jeudi 12 mai 2016

Madame de Pompadour, vue par d'Argenson (6)

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Si Madame de Pompadour suscita bien des haines, celle que lui vouait le Marquis d'Argenson fut particulièrement mordante.
Voici, année par année (ici, la fin de l'année 1750 et les premiers mois de 1751), ce qu'il rapporta d'elle dans son journal.
 
d'Argenson

 (lire le précédent article ici)
juillet 1750. — 
Une personne de l'intérieur des cabinets et liée d'amitié avec la marquise de Pompadour m'a dit que le roi et cette favorite étaient cruellement ulcérés de la mauvaise volonté du public pour eux. Le jour d'une des principales émeutes de Paris, la marquise était venue à Paris pour voir, à l'Assomption, l'appartement de sa fille. Elle devait dîner chez le marquis de Gontaud, rue de Richelieu ; elle descendit d'abord chez lui; il vint au-devant d'elle et lui dit qu'il ne lui donnerait pas à dîner, qu'il n'y faisait point bon pour elle, et qu'elle eût à s'en retourner au plus vite à Versailles, ce qu'elle fit, car le peuple commençait déjà à s'amasser sur le rempart où donne le jardin de cette maison.

Mon frère (ndlr : le comte d'Argenson) a eu un moment de disgrâce et a été fort attaqué par Mme de Pompadour, pour avoir laissé ignorer au roi les premières séditions de Paris jusqu'à ce qu'elles devinssent extrêmes. M. de Machault l'a attaqué le premier ; mais il a répondu que cela venait des mauvaises dispositions du peuple contre le gouvernement, à cause de tous les impôts dont on le maltraitait.
la bataille de Fontenoy (1745)
(la guerre de succession d'Autriche avait rendu nécessaire la levée d'impôts nouveaux, dont le célèbre vingtième, en vigueur depuis fin 1749)

La marquise achète trois cent mille livres la seigneurie de Sèvres avec la verrerie, ce qui lui vaudra trente-six mille livres de rente, avec le château de Bellevue tout bâti pour chef-lieu de ce domaine. (...) Tout cela est encore d'une grande imprudence, et semble insulter le public, tandis qu'on le plaint tant et de la misère et des impôts.

Septembre 1750 -

Le château de Bellevue près Meudon coûtera plus de sept millions, tandis qu'on affecte de publier qu'il n'ira pas à sept cent mille livres. Un homme des bâtiments ayant dit ce qu'il coûtait en présence d'un conseiller au parlement qui est espion de la marquise de Pompadour, dès le soir il a été ôté de sa place et exilé.

Octobre 1750 -

Mme de Pompadour a fait voir sa maison de Bellevue à un seigneur étranger, elle lui a demandé si ce n'était pas la plus belle qu'on pût avoir; il a répondu: « Oui, car cela est vu non seulement de Paris, mais de toute l'Europe. » Tout ceci anime terriblement le peuple de Paris et de France; on s'en plaint de toutes parts, puisque, pendant que se font ces dépenses de cour, le peuple est misérable et les impôts continuent et augmentent. (...)
(Quoi qu'en disent certains historiens, il ne faut pas chercher plus loin les causes de l'impopularité de la marquise auprès du public parisien)
 Le roi n'entend pas raillerie sur les refus du clergé, on renvoie tous les évêques que l'on trouve à Paris, et Sa Majesté dit à ceux qu'il voit à la Cour : « Monsieur, pourquoi n'êtes-vous pas à votre diocèse ? » ce qui les fait partir sur-le-champ : c'est ce qui vient d'arriver à l'évêque de Saint-Brieuc. (...)
(L'assemblée du clergé s'était opposée au versement du vingtième, pourtant voté par le Parlement de Paris. Dans la foulée, le roi avait renvoyé les évêques dans leur diocèse)
Il commence à y avoir des mécontents, sur l'affaire du clergé et des impôts, qui disent que la marquise de Pompadour a le dessein d'imiter Anne de Boulen (épouse du roi d'Angleterre Henri VIII) c'est-à-dire d'introduire la réforme de religion en France et d'y éteindre la hiérarchie, qu'elle hait l'Église, etc.; commencements de discours fort séditieux et fort dangereux.

On bâtit à Choisy un théâtre, à Bellevue un théâtre, dans les bois de Fausse-Repose, à Verrières plusieurs maisons de chasse, ou petits pavillons pour les plaisirs du roi, quand il est las de la chasse; tout cela dit-on, se ressent du sérail du grand seigneur. Mais on blâme dans le public toutes ces dépenses indiscrètes, et les clameurs montent haut, ce qui est dangereux.

