaient treize, cinq ont constamment déclaré Calas innocent. S’il avait eu une voix de plus en sa faveur, il était absous. A quoi tient donc la vie des hommes? à quoi tiennent les plus horribles supplices? Quoi ! parce qu’il ne s’est pas trouvé un sixième juge raisonnable, on aura fait rouer un père de famille ! on l’aura accusé d’avoir pendu son propre fils, tandis que ses quatre autres enfants crient qu’il était le meilleur des pères! Le témoignage de la conscience de cet infortuné ne prévaut-il pas sur l’illusion de huit juges, animés par une confrérie de pénitents blancs qui a soulevé les esprits de Toulouse contre un calviniste?  (...) N’est-il pas de la justice du roi et de sa prudence de se faire au moins représenter les motifs de l’arrêt? Cette seule démarche consolerait tous les protestants de l’Europe, et apaiserait leurs clameurs. Avons-nous besoin de nous rendre odieux? Ne pourriez-vous pas engager M. le comte de Choiseul à s’informer de cette horrible aventure, qui déshonore la nature humaine, soit que Calas soit coupable, soit qu’il soit innocent? Il y a certainement, d’un côté ou d’un autre, un fanatisme horrible; et il est utile d’approfondir la vérité. Mille tendres respects à mes anges.

En moins d'une semaine, et sur la foi de quelques témoignages (notamment celui de Donat Calas, le plus jeune des fils, qu'il rencontre fin mars), Voltaire a décidé de s'emparer de l'affaire.
Dès le début du mois d'avril, il transmet à Damilaville les pièces du procès afin de les faire publier et d'alerter l'opinion. Il s'agit en fait d'une correspondance fictive (qu'il a entièrement rédigée...), d'une lettre de Madame Calas affirmant l'innocence de la famille et d'une seconde lettre de Donat à sa mère dans laquelle le jeune homme expose les erreurs commises par les juges. Quand il s'agit de partir au combat, Voltaire est décidément prêt à tous les mensonges pour parvenir à ses fins !
lettre (fictive) de Donat Calas à sa mère
 Seul, Voltaire sait qu'il ne peut rien. Il tente donc de mobiliser l'opinion, d'intéresser le public et de faire pleurer dans les chaumières. Pour cela, il harcèle ses correspondants les plus influents, notamment le cardinal de Bernis à qui il adresse plusieurs lettres au cours des mois suivants.
Dans le même temps, il ambitionne de lever le secret de l'instruction, comme le montre cette lettre datée du 15 avril, et envoyée à une demoiselle inconnue :
Quoi qu’il en soit, je persiste à souhaiter que le parlement de Toulouse daigne rendre public le procès de Calas, comme on a publié celui de Damiens. On se met au-dessus des usages dans des cas aussi extraordinaires. Ces deux procès intéressent le genre humain; et si quelque chose peut arrêter chez les hommes la rage du fanatisme, c’est la publicité et la preuve du parricide et du sacrilège qui ont conduit Calas sur la roue, et qui laissent la famille entière en proie aux plus violents soupçons. Tel est mon sentiment.   

Que les juges toulousains produisent une preuve de la culpabilité de Calas ! Voilà le défi que leur lance Voltaire.
Or, de preuve, il n'y en a point. 
Et même s'il ne sait encore rien du dossier, le philosophe de Ferney l'a deviné avant tout le monde...

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