samedi 7 mai 2016

Madame de Pompadour, vue par d'Argenson (5)

Si Madame de Pompadour suscita bien des haines, celle que lui vouait le Marquis d'Argenson fut particulièrement mordante.
Voici, année par année (ici, la fin de l'année 1749 et les premiers mois de 1750), ce qu'il rapporta d'elle dans son journal.
le marquis d'Argenson
(lire le précédent article ici)


Août 1749 — La marquise de Pompadour est changée et change chaque jour jusqu'à devenir un squelette. Le bas du visage est jaune et desséché ; pour la gorge,- il n'en est plus question. Cependant le monarque par habitude la traite charnellement mieux que jamais ; plusieurs courtisans le virent l'autre jour la caresser cyniquement derrière un paravent.


Septembre 1749 — 
Nous avons eu nouvelle hier que le roi avait fait une partie de plaisir qui est encore tenue secrète : c'est d'aller de Crécy au Havre et à Dieppe pour faire voir la mer à la marquise et pour bien manger du poisson; partie, dit-on, de vraie badauderie et qu'inspire à Sa Majesté une véritable caillette. 
le château de Crécy



Novembre 1749 — 
La marquise de Pompadour est menacée de la poitrine plus que jamais, elle a été incommodée dans les formes et a eu des faiblesses ; cependant il faut toujours marcher pour le roi qui marche tant ; on lui faisait prendre le lait pendant les campagnes du roi; il n'y a pas moyen quand le roi est avec elle, il faut courir, boire et manger. On prépare pour cet hiver de beaux ballets et opéras dans les cabinets, et elle y chantera. Il faut qu'il y ait dans cette beauté des forces inconnues qui la soutiennent fraîche et belle au milieu de tant de fatigue, et avec une poitrine détruite.

(ndlr : ces derniers mois de 1749 sont marqués, déjà, par les arrestations de mendiants, comme on le voit ci-dessous. En mai 1750, cela ravivera la haine des Parisiens contre la favorite) 


(L'ordre a été donné à la fois d'arrêter tous les mendiants dans le royaume, les maréchaussées agissent dans les campagnes pour cette œuvre , tandis qu'on en fait autant à Paris où l'on est sûr qu'ils ne reflueront pas, se trouvant pris de tous côtés. On les met d'abord en prison, d'où on les renvoie chez eux et on les oblige à travailler.)

Décembre 1749 -

La marquise se montre profonde et discrète : elle fait, elle dit ce qu'elle veut sans beaucoup d'esprit, elle persévère dans ses haines et dans ses affections, elle fait bon visage à ceux qu'elle doit ménager, comme M. de Richelieu, M. de Machault et mon frère; mais que sait-on de ce qu'elle dit contre eux dès qu'elle est seule avec le roi? L'on m'a assuré qu'elle ne se conduisait pour la cour que par les conseils de mon frère, celui-ci m'a dit le contraire, et que quand ils étaient ensemble, elle n'avait plus rien à lui dire et que lui n'avait garde de lui faire aucune ouverture dont elle pouvait faire mauvais usage auprès du roi.


Le roi prend grand goût pour la société de famille avec ses filles et le Dauphin, on croit que cela le mène à congédier la maîtresse au prochain jubilé



Le bruit est grand parmi le peuple, qu'on enlève tous les garçons que l'on trouve les soirs tenant des filles par dessus le bras, qu'on les envoie promptement se marier à Saint-Sulpice, puis qu'on les mène peupler l'île de Tabago en Amérique, et que c'est M. Beurrier (ils nomment ainsi M. Berryer, lieutenant de police ), qui conduit ainsi les choses avec cette dureté.
Il est vrai que l'on enlève les mendiants vagabonds et gens sans aveu avec une grande vivacité aujourd'hui; si cela dure, on pourra voyager sans craindre les mendiants et les voleurs. La maréchaussée travaille beaucoup, on met ces gens-là en prison... )

(Faut-il s'étonner que dans le grand monde, auquel appartient d'Argenson, on se réjouisse d'une telle abomination ? En mai 1750, soit cinq mois plus tard, tout le monde feindra pourtant d'être surpris...)


La marquise de Pompadour va avoir l'appartement de Mme la comtesse de Toulouse au-dessous de celui du roi et que l'on va faire accommoder à la moderne. C'est celui qu'avait autrefois Mme de Montespan, maîtresse du feu roi. De là grand mécontentement de la famille royale contre cette maîtresse : Mesdames de France, les deux aînées, espéraient de l'avoir, comme j'ai dit, et de profiter des visites du roi l'après souper des jours de grand concert, en attendant que le souper de la marquise fût fini, comme en profitait Mme la comtesse de Toulouse.


la Pompadour, en protectrice des lettres

Janvier 1750 — 
Il y a toujours grand tapage à Versailles, sur l'appartement donné à la marquise de Pompadour, au préjudice de Mesdames aînées : elles mettent en mouvement la reine et tout ce qu'elles peuvent de force pour l'emporter. Tout cela déplaît au roi qui est doux, et n'est bon à rien qu'à le tourmenter et à le fâcher contre des personnes qu'il aime et qu'il voudrait voir contentes.