On a représenté à Sa Majesté, qu'il y avait de l'imprudence d'aller faire des séjours à Bellevue après Fontainebleau, que ce château paraissait insulter au peuple et à sa misère, qu'il était en vue de Paris, et qu'il ne fallait qu'une sédition populaire pour aller au bout de la plaine de Grenelle mettre le feu au château et en chasser la compagnie qui y serait.
 
le château de Bellevue
Novembre 1750 -

Le roi a avancé son départ de Fontainebleau. Sa Majesté va à Choisy le 16, de là pour vingt-quatre heures à Versailles, d'où il ira passer quatre jours à Bellevue, nouvelle maison de campagne de la marquise de Pompadour, près de Meudon, en vue du peuple. Cette maison, qui a coûté beaucoup, s'élève au bout de la plaine de Grenelle, et, dans un jour d'émeute, serait trop en vue de la populace de Paris.
(Ce que d'Argenson rapporte ici apparaît dans bon nombre de témoignages à la même époque)
Janvier 1751 — 
Le chevalier de ***, mis à la Bastille pour avoir fait des vers contre Mme de Pompadour est condamné à un an de prison, puis renvoyé à l'ordre de Malte qui l'a réclamé.

Le roi a répondu aux députés du parlement qu'il approuvait sa délibération sur le refus de sacrements.
(L'archevêque de Paris avait relancé la guerre contre les jansénistes. On refusait alors les derniers sacrements aux mourants qui ne possédaient pas un billet de confession signé par un prêtre favorable à la Bulle Unigenitus)
Et sur cela, le parlement s'assemble pour décider de nouvelles remontrances au roi, où l'on demandera à Sa Majesté de défendre aux évêques d'exiger des billets de confession. On me mande que tout Paris est très irrité contre le haut clergé : nous deviendrons presbytériens ou rien.


On ne parle que des discours bourgeois et ridicules que tient la marquise qui affecte le plein pouvoir et le premier ministère, comme aurait fait un cardinal premier ministre. Elle dit à un ambassadeur qui prend congé : «Continuez, je suis très contente de vous; vous savez que je suis de vos amies depuis longtemps. » Elle tranche, elle décide, elle regarde les ministres du roi comme les siens. (...)
La marquise a soin de ne porter aux places que des gens à elle et dont elle est bien assurée pour leur opposition à mon frère 
(D'Argenson ne s'insurge même plus du rôle politique joué par la Marquise à Versailles...)
Février 1751 -

la marquise n'est pas sans crainte des directeurs et des confesseurs; s'il y intervenait quelque prêtre plus éloquent, plus puissant en paroles que le bonhomme Pérusseau, cet homme dirait : Ce n'est pas tout que le retranchement du péché, il faut celui du scandale...

Toutes Mesdames de France sont dans une grande dévotion de bigoterie et cherchent à y faire tomber le roi leur père. L'on prétend que le jubilé sera un grand événement pour la cour et que la marquise décampera à cette occasion. Elle se conduit avec une hardiesse et une témérité dont il y a peu d'exemples.
( Mélancolique chronique, le roi connaissait de temps à autre de telles crises de dévotion. Fort heureusement, elles ne duraient guère. Voir ci-dessous...)  

Depuis quelque temps le roi a eu plus d'une passade avec quelques beautés inconnues , étant très las de la marquise. Il a retrouvé ses forces viriles, grâce à ces nouveaux ragoûts.

Mars 1751 -

Mon frère fait de grandes plaintes de M. de Machault ; il dit qu'il n'a plus de crédit, et que c'est un miracle comme il reste encore en place. Il est à la tête du parti des dévots, des jésuites, de la famille royale qui veulent convertir le roi, des rigoristes, des scrupuleux et de tous ceux qui portent le roi à gouverner mieux et par lui-même. La marquise est à la tête du reste des ministres et des courtisans; elle a pour ministre à elle M. le garde des sceaux principalement qui morgue mon frère à toute occasion.
 (...) Les jésuites font dire dans leurs trois maisons de Paris, par chaque matinée, quinze messes pour la conversion du roi, et s'en vantent : les jansénistes disent que, si le roi devient dévot, il les poursuivra à outrance, comme ils l'étaient du temps de Louis XIV, parce qu'il serait dirigé par les jésuites.
(Ah ! les Jésuites et leur amour du pouvoir... Fine mouche, Voltaire n'a jamais été dupe de leurs manigances à la Cour)

Avril 1751 — 
On ne sait encore qu'une médiocre affliction du roi pour la mort de la comtesse de Mailly. Sa Majesté n'a point été à la chasse le jour qu'elle l'a apprise, et a vu peu de monde; c'est tout ce qu'on a su. La pauvre défunte portait un cilice sur la chair et faisait une grande pénitence; elle a voulu payer par ses épargnes toutes les dettes que M. Orry avait réduites par moitié, de sorte qu'elle jouissait de très peu de revenu. Elle a demandé par son testament à être enterrée dans le cimetière parmi les pauvres et avec une croix de bois. Ces austérités, cette pénitence, cette pauvreté, augmentent l'opinion qui se tourne de plus en plus, dans le public, contre celle qui occupe aujourd'hui sa place, et qui a une conduite bien opposée.

(à suivre ici)


 

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