Le troisième volume de l'Encyclopédie sort en novembre 1753, tiré à 3100 exemplaires. Dans l'avertissement des éditeurs, d'Alembert explique : Dès que le premier volume de l'Encyclopédie fut public, l'envie qu'on avait eue de lui
nuire, même lorsqu'il n'existait pas encore, profita de l'aliment nouveau qu'on lui présentait.
Peu satisfaite elle-même des blessures légères que les traits de sa critique faisaient à
l'Ouvrage, elle employa la main de la Religion pour les rendre profondes...
En lisant ces quelques lignes, Jansénistes, Jésuites et autres dévots fulminent. Malgré les puissants appuis dont ils bénéficient, ils viennent en effet de perdre la première bataille.
Dans le camp opposé, deux arguments ont semble-t-il pesé de tout leur poids :
- d'abord, les protestations répétées des Libraires auprès de Malesherbes. En perdant l'Encyclopédie, ils courent assurément à la faillite, tant les frais engagés ont été conséquents.
- ensuite, la menace de poursuivre l'impression en Prusse, qui irrite jusque dans les allées de Versailles. Frédéric a déjà attiré à lui Voltaire et Maupertuis : si d'Alembert et Diderot leur emboîtent le pas, le royaume de France aura perdu ses esprits les plus brillants.
Disons-le tout net : avec cette défaite du camp dévot, on voit déjà se dessiner un avenir dans lequel l'intérêt religieux sera le plus souvent sacrifié sur l'autel de l'argent...
le journaliste Elie Fréron |
Pour autant, les adversaires de l'Encyclopédie ne désarment pas. Lorsque sort le premier numéro du périodique l'Année Littéraire (en février 1754), Diderot et d'Alembert ignorent encore que son fondateur, le dénommé Elie Fréron, est animé d'une haine sans égale pour tous ces nouveaux philosophistes. Les toutes premières lignes du premier numéro se dispensent d'ailleurs de tout commentaire :
C'est une vérité , Monsieur, que l'amour de la Philosophie ,
poussé à l'excès , nuit aux beaux Arts et au bon goût. Les Lettres tombèrent
chez les Romains , lorsqu'ils se virent assaillis d'un essaim de Philosophes.
Le nombre en devint si considérable qu'ils mirent la famine dans Rome , et
qu'on fut obligé de les chasser pour faire vivre les bons Citoyens. Nous n'en
sommes pas encore là; mais l'étude de la Philosophie commence parmi nous à
prévaloir sur la belle Littérature ; le plus mince écrivain veut passer pour
Philosophe : c'est la maladie , ou, pour mieux dire, la folie du jour. Elle se
répand de proche en proche, et laisse partout des traces d'une orgueilleuse
présomption. On se croit né pour donner des leçons à la Terre; on prend un ton
de Maître ; on s’érige en Prophète , en Oracle ; on emprunte les paroles de la
Divinité même...
d'Alembert |
S'ensuit une interminable diatribe contre Diderot, et contre ses Pensées sur l'interprétation de la Nature. Au cours de cette même année, celui que Jean Orieux qualifie de "serpent" (dans sa biographie sur Voltaire) va distiller des propos tout aussi venimeux à l'encontre de Rousseau et d'Alembert. Lorsque ce dernier est reçu à l'Académie Française (décembre 1754), voici comment le journaliste salue son entrée :
M. d'Alembert, de l'Académie des
Sciences, vient d'être reçu encore de l'Académie Française. Il a pris séance le
jeudi dix-neuf de ce mois. Il convient lui-même à la tête de son remerciement,
que livré dès son enfance a des études abstraites , il a été obligé depuis de s'y consacrer par l'adoption
qu'a daigné faire de lui une Compagnie savante ; qu'ainsi ce n'est point à ses
écrits que les Académiciens Français ont accordé leurs suffrages, mais à ses
sentiments pour eux, à son zèle pour la gloire des Lettres. Cependant sa Préface
de l'Encyclopédie , son Essai sur les gens de Lettres , son extrait de deux
Volumes in 4 des Mémoires de Christine Reine de Suède, sa Traduction de
quelques morceaux de Tacite , où il y a quelques contresens à la vérité, ses
éloges historiques de M.Jean Bernoulli et de feu M. l'Abbé Terrasson, sont
des titres qui peuvent passer pour Littéraires, et justifier son élection.
(…) Analysant dans le détail le discours de réception, Fréron montre que le grand géomètre est surtout un petit orateur maîtrisant fort mal la langue française. Il conclut son article par ce constat implacable : Presque tout le discours de ce récipiendaire est écrit de ce style
contraint, embarrassé…
Evidemment, Jansénistes et Jésuites saluent avec bienveillance l'entrée en lice de ce nouvel allié. Mais de son côté, Diderot supporte de plus en plus mal les attaques dont lui et ses proches sont victimes. Malgré la sortie des tomes 4 et 5 (octobre 1754, puis novembre 1755), le projet encyclopédique commence en fait à le lasser.
Il ignore encore que le plus dur reste à venir...
(à suivre ici)
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