Ou ne parle que de l'accroissement de la faveur de la marquise, elle seule a pu jamais amuser le Roi, elle vient de jouer son opéra, dont le poète Roy a fait les paroles, avec des grâces qu'elle seule a possédées. (Il s'agit des Fêtes de Thétis, ballet héroïque en deux actes précédés d'un prologue, représenté le 14 janvier 1750)


Si jamais la favorite est chassée, ce sera par Mesdames qui prennent beaucoup de crédit sur l'esprit du roi, et que le Dauphin et la Dauphine s'y réunissent, et augmenteront en crédit, dès que la dauphine nous aura donné un duc de Bourgogne, sa grossesse étant certaine. Ainsi la marquise est ébranlée, quoi qu'avec un crédit apparent, et mon frère se sert de cette situation pour augmenter son crédit, en soutenant la favorite.



Février 1750 -

La marquise de Pompadour et Mme d'Estrades ont commencé à parler au roi avec une affection qu'on leur a inspirée, pour me rappeler au conseil d'Etat comme ministre, dès qu'il y vaquera une place.



Mars 1750 -

Il est question de donner au roi une nouvelle maitresse, le prince étant fort las des faveurs de la marquise de Pompadour : j'ai appris par plusieurs voies indirectes qu'il est question de Mme de la P., l'une de nos parentes, qui est fort jolie, et je sais qui se mêle de cet appareillage. On ne la produit d'abord que comme une passade, mais cela se tournera bientôt en un attachement sérieux, suivant le caractère de cet illustre amant, qui est honnête homme et qui s'attache naturellement.



(On continue dans les campagnes à arrêter avec beaucoup de succès les pauvres mendiants et vagabonds, de sorte que l'on en voit beaucoup moins; on pardonne à ceux qui sont domiciliés et on leur permet par des passeports de demander l'aumône pour gagner leurs villages. Si l'on continue à suivre ce projet, on parviendra à bannir la mendicité du royaume, sans cependant diminuer la pauvreté qui est extrême, mais les pauvres mourront de faim patiemment.)
( pas un mot pour condamner...)

Mai 1750 -

... la marquise de Pompadour devient de plus en plus maîtresse des affaires, qu'elle en a fait décider depuis peu quatre à cinq autrement que mon frère ne les avait réglées, ce qui s'appelait quatre à cinq camouflets, et qu'on cherchait à lui en donner d'autres.



( On mande de Paris que, depuis mon départ, il y a eu de fréquentes révoltes, et surtout le 23 de ce mois, où il y en a eu jusqu'à quatre dans un même jour, et cela pour des enfants qu'on arrête; on n'y comprend rien.

Depuis six mois, mon frère, qui a le département de Paris et des maréchaussées, a conçu et poursuivi le dessein d'arrêter la mendicité dans le royaume; mais, pour tous moyens, il a pris la force de l'autorité. Les maréchaussées ont eu ordre d'arrêter les pauvres dans tout le royaume; on a levé quelques troupes pour nos colonies, et on a levé aussi des familles pour les transporter. On en a enfermé quantité, dans des prisons, comme à Orléans et à l'hôpital de Saint-Louis, faubourg Saint-Martin à Paris; mais bientôt il a fallu les en faire sortir, parce qu'on avait mal pourvu à leur subsistance et qu'ils crevaient de faim.


Le peuple s'imagine toujours que les exempts enlèvent des enfants, et il se montre des séditions aux quatre coins et au milieu de Paris à la fois)



juin 1750 -

Les plus mauvais discours ont été tenus par la populace, qui, loin de ménager la personne du roi, en parlait avec grand mépris. La marquise de Pompadour a pensé être déchirée par les révoltés; on ne l'a manquée que d'une rue; elle était allée ce jour-là faire une visite pressée au faubourg Saint-Germain.

Voilà ce qui est de plus terrible dans cette sédition, c'est qu'elle attaquait principalement la personne du roi, et que tout lui était adressé avec des injures de mépris



Les griefs du peuple sont : 
1° les impôts, leur augmentation, nul soulagement depuis la paix 
( c'est là un autre grand motif de mécontentement. Dans le même temps, le clergé refusait pour sa part de payer le vingtième...)
ça n'durra pas toujours...

2° La vie que mène le roi avec sa favorite, et que les peuples prennent, et du côté de la religion et de la décence des mœurs, les folles dissipations de la cour;

3° Leur haine et leur mépris contre les ministres, qu'ils trouvent durs, bornés et sans compassion; leur mépris enfin contre les magistrats.



On a assuré qu'on avait embarqué à la Rochelle plus de six cents enfants pour les colonies.
( Avec le roi Louis, Madame de Pompadour sera la principale cible de la vindicte populaire. Il y a pourtant fort à parier qu'ils ignoraient tout des pratiques de Berryer

(à suivre ici)


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